« Pour moi rien ne peut contrer la volonté, la détermination et la soif de liberté d’un peuple .Aucune arme, aucun canon ne peut stopper un peuple qui a soif de liberté, et aucune quête de liberté ne se fait sans sacrifice ». Voici planté le décor de cet entretien que nous avons eu avec un des héros de l’appel à la résistance contre le putsch du 16 septembre 2015, le jeune juriste Antoine Zong-Naba, conseiller du président de l’Assemblée nationale, Salif Diallo.
Joachim Batao ( J B) Présentez-vous à nos lecteurs ?
Antoine ZONG-NABA (A Z ): Brièvement, je m’appelle Antoine ZONG-NABA, je suis juriste en droit international et j’exerce en tant que consultant en conseil et stratégie d’entreprise. Je suis co-fondateur avec une amie d’un cabinet en communication et conseils en stratégie d’entreprise.
J B: Qu’est ce qui a motivé votre retour au pays après vos études en Suisse ?
A Z: Bah, il est tout à fait indiqué qu’après mes études, je rentre chez moi, me battre pour me frayer aussi un chemin. On part tous à l’extérieur pour étudier ou travailler mais le but final, c’est le retour au pays natal, seulement on n’a pas tous les mêmes agendas. Après mes études, j’ai cherché à avoir quelques expériences sur place. Par exemple, j’ai travaillé avec l’un des plus grands écrivains suisses, Alexandre Jollien. Avec lui, on a beaucoup voyagé, passé dans des émissions télés ou rencontrer de célèbres personnalités. Ensuite j’ai travaillé comme consultant junior dans un grand cabinet de consulting, Promind Consulting à Lausane. Puis, j’ai fait une immersion professionnelle de 8 mois à Washington. Pour ma part, ces petites expériences me permettaient de capitaliser ces acquis en valeur ajoutée dans mon pays.
J B : Comment vous êtes-vous retrouvé dans la lutte contre le coup d’Etat orchestré par Gilbert Diendiére ?
A Z: (Soupire). Disons, comme tout Burkinabè, on a tous été stupéfait quand dans l’après-midi du 15 septembre, on a appris que le RSP a séquestré les membres du gouvernement de la transition en plein conseil de ministres. Nous étions loin de penser que la situation était plus grave que les autres fois. Personnellement, je me suis dis comme c’était probablement ce conseil de ministres qui devait décider du sort du RSP, il s’agissait juste d’une revendication corporatiste. Au fil des heures, on s’est rendu compte qu’il s’agissait bel et bien d’un coup de force. J’étais abattu, complètement anéanti…
Avant de rentrer, mes patrons m’avaient déjà déconseillé de rentrer définitivement au regard des crises précaires en Afrique vu que nous étions entrain de sortir d’une transition politique qui n’a pas été facile sur le plan politico, socio-économique. Je répondais avec fierté que ce qui se passait dans les autres pays ne pouvaient jamais arriver à notre pays parce que je connaissais les valeurs patriotiques des Burkinabè. Cette situation est venue comme pour assassiner un espoir. J’avoue que je n’ai pas fermé l’œil une seule minute toute la nuit du 15 septembre.
Le matin du 16 Septembre, avec mon grand frère, nous appelions quelques amis pour répondre à l’appel de se rendre à la place de la révolution pour résister. La place de la révolution était imprenable, barricadée par les chars et pick up du RSP. Face à cette situation, mon cœur s’est déchiré encore plus. Que faire ? Certains disaient qu’il fallait retourner dans nos domiciles avec l’espoir que la communauté internationale condamne fermement le coup de force. C’est à cet instant que j’ai disparu cherchant voies de trouver un groupe pour monter notre mouvement de résistance.
Il y’avait des tentatives de rassemblement devant la cour du Moogho-Naaba mais qui était dispersé par le RSP… Toute la journée, nous avons mené des affrontements avec le RSP dans les quartiers environnants.
La nuit, je suis rentré à la maison pour me reposer à cause du couvre feu. Dès que je suis rentré, je n’ai même pas eu le temps de prendre une douche que mon téléphone a sonné. C’est un sms d’un membre de ma famille qui avait quelques entrées dans le milieu. Le sms me disait de disparaître immédiatement de la maison et trouver un autre lieu, car j’étais recherché. Il me dit débrouille-toi mais sauf la maison.
J B: Quel a été ton premier sentiment en recevant de tel message ?
A Z: Je ne pouvais jamais imaginer qu’un jour je me retrouverais dans une telle situation. J’étais devenu comme un fugitif, tenaillé par une angoisse extrême. J’avais l’impression que mes jours étaient comptés. Avec l’aide de mon grand frère, je me suis déguisé légèrement en empruntant quelques sentiers pour rejoindre le domicile d’un ami. J’ai passé la nuit chez cet ami et à 5h du matin je suis sorti rejoindre les camarades sur le pont menant à Larlé.
J B: Tu n’avais pas peur de tomber ?
A Z: Hum…(avec une gorge presque nouée) vous savez, je ne savais plus ce que je faisais en réalité… Je n’avais même pas réalisé que j’avais même mis tous mes proches en danger. Je n’avais peur de rien. Vous savez face à l’adversité extrême vous opposez une résistance naturelle qui va au delà de la peur… Je ne pensais plus ni passé, ni futur, je vivais l’instant présent. Vous avez certainement vu dans une de mes vidéos, je disais que ma vie n’est pas plus précieuse que celles qui sont dehors. Pourquoi ces jeunes sont dans la rue entrain de se battre et moi je vais me refugier à la maison attendant la fin pour sortir crier victoire. Je salue le courage de la population, car chacun dans son lieu respectif a joué un rôle capital pour faire échec à cette forfaiture.
Pour moi rien ne peut contrer la volonté, la détermination et la soif de liberté d’un peuple .Aucune arme, aucun canon ne peut stopper un peuple qui a soif de sa liberté, et aucune quête de liberté ne se fait sans sacrifice. Je me disais que c’est au prix du sang de certains d’entre nous que nous serons libres .Sankara a toujours été et restera un modèle pour les Africains, il a versé son sang parce qu’il croyait en un idéal, son peuple est devenu un peuple modèle pour l’Afrique. Que les idéaux de Sankara nous portent plus que jamais vers la victoire de la liberté sur l’oppression et la tyrannie. Dans mon cœur, je répétais que notre victoire dans ce qui se passe actuellement sera une leçon aux dictateurs et militaires putschistes. Ils comprendront qu’on n’opprime pas un peuple sous prétexte qu’on a l’armée. Je me disais aussi si on abandonnait, beaucoup d’autres feront pareil, le sang de nos martyrs ne doit pas être versé pour rien.
Pendant l’insurrections des 30 et 31 octobre 2014, je n’étais pas au pays, je regrettais tellement de n’avoir pas vécu sur place cette page historique. Je ne pensais pas que j’allais vivre une autre beaucoup plus rocambolesque.
Au pont Kadiogo donc, avec une dizaine de jeunes, nous nous sommes répartis les positions. Notre position était celle du pont juste après la messe des officiers menant à Larlé jusqu’à la cité an3… C’était des positions hautement stratégiques. En tenant les différents ponts dans ces quartiers, nous empêchions ainsi les déplacements du RSP dans les quartiers Nord de la ville. La situation n’a pas été du tout facile dans cette zone. Pour preuve, deux enfants sont tombés sous nos yeux. Un en face du mur du quartier des officiers collé au lycée Marien N’Gouabi et un autre vers le Rond point du 2 Octobre. J’ai fais une semaine dehors sans pouvoir rentrer chez moi.
J B: Quel souvenir vous anime aujourd’hui ?
A Z: Je le revis comme si c’était hier… C’est une période triste et sombre de l’histoire de notre pays… Mais cette épreuve a donné naissance aux plus beaux actes d’héroïsme de la vaillante jeunesse de notre peuple et qui a permis la libération totale et définitive du pays de l’ordre ancien chassé du pouvoir les 30 et 31 octobre 2014. Ce coup a donné l’occasion de terminer le processus de l’insurrection en coupant la tête de l’organe névralgique du pouvoir Compaoré qui était le RSP.
J B : Votre particularité dans cette résistance était le fait que vous postiez des vidéos régulièrement, on vous a même vu et entendu sur des medias internationaux, pourquoi cela ?
A Z: Avez vous remarqué qu’à chaque coup d’Etat, le premier reflexe des putschistes, c’est contrôler les médias publics ou souvent même privés ? Les spécialistes en guerre disent que l’art de la guerre à toujours été tributaire de la capacité des armées à communiquer. Elle requiert la maitrise des réseaux de communication. Il se trouve que nous avons de nos jours un canal extrêmement puissant, plus puissant même que la télé et la radio. Il s’agit des réseaux sociaux particulièrement Facebook qui est très utilisé au Burkina et aussi dans le monde.
Justement, grâce à facebook les vidéos que j’ai publiées ont été vues par des milliers de personnes en quelques minutes et partout dans le monde. C’est ainsi que j’ai été contacté par France24, TV5, CNN et même une radio-télé chinoise… (rire)
J B : Vous pouvez-donc être considéré comme un héros de cette résistance ?
A Z: Non pas du tout. Je vous ai dit que les vrais héros sont nos martyrs. Ce sont les veuves, les orphelins, les familles qui continuent aujourd’hui de pleurer la mort de leurs proches. Les héros, c’est toute la jeunesse burkinabè de l’intérieur comme de l’extérieur, c’est toute la population du Burkina. Chacun a payé un prix pendant ces épreuves. Nous, on l’a fait vraiment parce qu’on aime notre pays et qu’on ne voulait pas voir l’avenir de notre cher patrie sombrer. Car un coup d’Etat dans un pays c’est mettre en retard le pays de 50 à 100 ans. Et cela allait être vraiment dramatique pour l’avenir de la jeunesse de notre nation.
J B: Parlant justement des martyrs, pensez- vous que justice sera faite un jour pour vos camarades tombés sur le champ de bataille ?
A Z: J’ose croire aux hommes et aux femmes qui animent la justice de notre pays. On parle de l’indépendance de la justice, il me semble bien que les autorités ne peuvent s’immiscer dans les procédures judiciaires comme au temps du régime Compaoré. Quand on parle de justice aujourd’hui, on ne peut accuser ni le Président Roch Marc Christian Kabore, ni le ministre de la justice, la balle est dans le camp des juges. Il leur revient de travailler sérieusement pour rétablir la confiance du peuple en cette institution. De toute façon le procureur du Faso l’a signifié avant-hier. Ce dossier sera jugé avant la fin de l’année. Je suis confiant.
J B : Que pensez-vous des libérations provisoires constatées ces derniers temps ?
A Z: Vous savez la justice à ses paramètres et il n’est pas donné à tout le monde de comprendre. Libération provisoire ne veut pas dire que la personne est acquittée et qu’elle ne sera pas jugée. Loin de là.
J B: Certains disent que vous avez été récompensé ou achetez par Salif Diallo qui est aujourd’hui votre mentor.
A Z: Hoo vous savez, on ne peut pas empêcher les gens de dire ce qu’ils pensent. Mon engagement en faveur de ce parti date du moment de la démission de Salif et de Roch du CDP. Leur rupture avec ce parti était pour moi le début d’un changement. Et qu’enfin tous ceux qui ont lutté pendant des années pour qu’il y ait un vrai changement au Burkina Faso, l’heure venait de sonner. C’était le moment de se retrouver et de constituer une chaine pour faire bouger les choses. Avant le coup d’Etat , j’étais militant actif du MPP et par ailleurs, membre du bureau de la section de Suisse. Je suis entré en politique pour un idéal. Mon militantisme ne date pas d’aujourd’hui pour ceux qui me connaissent. Je suis social démocrate dans l’âme.
J’affirme que je suis membre fondateur du syndicat des élèves appelé AESO (association des élèves scolaires de Ouagadougou). Les gens de ma génération savent que durant les évènements de l’assassinat de Norbert Zongo, combien certains camarades et moi, avons mené la lutte pour que justice soit faite sur ce crime. Ce fut des moments difficiles et âpres en lutte. Certains promotionnaires de mon lycée m’avaient même surnommé AESO. Si aujourd’hui, je suis conseiller du président de l’assemblée nationale, ce n’est pas parce que nous avons mené le combat contre la bande de Diendéré et que Salif Diallo a voulu me corrompre ou me faire taire vu mon engagement politique par ce poste comme le disent certaines personnes sur les réseaux sociaux.
J B: Mais on dit que vous êtes très proche de lui ?
Ca veut dire quoi être très proche de lui ? Contrairement à ce que vous pouvez imaginer, c’est un homme extrêmement simple, qui aime les relations humaines. Il sait motiver, et n’hésite pas à mettre les gens à l’épreuve. Je crois que de par sa longue expérience il arrive facilement à détecter assez rapidement le vrai du faux. Il faut juste être sérieux et il n’y a aucun problème à s’entendre avec lui. Je suis fier effectivement de mériter sa confiance, pas seulement lui mais aussi celle de la famille politique MPP.
Propos recueilli par
Joachim Batao
Mathias Lompo