Y a-t-il matière à revenir sur l’historique des dossiers judicaires relatifs au coup d’Etat avorté du 16 septembre 2015 ? Assurément non ! Cependant il convient de s’interroger sur certains éléments qui font toujours l’objet de contestation dans la procédure, en l’occurrence les supposées écoutes téléphoniques.
Bientôt une année après le début de la procédure judiciaire relative au coup d’Etat du Général Diendéré, la justice militaire du Burkina Faso garde toujours le mystère sur l’authenticité des supposés enregistrements téléphoniques qui sont en sa possession et sur la base desquels le juge d’instruction militaire a procédé, à des arrestations, des inculpations et a même lancé des mandats d’arrêts internationaux.
Le fait-il à dessein ? Ou y a-t-il de réels obstacles à expertiser ces bandes de supposées écoutes téléphoniques qui suscitent aujourd’hui tant de doutes et de contestations ?
On se souviendra que c’est le 12 novembre 2015, soit un mois et demi après le début de la procédure judiciaire relative au coup de force du 16 septembre, que les réseaux sociaux et les presses nationales et internationales ont été inondées de ces supposées conversations téléphoniques mettant en cause Monsieur Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire et le Général de gendarmerie Djibril Yipènè Bassolé, détenu depuis le 29 septembre 2015 à la Maison d’Arrêt et de Correction des Armées (MACA). Les avocats de ce dernier confirment l’apparition dans le dossier judiciaire de la retranscription de ces supposées conversations téléphoniques. Les observateurs avertis s’étonnent alors du fait que les écoutes téléphoniques et leurs retranscriptions sensées être le produit des enquêtes ordonnées par la commission rogatoire du 28 septembre 2015 du juge d’instruction militaire soient largement diffusées par les medias, toute chose qui met en mal leur usage en matière judiciaire.
Outre cette publication, apparemment organisée, de la pièce maitresse de ce dossier, le Premier ministre de la Transition, Monsieur Yacouba Isaac Zida, et le président du Conseil national de Transition (CNT) Sy Cherif, s’évertueront par voie de presse, à convaincre l’opinion publique sur l’authenticité de ces bandes qu’ils ont certainement détenu et manipulé pendant que l’enquête judiciaire était en cours. Une situation que l’on condamne avec énergie, car ces deux autorités ont outrepassé leur prérogatives pour influencer le cours d’une procédure de justice, mettant en cause le principe de séparation des pouvoirs, pourtant garanti par notre constitution.
Dès lors, les avocats de Djibril Bassolé se sont trouvés en droit de dénoncer l’irrégularité et les origines douteuses de ces supposées écoutes téléphoniques. Ils demandent par conséquent au juge d’instruction militaire l’exclusion de la procédure judiciaire de ces supposées conversations téléphoniques. Les équipes de communication des deux personnalités mises en cause n’ont, elles aussi cessé de contester l’authenticité de cet enregistrement sonore qu’on taxe d’écoutes téléphoniques.
Au regard, des contestations qui entourent ces supposées écoutes téléphoniques, et de l’exploitation médiatico-politique qui en a été faite au cours au cours de l’enquête sur la commission rogatoire, une expertise d’authentification s’avérait nécessaire. Mais, à la grande surprise de l’opinion nationale et internationale, le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire déclarait au cours d’une conférence de presse le 7 février 2016, soit 5 mois environ après l’ouverture du dossier : « jusqu’à preuve de contraire nous n’avons pas authentifié ces écoutes » Il précisera en outre que « les sons sont toujours sous scellés. » Et ce jusqu’aujourd’hui.
Selon des indiscrétions de sources judiciaires, ces supposées écoutes téléphoniques en l’occurrence celles mettant en cause messieurs Bassolé et Soro, ont été transmises au juge sur une clé USB et qu’il ignorerait l’origine tant de la clé que de son contenu. Mais qu’il lui a été demandé de les considérer dans le dossier Bassolé. Pire encore, elles n’ont pas encore été authentifiées par ce dernier, 11 mois après la réception de l’élément sonore.
A analyser de près cette situation, en l’occurrence le « mouta-mouta » sur l’authentification de ces supposées écoutes, quatre explications en découlent.
Primo, une véritable expertise d’authentification doit se faire nécessairement sur le support original de l’enregistrement. Ce qui suppose de connaitre son origine or le juge ne détient en ce moment qu’une clé USB qui lui aurait été transmise officiellement par les officiers de police judiciaire (OPJ) enquêteurs. Ceux-ci gardent soigneusement, jusque-là, le mystère sur l’origine de l’interception téléphonique et donc de l’enregistrement qui n’ont d’ailleurs pas été ordonnés par le juge comme l’exigent les textes burkinabè. Le mystère qui entoure l’origine de ces écoutes peut expliquer l’absence d’enthousiasme à les authentifier.
Secundo, Selon des indiscrétions, la clé USB parvenue au juge d’instruction militaire ne contiendrait qu’une copie du supposé enregistrement, que l’ancien Premier ministre Zida et ses collaborateurs ont détenu, manipulé, exploité à des fins extra judiciaires, à savoir la diffusion sur internet. C’est après ce forfait alors qu’il a donné instructions au juge militaire de les utiliser dans le dossier. Lesquelles instructions consistaient pour le juge de trouver une formule afin de régulariser leur insertion dans le dossier judiciaire en cours. Une action qui ne saurait être possible sans passer par l’établissement de la vérité sur la nature des bandes.
Tertio, il y a donc de très fortes probabilités que les éléments sonores que détient le juge d’instruction militaire soient les mêmes que ceux qui circulent dans les médias et les réseaux sociaux et qui ont fait l’objet d’expertise privée par les avocats de Bassolé. Le tribunal militaire redoute qu’une expertise légale d’authentification aboutisse à la même conclusion que celle effectuée par Maitre William Bourbon, un des avocats de Bassolé, auprès de l’expert français en acoustique Norbert Pheulpin. Une expertise qui conteste de façon formelle l’intégrité de la pièce audio concernée. L’expert a conclu en ces mots « Celle-ci ne peut être présentée comme étant l’enregistrement intègre d’une interception téléphonique classique » et de préciser « l’hypothèse d’une intervention de type montage peut être objectivement retenue ». Autrement dit, c’est du faux !
Quarto, la détention prolongée du Général Bassolé (un an à la date du 29 septembre 2016 prochain) sur la base uniquement d’écoutes téléphoniques contestées met clairement le tribunal militaire dans l’embarras. Le juge d’instruction militaire préfère naturellement, ne prendre aucun risque à authentifier les enregistrements des supposées conversations téléphoniques, qui même s’ils s’avéraient véridiques, seront toujours juridiquement contestables donc contestés, du fait qu’ils ont été effectués ou obtenus de manière illégale. Il semble préférer s’en remettre à la juridiction de jugement qui dans son rôle de trancher, tranchera. Or l’on sait que trancher dans une affaire hautement politique telle celle de l’affaire Bassolé ne saurait être synonyme de vérité ni de droit. Une éventualité qui met à mal son objectivité donc sa dignité.
De ces points d’analyse, l’on est en droit de croire que cette question d’écoutes téléphoniques risque à n’en point douter, de porter un autre coup dur à la crédibilité de la juridiction militaire de notre pays. En effet, il convient de se rappeler qu’au cours de la présente procédure judiciaire, le tribunal militaire a subi des revers non négligeables. Et ce concernant notamment l’éviction des avocats étrangers et l’émission d’un mandat d’arrêt contre Guillaume Soro.
Il ne fait aucun doute que la tentative d’insertion de ces supposées écoutes téléphoniques aux origines douteuses connaitra le même sort. Le principe de judiciarisation des écoutes (toute écoute effectuée par une autorité publique doit être décidée par un magistrat) et celui de la loyauté de la preuve en matière pénale (l’autorité publique ne peut recueillir des preuves en dehors du cadre légal) sont deux arguments qui militeront certainement en faveur de la défense du Général Bassolé, même si le juge refuse de procéder à une expertise de vérification de leur nature.
Peuple Burkinabè, la justice qui fera de nous le peuple intègre que nous sommes, est celle qui sera faite sur la vérité.
Lassina Ko
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