Selon Sékou Ouédraogo, la formation, la stabilité politique et la bonne gouvernance sont indispensables à la construction d'une industrie spatiale africaine viable

Le Burkinabé Sékou Ouédraogo, chef de projet aéronautique chez Safran, le groupe industriel et technologique français spécialisé dans l’aéronautique et l’astronautique, soutient que la création d’une agence spatiale africaine est une des conditions pour accélérer le développement de l’Afrique. Dans cette interview à nos confrères de SciDev.Net, il explique notamment que la recherche dans le domaine des études spatiales est une porte de salut pour les Africains, en raison des nombreuses applications de l’industrie spatiale dans le contexte du développement, notamment la télédétection pour les besoins de l’agriculture, de l’aménagement du territoire et de l’environnement, entre autres.

Selon Sékou Ouédraogo, la formation, la stabilité politique et la bonne gouvernance sont indispensables à la construction d’une industrie spatiale africaine viable

  Mais pour que l’Afrique puisse tirer le meilleur parti d’une industrie spatiale viable, Sékou Ouédraogo pose plusieurs conditions, dont la formation, mais aussi la stabilité politique et la bonne gouvernance.  L’auteur, en 2015, de l’ouvrage « L’Agence spatiale africaine – Vecteur de développement », soutient qu’une agence spatiale n’est pas un gadget, mais un instrument indispensable de prospection et de prise de décision.

  SciDev.Net : Quel intérêt pour l’Afrique de s’intéresser à l’espace, alors que ses enfants ont du mal à se nourrir ? Quelle valeur ajoutée l’espace peut-il apporter au développement de l’Afrique ?

Sékou Ouédraogo : S’intéresser à l’espace peut paraitre un peu dénué de sens pour un continent qui a du mal à subvenir aux besoins vitaux de ses populations. Certes, l’autosuffisance alimentaire, les guerres, les catastrophes naturelles (désertifications, inondations, feux de forêts, insuffisance au niveau de l’éducation et de la santé, etc.) sont des sujets prioritaires pour le développement de l’Afrique. Néanmoins, l‘utilisation de l’espace n’est pas uniquement liée à un besoin de reconnaissance internationale et n’est pas faite pour servir de vitrine technologique. Cette utilisation au travers de l’outil satellite peut permettre aujourd’hui de solutionner les maux cités précédemment. En effet, il est aujourd’hui possible, grâce aux satellites, d’assurer l’ordre et la sécurité intérieure (police, gendarmerie et sécurité civile, incluant la prévision des catastrophes) ; de garantir la sécurité extérieure (observation des zones de combat ou autres) ; d’assurer la sécurité alimentaire (agriculture, eau et pêche) ; de garantir des conditions de vie décentes avec une perspective de développement durable ; de veiller à la santé des concitoyens (télémédecine, etc.) ; d’assurer l’éducation des concitoyens (télé-éducation, etc..) ; de favoriser le développement économique (gestion des moyens de transports comme l’avion, le bateau, le train, la recherche de matières premières (or, pétrole, etc.).

Ne peut-on pas se contenter, dans ce domaine-ci, des efforts technologiques des pays industrialisés ? Y a-t-il un en enjeu pour l’Afrique à avoir ses propres programmes spatiaux ?

Les coûts des investissements pouvant mener à une indépendance technologique vis-à-vis des sciences spatiales sont gigantesques. Il est clair qu’aucun pays africain, aussi riche soit-il, ne peut assurer ces coûts de développement. Il n’est donc pas imaginable de tout faire seul dans ce domaine. L’enjeu ici est d’utiliser les ressources spatiales existantes dans un premier temps, mais en faisant un effort de formation sur leur utilisation au service du développement. Puis une fois les hommes formés, apprendre à ces hommes à former eux-mêmes à leur tour ; faire en sorte que ces cadres techniques et techniciens puissent, par leur maîtrise de sciences de l’ingénieur, former d’autres personnes dans des domaines connexes aux sciences spatiales (mécanique, thermodynamique, électronique, matériaux, etc.) pour faire progresser le niveau technologique moyen du continent. Ce ne seront pas des programmes spatiaux conventionnels comme le connaissent les pays-phares, qui seront créés, mais des programmes de développement technique à partir de ces domaines techniques car ce qui compte aujourd’hui c’est la formation des élites techniques pouvant utiliser dans un premier temps les sciences spatiales au service du développement. L’enjeu est d’emprunter un chemin menant à la maîtrise des technologies spatiales, aussi bien en termes éducatifs qu’industriels.
Vous faites partie de ceux qui plaident pour la création d’une agence spatiale africaine. Quel est en l’objectif ?

La création d’une agence spatiale africaine est un objectif qui peut paraître utopique, si on l’aborde avec un filtre occidental. Les agences spatiales européenne, américaine et russe existent depuis plusieurs décennies et ne se sont pas faites en un jour. Elles ont aujourd’hui la capacité de concevoir des lanceurs pour accéder à l’espace et de concevoir des satellites pour en optimiser l’utilisation. Aujourd’hui les Africains n’ont ni les moyens financiers, ni le niveau de développement technologique suffisant pour créer un outil tel qu’une agence spatiale africaine à l’image d’une agence spatiale européenne par exemple. Il n’est pas question de cela aujourd’hui. Cette agence spatiale dont je fais la promotion dans mon ouvrage, devra avoir pour objectif de réunir les ressources spatiales africaines dans un ensemble compact et institutionnellement uni. Cette agence aura pour principale mission de mettre à disposition des peuples les applications satellitaires à partir des satellites issus de pays membres et/ou d’autres pays. Elle devra être un organe de formation pour les futures élites africaines et de recherche pour mettre au point et maîtriser les applications et les besoins pouvant aider au développement du continent dans des domaines choisis par elle. Mon ouvrage permet d’approfondir ma pensée sur le sujet.

Aujourd’hui, où en est l’industrie spatiale africaine ? On imagine qu’on en est encore à un stade embryonnaire…
Effectivement, l’industrie africaine se situe, au niveau du développement de sa technologie spatiale, bien en-deçà de celle des acteurs mondiaux majeurs du domaine. Mais un pays comme l’Afrique du Sud est de loin la nation la plus avancée dans le domaine spatial sur le continent. Depuis les années 50, elle a suivi les satellites américains pour déterminer les effets de la haute atmosphère sur leurs orbites. Les premiers missiles sud-africains ont été construits avec l’aide d’Israël. Le 23 février 1999, le premier satellite sud-africain construit par l’université de Stellenbosch a vu le jour. Le 9 décembre 2010, la première agence spatiale sud-africaine – la SANSA – voit le jour, à son tour. Elle possède un département de l’observation de la terre, un autre d’ingénierie spatiale, un troisième dédié aux sciences spatiales et enfin un dernier dédié aux opérations spatiales. Il y a aussi le Nigéria qui est le deuxième plus gros acteur spatial en Afrique sub-saharienne. Il dispose de 5 satellites, d’une agence spatiale nationale et d’un autre organisme lié à la rédaction d ‘articles sur le spatial. Le Nigeria investit des moyens pour utiliser les sciences spatiales au profit des télécommunications notamment.

Il avait notamment la volonté d’envoyer en 2015 un astronaute dans l’espace.

Quelle est la place du reste de l’Afrique dans le domaine de l’espace ?
Il y a aussi, dans une certaine mesure, pour l’ensemble du continent, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Kenya. L’Afrique sub- sahérienne n’est pas beaucoup représentée dans les nations spatiales majeures. La Côte d’Ivoire possède une agence dans le domaine de l’observation de la terre liée à l’aménagement du territoire. Mais le site est rudimentaire et à part l’utilisation des cartes venant de satellites, je ne vois pas trop ce qu’ils font.

Le Gabon, pour sa part, a créé le 25 février 2010, l’Agence Gabonaise d’Etudes et d’Observation Spatiale (AGEOS), possédant une station de réception d’images satellitaires et un centre de formation dans le domaine de l’imagerie satellitaire. Il semble y avoir une réelle volonté de développer les sciences spatiales dans ce pays pour ce qui concerne la préservation de l’environnement, ainsi que dans la connaissance des sciences spatiales.

Après les Etats, beaucoup de jeunes Africains essaient aujourd’hui de donner corps à des rêves d’inventeurs, en lançant des projets de construction de drones ou d’avions, avec plus ou moins de succès. En fin de compte, le décollage technologique de l’Afrique a-t-il une chance de se matérialiser à travers ces initiatives ? 

Des projets de constructions de drones ou d’avions montrent l’intérêt et la volonté de la jeunesse africaine d’accéder à ces sciences. Il est vrai que des vocations naissent tôt et qu’elles permettent à des jeunes de progresser par la motivation et de s’orienter vers ces sciences. Mais ce n’est pas suffisant car les sciences aéronautiques et/ou spatiales sont des sciences exactes qui nécessitent du professionnalisme et des moyens en formation de très haut niveau, ainsi que du matériel de qualité. C’est ce qui permet à un pays et/ou continent de décoller technologiquement.

De même, plusieurs projets de constructions d’automobiles, susceptibles de profiter, à terme, à une industrie mécanisée, ont été lancés dans plusieurs pays africains. Quelle est la viabilité de tels projets, au regard de la sophistication des industries automobiles dans les pays industrialisés ?
Tout dépend du pays africain considéré. Si on prend des pays comme l’Afrique du sud, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie ou le Nigéria, je pense qu’il est possible de concevoir des usines d’assemblage d’automobile dans un premier temps avec l’appui fort des industriels automobiles majeurs mondiaux. Mais uniquement d’assemblages de modules simples déjà conçus par ailleurs. En effet pour concevoir des automobiles, l’Afrique a besoin de cadres techniques de haut niveau dans de nombreux domaines techniques, de techniciens de niveau bac+2 mais surtout de compagnons dont la valeur ajoutée reste l’expérience. Et malheureusement nous n’avons pas cette expérience. De plus, il faut un cadre législatif favorable et surtout une stabilité politique et une bonne gouvernance.

   SciDev.Net

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