Les mois ont passé, mais certaines questions sont restées sans réponse. Comment Karim Wade a-t-il rejoint le Qatar le 24 juin, après sa sortie de prison ? Qu’a-t-il négocié ? Quand va-t-il rentrer ? Enquête et révélations. karim

Jeudi 23 juin 2016. Dans sa cellule de la prison de Rebeuss, à Dakar, Karim Wade est déjà couché quand le colonel Daouda Diop, directeur de l’administration pénitentiaire, et le directeur de la maison d’arrêt, Lamine Diop, font irruption, vers 22 heures. « Vous serez libéré cette nuit », lui annoncent les deux officiels. Depuis trois semaines, au Sénégal, les rumeurs vont bon train.

Vers 23 heures, les deux hommes sont de retour dans la cellule, accompagnés d’un agent du ministère des Affaires étrangères équipé d’une valise métallique imposante. « Ils l’ont informé qu’ils avaient ordre de lui établir le soir même un passeport diplomatique », assure un proche de Karim Wade. Les photographies d’identité et la prise d’empreintes digitales sont donc effectuées dans la prison de Rebeuss, à quelques dizaines de minutes de sa libération. « Ils ont fait de lui, en une nuit, leur ambassadeur au Qatar », ironise l’un de ses amis en évoquant ce passeport diplomatique inattendu – que Jeune Afrique a pu consulter.

La suite est connue. Vers 1 h 30 du matin, soucieuses d’éviter un attroupement populaire et la curiosité des médias, les autorités sénégalaises lancent un leurre. Tandis qu’un 4×4 aux vitres teintées s’engouffre à vive allure sur la corniche ouest, qui borde la prison de Rebeuss, c’est dans le véhicule du directeur de la maison d’arrêt que Karim Wade est discrètement exfiltré de son lieu de détention, via une porte dérobée.
Empruntant les ruelles des quartiers populaires de Gueule-Tapée et de la médina, le véhicule gagne ensuite la route de Ouakam pour arriver finalement aux Almadies, chez l’avocat Madické Niang, ancien ministre et homme de confiance d’Abdoulaye Wade, très introduit à Touba, la capitale du mouridisme.

Le temps de recevoir les bénédictions adressées, via son fils Serigne Moustapha Mbacké, par l’autorité religieuse la plus influente du pays, et Karim Wade reprend la route jusqu’au tarmac de l’aéroport, où l’attend un jet affrété par les autorités du Qatar. Il est accueilli par le procureur général de l’émirat, tandis que les autorités pénitentiaires sénégalaises l’escortent jusqu’à la passerelle, comme les videurs d’une boîte de nuit raccompagneraient un client indélicat. Fin du premier acte.

Soutien infaillible

Dès le lendemain matin, face à l’effervescence médiatique, le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, donne une conférence de presse. Karim Wade est-il parti au Qatar de son plein gré ? A-t-il fait escale à Paris, où résident ses parents et ses trois filles, orphelines de mère ? « Une fois gracié, Karim Wade est libre d’aller où il veut, au Sénégal ou ailleurs. Si vous voulez savoir où il se trouve, allez lui poser la question », répond le garde des Sceaux aux journalistes. Cette fin de non-recevoir ne décourage pas les médias sénégalais, curieux de savoir quel accord a pu être noué entre le Sénégal, le Qatar et l’entourage de Karim Wade.

Aux nombreux commentateurs qui soupçonnent alors l’existence d’un « protocole de Doha » – en référence à un présumé « protocole de Rebeuss » qui aurait scellé, en 2006, la libération et la mise hors de cause de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck dans l’affaire des chantiers de Thiès, après sept mois de prison –, Seydou Guèye, le porte-parole du gouvernement, rétorquera quarante-huit heures plus tard que « le gouvernement du président Macky Sall n’a pas pour culture de faire dans le deal », rappelant que plusieurs centaines de détenus bénéficient chaque année d’une grâce présidentielle.

Les proches de l’intéressé ont une tout autre version de l’histoire. Si plusieurs dirigeants africains – comme Alassane Ouattara, Denis Sassou Nguesso ou Mohammed VI – ont eu l’occasion de plaider auprès de Macky Sall la cause du fils d’Abdoulaye Wade au temps de sa détention, un homme fera de sa libération une affaire personnelle : Cheikh Tamim Ibn Hamad Al Thani, 36 ans. Il a succédé à son père en tant qu’émir du Qatar en 2013, l’année où Karim Wade a été incarcéré.

Les deux hommes, que seulement douze années séparent, se connaissent bien et s’apprécient. Sa nomination à la tête de l’Association nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci), en 2004, avait en effet permis à Karim Wade de développer un épais carnet d’adresses dans les pétromonarchies du Golfe. « Il est lié à d’autres dignitaires de la région, mais l’émir du Qatar a mis tout son poids dans la balance », assure un proche. C’est également lui qui, depuis la sortie de prison de l’ancien ministre, met à sa disposition une résidence à Doha.

Anderson Koné
Burkina Demain
Source: Jeune Afrique

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