Dans cet écrit, un cadre du ministère de l’économie et des finances, Pamoussa Joanny Kaboré, administrateur des services financiers de son état, fait savoir qu’il ne comprend pas que le gouvernement de la transition a privilégié les procédures de gré à gré ou par entente directe pour lancer le Programme socio-économique d’urgence de la transition (PSUT). Il souhaite comprendre les véritables motivations des autorités. A propos, il souhaite que le Premier ministre
s’en explique. Lisez plutôt!

PAMOUSSA

Le conseil des ministres lors de sa séance du 16 mars 2015 a adopté un décret portant création et exécution d’un Programme socio-économique d’urgence de la transition (PSUT), d’un coût global de 25 milliards FCFA. Ce programme est financé par des crédits obtenus suite à la réduction du train de vie de l’Etat ; il vise le bien-être des populations, notamment par la création de richesses au niveau des couches vulnérables entre autres pour :
-la création de 10 000 unités économiques au profit des jeunes qui généreront 30 000 emplois, soit 3 emplois par unité socio-économique ;
-la construction d’infrastructures universitaires dont deux amphithéâtres de 2 500 places à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso ;
-la construction de 75 complexes scolaires ;
-la construction de 80 centres de santé et de promotion sociale (CSPS).

Quelle idée géniale pour le gouvernement de la transition !
En effet, le Burkina Faso est un pays agricole où tout est urgent et prioritaire. En effet, 55 ans après l’indépendance, nos élites et celles politiques en particulier se sont servis au lieu de servir l’Etat, au lieu de servir le bien public. Les évènements historiques que notre pays a traversés ont toujours eu une cause économique.

Le 03 janvier 1966, c’est en recherchant des solutions aux conséquences de la gestion scandaleuse des finances publiques que le Président Maurice YAMEOGO a été chassé du pouvoir par une insurrection populaire.
En effet, il envisageait comme mesure entre autres, la réduction de 20% des salaires des fonctionnaires.

Les 30 et 31 octobre 2014, le pouvoir de Blaise COMPAORE a été balayé par son entêtement à vouloir coûte que coûte modifier l’article 37 de la constitution pour entamer un pouvoir à vie. C’est vrai, mais ce que nous oublions le plus souvent, c’est que les burkinabè sont aussi descendus massivement dans les rues pour exprimer leur ras-le-bol sur la mauvaise gestion des fonds publics, les injustices, l’impunité dont jouissaient les grands voleurs de l’Etat à travers plusieurs délits financiers tels que la concussion, la corruption, le trafic d’influence et la prise illégale d’intérêt.
Résumons en disant que la mauvaise gestion des fonds publics a toujours été l’une des causes de ces différents remous sociaux.
Dans ces conditions, quelle appréciation peut-on apporter sur le PSUT et son exécution ?

I- Le PSUT en tant que programme gouvernemental
A ce niveau, il ne revient pas aux techniciens que nous sommes de remettre en cause la volonté d’un gouvernement, fut-il de transition d’élaborer et d’exécuter un programme pour sortir notre pays des difficultés qu’il connait. Chômage de masse, extrême pauvreté des populations, santé précaire…

En 2014, le Burkina Faso est classé 181ème/187 pays dans le rapport 2014 du PNUD sur le développement humain.
Le gouvernement met en exécution son programme en violant le dispositif juridique mis en place en vue d’assurer la qualité des ouvrages et la maîtrise des délais. C’est là que le bas blesse.

II- L’exécution du PSUT
II1 Dispositif juridique pour l’exécution des dépenses publiques.
Gouverner c’est dépenser. L’Etat et les autres organismes publics effectuent des dépenses tout comme les particuliers. Ces dépenses importantes visent la satisfaction de l’intérêt général.

Cet écrit porte sur les dépenses d’investissement qui devraient faire l’objet comme les autres dépenses d’ailleurs, d’une attention particulière de la part des gouvernants.
En effet, le budget est l’instrument privilégié d’intervention dans le domaine économique et social au service de la puissance publique.
C’est pourquoi l’exécution de la dépense publique est soumise à des procédures rigoureuses dans le but :
a°) d’assurer la satisfaction des besoins d’intérêt général exprimé au moindre coût, tout comme vous et moi.
En effet, il a été constaté que les administrations laissées à elles-mêmes, sans contrôle, deviennent des êtres irrationnels quand elles dépensent. Il a été constaté que les administrations achètent des produits de piètre qualité à des coûts exorbitants.
b°) de promouvoir les valeurs de rigueur, de probité, de transparence et d’efficacité dans la gestion des affaires publiques ;
c°) d’assurer le principe d’égalité des citoyens devant les avantages qu’offre la puissance publique.
En effet, n’oublions pas que par le biais des marchés publics, l’Etat et les autres organismes publics transfèrent des centaines de milliards aux cocontractants de l’administration publique. Il est juste et bon que les meilleurs, ceux qui rempliront les conditions préalablement fixées et publiées soient choisis. C’est une question d’égalité de tous les citoyens devant les avantages qu’offre l’Administration.
C’est la raison d’être des procédures établies par les marchés publics pour ces choix.

II2 : Les procédures de droit commun
La norme, c’est l’appel d’offres publié pendant un mois avec des critères précis (critères techniques et financiers).
On distingue :
-l’appel d’offres ouvert ;
-l’appel d’offres en deux étapes ;
-l’appel d’offres précédé d’une pré qualification.
Cette procédure de droit commun permet d’obtenir le meilleur produit ou infrastructure de qualité au prix du marché. Il y a la traçabilité de la procédure et on évite le phénomène de la surfacturation. C’est cette procédure de droit commun qui devrait être utilisée. Il y aussi les procédures dites exceptionnelles qui sont bien encadrées.

II3 : Les procédures exceptionnelles
Ce sont :
-l’appel d’offres restreint : dans ce cas, il y a exclusion d’une bonne partie des prétendants. L’Administration choisit au moins trois candidats autorisés à présenter des offres. L’appel d’offres restreint est accéléré lorsque la publication ne dure que 15 jours au lieu d’un mois.

-le marché de gré-à-gré ou procédure par entente directe. A ce niveau, il n’y a pas de publicité. Il n’y a donc pas de critères préalablement établis pour le choix du cocontractant. Le cocontractant est choisi par le représentant de l’Administration de façon souveraine. C’est pourquoi, le recours à cette procédure exceptionnelle est bien encadré.
Il s’agit :
-des cas d’extrême urgence ;
-d’urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles ou des cas de force majeure ;
-lorsqu’il est avéré qu’il n’y a qu’une seule personne physique ou morale à même de satisfaire au besoin public exprimé.

Au regard de ce que nous venons de développer, quelle appréciation peut-on faire face au recours systématique du gouvernement de la transition aux procédures exceptionnelles et particulièrement à la procédure de gré-à-gré ou par entente directe ?
Qu’on s’entende bien.

Ce n’est pas parce qu’on a décrété qu’un programme est urgent qu’on peut recourir systématiquement à cette procédure bien encadrée. En d’autres termes, comme l’Administration est soumise elle-même à la règle de droit, le minimum à faire ici, est de voir si les conditions édictées pour recourir aux procédures exceptionnelles sont remplies.
La réponse est sans équivoque et c’est non pour la plupart des marchés incriminés.
Je rappelle aux lecteurs que le recours à ces procédures exceptionnelles est autorisé par le Ministre de l’Economie et des Finances. Pour l’Exécution du PSUT, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, a dû adresser une demande à son Ministre de l’Economie et des Finances. Celui-ci a dû transmettre le dossier à ses techniciens qui ont étudié le dossier. Ces techniciens ont dû attirer l’attention de leur ministre sur le fait que les conditions édictées par la règle de droit, notamment les articles 71, 72 et 73 du décret N°2008-173/PRES/PM/MEF du 16 avril 2008 portant règlementation générale des marchés publics et des délégations de service publics, ensemble ses modificatifs fixant les conditions du recours à la procédure d’entente directe ou de gré-à-gré n’étaient pas remplies. En d’autres termes, aucune condition ne permettait d’aller au gré-à-gré car il n’y avait ni urgence, ni cas de force majeure.
Le Ministre de l’Economie et des Finances a dû donner son accord formel car comme le dit l’adage populaire « on ne peut être plus royaliste que le roi ».

Mais pourquoi cet entêtement à abuser des procédures exceptionnelles ? Quel esprit est derrière cette façon de faire ?
Je rappelle que plusieurs gestionnaires, fonctionnaires devenus multimillionnaires, voire milliardaires ont utilisé l’abus des gré-à-gré pour atteindre leurs objectifs. La plupart du temps, ce qui caractérise ce genre de marché, ce sont les surfacturations et la mauvaise qualité des produits ou des infrastructures. Au pire, ce sont des chantiers qui n’aboutissent pas.

Je suis d’autant plus surpris, voire hébété car plusieurs anciens ministres sont actuellement en prison à cause du recours abusif aux procédures exceptionnelles des marchés publics. Sur ce point, je renvoie mes lecteurs au journal « le courrier confidentiel » n°88 du 25 juillet 2015. Ce numéro fait état des dossiers de certains anciens ministres. On y présente les marchés conclus par la procédure de gré-à-gré.

Alors, comme plus rien ne serra comme avant, il va falloir rendre des comptes, surtout qu’au même moment, dans la matrice des mesures de réduction du train de vie de l’Etat proposée par la Ministre déléguée chargée du Budget par lettre N°2015-016/MEF/MDCB/CAB du 20 mars 2015, on peut lire à la page 4 : « 11-l’application effective des dispositions du décret N°2008-173/PRES/PM/MEF portant règlementation générale des marchés publics et de délégations de services publics au Burkina Faso dans l’optique d’une meilleure gestion de la commande publique à travers :
-la réduction du montant global des marchés attribués par entente directe pour avoir plus d’ouverture et obtenir des coûts plus économiques
-… ».
En français facile, il est recommandé à tous les départements ministériels de recourir le moins possible à la procédure de gré-à-gré car les coûts qu’on obtiendrait seraient moins économiques.
Mais alors, pourquoi le PSUT s’exécute par un recours massif à cette procédure exceptionnelle ?
J’ai exploité minutieusement les délibérations du conseil des ministres du 03 décembre 2014 au 25 novembre 2015 et je vous expose les résultats auxquels j’ai abouti, sauf erreur de ma part :
– montant des marchés passés par la procédure de gré-à-gré ou par entente directe : 24 777 841 742 F CFA ;

-montant des marchés passés par la procédure exceptionnelle de l’appel d’offres restreint et accélérée : 5 195 202 743 F CFA.
Soit un montant total de 29 973 044 485 F CFA pour des marchés ayant fait appel aux procédures exceptionnelles.
Cette analyse ne porte que sur les contrats de gré-à-gré adoptés en conseil des ministres. Autrement dit, si l’on y ajoute les contrats de gré-à-gré dont les montants ne nécessitent pas une adoption en conseil des ministres, le total serrait beaucoup plus importants que ceux indiqués ci-dessus.

Je fais aussi remarquer à mes lecteurs que pour les grands travaux financés par les partenaires financiers tels que la BADEA, l’IDA, la BOAD et j’en passe, le gouvernement n’a d’autre choix que de respecter ses propres lois en matières de passation des marchés publics car les partenaires y veillent.
En effet, comme tout le monde sait, les marchés de gré-à-gré aboutissent toujours aux surfacturations, à des travaux mal exécutés, à la fraude sur les marchés publics et aux enrichissements illicites.
Les bailleurs de fonds suivent un indicateur de performance qui mesure la proportion des marchés passés en fonction du mode de passation.

En fin d’année, le taux des marchés passés par appels d’offres doit être strictement supérieur à 85% du total des marchés et les gré-à-gré strictement inférieur à 15%. Les marchés passés par la procédure de gré-à-gré ou par entente directe sont minutieusement examinés pour voir si les conditions sont bien remplies pour recourir à cette procédure exceptionnelle.
En conclusion, je ne suis qu’un citoyen qui a soif de comprendre. Répondez-moi s’il vous plaît. Je suis un citoyen convaincu que plus rien ne sera comme avant et que les règles doivent être respectées par tous, que les gouvernants doivent donner l’exemple et le bon.

Si j’étais à la place du Premier Ministre, je lancerai un appel d’offres international pour auditer les marchés passés sous la transition.
Merci de le faire, Excellence Monsieur le Premier Ministre afin de lever mes doutes.

Pamoussa Joanny KABORE

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