Aujourd’hui, c’est le 14 juillet, jour de la fête nationale française. A Ouaga, comme dans la plupart des capitales francophones d’Afrique, ils sont encore nombreux, à être conviés à la Résidence de France pour la commémoration de l’événement. Dans la capitale burkinabè, ce sera certainement l’occasion pour l’ambassadeur de France au Burkina, Gilles Thibault, de faire ses adieux, lui qui est en fin mission ; comme l’a déjà fait il y a une dizaine de jours son homologue américain, Tulinabo Mushingi, à l’occasion de la célébration du 4 juillet.
A l’instar de son homologue américain, Tulinabo Mushingi, qui a laissé entendre à ses interlocuteurs qu’il ne sera pas de la prochaine célébration du 4 juillet 2017 parce qu’il est en fin de mission ; l’ambassadeur de France au Burkina Faso, Gilles Thibault devrait en principe en faire autant ce 14 juillet à Ouagadougou.
La comparaison entre Tulinabo Mushingi et Gilles Thibault n’est pas fortuite. Les deux diplomates occidentaux ont présenté leurs lettres de créances le même jour, au même lieu et à la même personne. C’était exactement le 17 septembre 2013 au palais présidentiel de Kossyam. Naturellement, c’est le président burkinabè de l’époque, Blaise Compaoré, qui avait reçu leurs lettres de créances. Et de façon chronologique, c’est d’abord Son Excellence Mushingi qui a présenté ses lettres de créances au président Compaoré. Ce fut ensuite le tour de Son Excellence Thibault de se présenter devant l’ancien PF pour la remise officielle de ses lettres de créances. Evoluant tous les deux dans des systèmes diplomatiques et administratifs qui voudraient qu’il y ait changement d’ambassadeur tous les trois ans, il n’y a pas de raison que le représentant du président François Hollande reste plus de temps en poste à Ouaga que celui de Barack Obama. Il n’y aura probablement pas, de «lenga», pour reprendre l’expression de Mushingi, pour Thibault.
Du reste, le diplomate français lui-même ne s’en cachait pas depuis quelques mois. D’ailleurs, c’est cet argument d’être en fin de mission qui a été, quelque fois, avancé lorsque Son Excellence Thibault s’est retrouvé à l’accueil du président Roch Marc Christian Kaboré à Paris, lors de sa visite controversée d’avril dernier. De ce point de vue-là, il n’y a pas de doute que ce soit la dernière célébration du 14 juillet à Ouagadougou pour Gilles Thibault en tant qu’ambassadeur de France au Burkina Faso.
Il n’était pas n’importe quel ambassadeur à Ouaga
Gilles Thibault va donc faire ses adieux aux partenaires de l’ambassade de France au Burkina Faso. Et comme tous les adieux des personnalités de la trempe de Son Excellence Thibault, il y a toujours ce volet bilan qu’il ne faut jamais occulter. Et le diplomate français va sûrement en parler dans son allocution de ce jeudi soir.
Mais, que peut-on en dire, à notre niveau, en tant qu’observateur de la scène diplomatique nationale et internationale ?
Représentant d’un grand pays partenaire du Faso, au regard des liens historiques entre le Burkina et la France ; Gilles Thibault ne pouvait pas être comme n’importe quel ambassadeur accrédité à Ouaga, même si c’était son premier poste d’ambassadeur. Naturellement, il devrait être toujours consulté, écouté, sollicité et avoir ses entrées à Kossyam. Il s’est aussi efforcé de représenter dignement son pays au Burkina et lors de ses grands événements socio-politiques de ces dernières années. Arrivé au Burkina treize mois avant l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui a mis fin au régime du président Compaoré ; Thibault a été témoin du débat controversé sur la tenue ou non du référendum devant conduire à une révision de la Constitution et des manifestations pro ou anti-referendum. Il a aussi été témoin, et peut-être acteur indirect, du dénouement de la crise sociopolitique avec l’exfiltration du président déchu Blaise Compaoré, avec l’aide militaire française, vers la Côte d’Ivoire.
L’antipathie de Gilles Thibault pour la félonie
La France par l’intermédiaire de Son Excellence Thibault a ensuite été aux côtés du Burkina pendant la Transition, contribuant par exemple à l’organisation des élections du 29 novembre 2015. Dans son allocution du 14 juillet 2015, Gilles s’était fait le devoir d’insister sur la responsabilité des acteurs sociopolitiques burkinabè par rapport à ces échéances électorales. «En ces temps difficiles, nul ne doit servir des ambitions cachées», avait-il lancé en guise d’interpellation. De même, lorsqu’est survenue la crise de putsch du 16 septembre 2015, l’ambassadeur de France s’est également montré très entreprenant et volontariste, allant jusqu’à exfiltrer le président de la Transition Michel Kafando du giron des putschistes pour le garder en lieu sûr à la Résidence de France. En bon diplomate français, Son Excellence Thibault n’a jamais manqué de formule pour s’exprimer, quelle que soit la situation. Ainsi dans une interview accordée à nos confrères de L’Observateur Paalga au lendemain du putsch raté, il indiquait ceci, parlant du Général Gilbert Diendéré : «Je ne pouvais pas serrer les mains d’un Général félon». Mais, il ne faut pas être dupe. Car, si le putsch du 16 septembre 2015 avait prospéré, Son Excellence Thibault n’hésiterait pas à composer avec le Général Diendéré, dont on disait être l’homme de l’Hexagone au sein de la grande muette burkinabè.
Bilan positif mais moins glorieux
Bref, l’un dans l’autre, comme dirait quelqu’un, l’ambassadeur Gilles Thibault s’est battu comme il pouvait pour préserver et défendre les intérêts de la France au Burkina et renforcer la coopération franco-burkinabè. Ce qui lui a valu certainement d’être fait officier de l’ordre du mérite burkinabè, lui qui portait déjà la médaille de la Légion d’honneur française avant d’être nommé ambassadeur à Ouaga.
L’on peut qualifier son bilan de positif même si ce bilan ne semble pas aussi glorieux que ceux de ses prédécesseurs, que ce soit le Général Emmanuel Beth, François Goldblatt ou Maurice Portiche. Cette insuffisance de prestige n’est pas due forcement à la valeur intrinsèque de Son Excellence Thibault mais plus au contexte dans lequel il a évolué et qui était totalement différent de ceux dans lesquels ont évolué ses prédécesseurs. Et en voulant peut-être perpétuer une certaine tradition de la diplomatie française dans un contexte marqué par une défiance profonde des populations burkinabè vis-à-vis de leurs ex- dirigeants et de leurs soutiens ; Gilles n’avait pas grandes chances de marquer véritablement les esprits dans le nouveau Burkina, soucieux de son indépendance vis-à-vis des partenaires étrangers.
Ces couacs qui ont compliqué la mission de Son Excellence Thibault
Le contexte burkinabè ne semblait pas avoir changé avec l’arrivée du président Kaboré qui disait vouloir gouverner selon les aspirations populaires exprimées lors de l’insurrection des 31 et 31 octobre et non en fonction des désidératas de l’Hexagone. On s’en souvient, Kaboré avait été on ne peut plus clair à la veille de sa première visite officielle de travail en France en avril. Il ne partait pas, disait-il, à Paris pour recevoir des injonctions de Hollande mais pour discuter et défendre les intérêts du Burkina d’égal à égal avec ses interlocuteurs français. Un changement de donne qui explique plus ou moins les couacs et malentendus qu’il y a eus entre partenaires burkinabè et partenaires français sur la question par exemple du nombre des assaillants lors de l’attaque terroriste du 15 janvier 2016 ou de l’envoi d’éléments du GIGN français à Ouagadougou.
Comparaison n’est pas toujours raison. Mais, à la différence de Son Excellence Thibault, Tulinabo Mushingi des Etats-Unis a su plus s’approprier les aspirations des Burkinabè et se comporter en véritable ambassadeur du peuple américain auprès du peuple burkinabè, faisant quelque peu de l’ombre à Gilles dans une scène diplomatique nationale habituellement dominée par le représentant du locataire du palais de l’Elysée.
Grégoire B. Bazié
Burkina Demain