Le président Roch Marc Christian Kaboré, lors de sa conférence de presse du 3 avril 2016

En principe, c’est ce jeudi 7 avril que le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, achève sa visite officielle en France. Arrivé à Paris le 4 avril, le chef de l’Etat burkinabè a été reçu le lendemain 5 avril par son homologue français, François Hollande à l’Elysée, puis à Matignon et à au Palais Bourbon. Exit l’incident de l’accueil et c’est un bilan satisfaisant que le président Kaboré dresse de son séjour parisien. Nous vous proposons ici, In extenso , l’entretien qu’il a accordé à nos confrères du journal Le Monde. Lisez plutôt !

Le président Roch Marc Christian Kaboré, lors de sa conférence de presse du 3 avril 2016
Le président Roch Marc Christian Kaboré, lors de sa conférence de presse du 3 avril 2016

« «Si on n’aide pas le Burkina Faso, ce sera la chronique d’un échec annoncé »
Roch Marc Christian Kaboré, 58 ans, incarne le paradoxe burkinabé. Vainqueur au premier tour en novembre 2015 d’une élection qui consacrait le retour de la démocratie au Burkina Faso, le nouveau président fut un cacique du régime de Blaise Compaoré, occupant notamment les postes de premier ministre puis de président de l’Assemblée nationale, avant de rompre avec son mentor, chassé du pouvoir par une insurrection en octobre 2014. Le président burkinabé a été reçu par François Hollande mardi 5 avril.

Le Monde : François Hollande a déclaré que votre élection faisait « honneur à la démocratie », mais aucun membre du gouvernement n’était présent à votre arrivée à Paris. Que vous inspire la qualité de cet accueil ?

Roch Marc Christian Kaboré : Je ne suis pas très protocolaire et j’étais très content que des Burkinabés soient venus m’accueillir à l’aéroport. L’accueil que nous avons eu à l’Elysée, à Matignon, à l’Assemblée nationale témoigne de la qualité des relations. Il ne faut pas s’en tenir à l’éphémère, mais au fond des questions pour lesquelles nous sommes venus et j’estime que cela a été une très bonne mission pour nous.

Pensez-vous avoir été invité en tant que symbole démocratique ?

Je pense que nous avons été invités au titre de l’action que le peuple burkinabé a menée pour retrouver la liberté, la démocratie. Cela a été une longue bataille, pleine de péripéties, de turpitudes, mais, malgré tout, ces élections se sont déroulées dans la transparence et ont été acceptées par tous. C’est un hommage au peuple burkinabé que de nous inviter à l’Elysée pour discuter des relations entre nos deux pays. C’est à mettre à l’actif du peuple beaucoup plus qu’au mien.

Après l’attentat de Grand-Bassam, en mars en Côte d’ivoire, le ministre français de l’intérieur a annoncé qu’une équipe du GIGN sera envoyée au Burkina Faso. L’acceptez-vous ?

Il y a eu un problème de communication. Nous avons appris sur France Inter qu’il y allait avoir un déploiement du GIGN. Nous avons protesté auprès de l’ambassadeur et nous avons eu l’occasion de dire au président et au ministre de l’intérieur que nous n’acceptions pas de décision sans être concertés. Ils s’en sont excusés et je pense qu’il n’est pas question d’un déploiement du GIGN, mais d’envoyer deux éléments pour assister nos forces de lutte contre le terrorisme et le renseignement. Je pense que la procédure normale va maintenant être respectée et nous verrons si nous avons besoin de cette assistance. Nous avons dit qu’il faut fédérer les moyens de renseignement, d’action et de formation pour être à la hauteur. Dans ces conditions, nous estimons qu’il est toujours bon de bénéficier de l’expérience de ceux qui sont un peu plus en avance que nous dans ce combat.

Ne craignez-vous pas que le renforcement de la présence militaire française ne vous désigne encore un peu plus comme cible des groupes djihadistes ?

Les djihadistes ont pour objectif de déstructurer les Etats en Afrique de l’Ouest, donc nous sommes au centre des attaques. Nous pensons qu’il faut travailler à renforcer notre collaboration sous- régionale. Nous ne pouvons pas assurer le risque zéro, mais nous pouvons assurer au maximum la sécurité de nos populations.

Que répondez-vous à ceux qui jugent que l’attentat de Ouagadougou en janvier 2016 a été facilité par le démantèlement du système sécuritaire mis en place par Blaise Compaoré ?

C’est une erreur de vision. Quand quelqu’un décide de mourir, il n’y a aucun système de sécurité qui puisse y parer.

Dans votre entourage, certains ont considéré que l’ancien président Compaoré ou ses proches seraient liés à l’attentat. Vous confirmez ?

Je ne confirme rien du tout. Des enquêtes se poursuivent. Nous n’avons pas d’éléments pour dire qu’il y a une complicité de personnes proches de Blaise Compaoré. Nous pouvons seulement dire qu’à son époque il avait des contacts avec tout ce monde, ce qui peut laisser penser à une forme de collusion.

Souhaitez-vous obtenir de la Côte d’Ivoire son transfert au Burkina Faso en vue d’un procès sur son implication présumée dans l’assassinat de l’ancien président Thomas Sankara ?

Ce n’est pas nous qui voulons ou ne voulons pas son transfert. Je pense que, quand on assume la responsabilité de l’Etat pendant vingt-sept ans, on a un devoir vis-à-vis de son peuple. Ce devoir, tout chef d’Etat responsable doit pouvoir l’assumer. On ne peut pas gérer un pays pendant si longtemps et faire comme si de rien n’était. La démocratie impose de rendre des comptes.

Vous avez été élu un an après le renversement de Blaise Compaoré, qui projetait de modifier la Constitution pour s’octroyer un nouveau mandat. Quel regard portez-vous sur vos homologues réélus ou en passe de l’être après avoir retouché la Constitution à leur profit ?

La réforme d’une Constitution est une responsabilité du peuple. Lorsque Blaise Compaoré a décidé de réviser la Constitution, le peuple burkinabé s’y est opposé. Des vies ont été perdues dans ce combat, mais il a été remporté grâce à la détermination du peuple burkinabé. Je ne peux pas apprécier les révisions qui ont lieu dans d’autres pays, car je considère que les peuples ont des responsabilités à assumer. Dans notre projet de réforme de la Constitution, il est hors de question de remettre en cause la limitation des mandats.

Vous sentez-vous comme un président sous contrôle, à la merci d’un autre soulèvement populaire ?

Il est évident que le peuple burkinabé a fait cette insurrection avec beaucoup d’attentes. Nous travaillons à faire en sorte que ses besoins soient satisfaits. Je pense qu’en revenant au système démocratique le peuple burkinabé est conscient que nous devons aussi rester dans la légalité et permettre au gouvernement de mettre en œuvre ses engagements. Il est évident que si nous ne les respectons pas, nous ne serons pas réélus. Je pense par ailleurs que le peuple cherche des passerelles pour avoir un contrôle de l’action du gouvernement, discuter avec les parlementaires. Il faut que dans la réforme de la Constitution nous permettions que la démocratie soit participative. La société civile est la vigie de la démocratie, mais il y a des limites à ne pas franchir.

Vos frais de téléphone ont été réduits, les dotations en carburant des ministres également. N’est-ce pas-là de la communication de début de mandat ?

Il est bon de donner des signaux forts. Les frais de téléphone, de carburant ne sont que la partie visible de l’iceberg. Des efforts sont faits également sur les baux de l’Etat où nous payons des loyers exorbitants pour rien et au niveau de l’utilisation de l’énergie dans les bureaux. Chacun se dit : « C’est l’Etat qui paie, donc je n’éteins pas la lumière. » Nous faisons en sorte d’économiser un centime dès que nous le pouvons. Ces mesures montrent le sens de l’action du gouvernement et notre volonté de réduire le train de vie de l’Etat.

Comment concilier la relance de l’économie avec les exigences sécuritaires qui se sont cruellement rappelées à vous avec l’attentat du 15 janvier ?

Nous sommes obligés de travailler sur les deux fronts, car, sans développement, il n’y a pas de sécurité et, inversement, il n’y a pas de développement sans sécurité. Je considère que tout en menant la lutte contre les terroristes, il faut continuer à travailler au développement économique et social de notre pays. C’est pourquoi, tout en lançant des programmes d’urgence dans l’éducation, la santé, l’eau potable, l’agriculture, en réorientant le système énergétique vers les énergies renouvelables, il est important pour nous de demander à nos partenaires de parachever le succès politique du Burkina par un appui économique. Si on n’aide pas le Burkina Faso, ce sera la chronique d’un échec annoncé.

Qu’en est-il du projet ferroviaire du groupe Bolloré qui doit passer par votre pays ?

Il est toujours en discussion. Il est lié à l’exploitation du manganèse du Burkina et il se trouve que le gisement n’est pas encore mis en exploitation. Le groupe Bolloré se dit : faire du rail alors que l’exploitation n’a pas démarré, c’est mettre de l’argent dans un projet qui n’est pas rentable tout de suite. Je pense que dans les prochains jours nous allons discuter avec les partenaires qui exploitent la mine et le groupe Bolloré pour voir comment relancer la dynamique. Notez que le cour du manganèse a baissé, il y a donc des contraintes objectives de part et d’autre, mais le Burkina ne peut pas être prisonnier de ce type de contrat.

Un mandat d’arrêt a été lancé contre de Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, à la suite de la tentative de coup d’Etat en septembre 2015. Comment concilier les exigences de la justice avec la nécessité d’entretenir de bonnes relations avec votre voisin ?

Nos relations sont excellentes. Un mandat d’arrêt a été lancé contre Guillaume Soro sans que j’en sois informé et cela ne l’empêche pas de voyager. Finalement, au niveau des Etats, nous avons décidé de nous mettre au-dessus de ce conflit, pas fictif, mais inutile. Il sera difficile de part et d’autre de nous chercher des problèmes inutilement, car nous sommes condamnés à nous entendre.

Vous avez annulé la nomination de l’ancien premier ministre de transition Isaac Zida comme ambassadeur à Washington. La justice a été saisie à la suite de soupçons de blanchiment d’argent qui porterait sur plus de 130 millions d’euros. Envisagez-vous de lancer un mandat d’arrêt à son encontre s’il n’est pas revenu au Burkina Faso dans les prochains jours ?

La nomination du général Zida n’a pas été annulée pour des soupçons de blanchiment d’argent, mais parce qu’elle n’a été faite lors d’aucun conseil des ministres. L’investigation sur ce blanchiment d’argent porte sur cinq années et ne relève pas uniquement de la transition. Ces dossiers sont transmis à la justice et elle fera le point dans les mois à venir pour voir s’il y a eu ou non blanchiment et si des poursuites doivent être engagées. Pour l’instant, le général Zida n’est accusé de rien du tout. Je pense qu’il rentrera de lui-même au Burkina Faso, car, quand on assume des responsabilités à un certain niveau, il faut savoir faire face à sa propre histoire.»

Propos recueillis par Cyril Bensimon
Le Monde

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