Le Burkina Faso vient de marquer un important coup dans son redéploiement diplomatique vers l’Orient, en rouvrant, ce 20 février 2017 à Moscou, son ambassade, fermée en 1996 pour «raisons budgétaires». C’est véritablement le clou de ce rapprochement conjoncturel accéléré et continu entre Kosyam et le Kremlin, entamé vers la fin du régime du président Blaise Compaoré.
Vu du côté burkinabè, c’est apparemment important cette réouverture ce 20 février 2017 de notre ambassade à Moscou, jadis l’une des places fortes pour la diplomatie nationale, surtout du temps de la Révolution. En effet, aujourd’hui, comme à l’époque de la Grande Union soviétique, Moscou est devenue incontournable dans les relations internationales. Et dire que même les Grands Etats-Unis de Donald Trump souhaitent entretenir de bonnes relations avec la Russie de Vladimir Poutine. Si ce rapprochement Washington –Moscou devrait échouer, ce serait la faute des journalistes, à en croire le président Trump.
Dans un tel contexte, la réouverture de notre ambassade dans la capitale russe était stratégiquement indiquée. Pour le ministre burkinabè des Affaires étrangères et des Burkinabè de l’Etranger, Alpha Barry, qui a fait, pour la circonstance le déplacement de Moscou ; les objectifs sont clairs. Il s’agit de relancer véritablement les relations entre le Burkina Faso et la Fédération de Russie. Des relations diplomatiques dont la naissance remonte déjà à une cinquantaine d’années.
Dirigée par l’ambassadeur Antoine Somdah, l’ambassade du Burkina à Moscou nouvellement inaugurée a compétences sur 9 Etats orientaux ; cela conformément aux dispositions du décret du 28 décembre 2015 portant définition des juridictions des missions diplomatiques du Burkina Faso en Russie (Moscou). Il s’agit notamment de la Fédération de Russie, la République d’Ukraine, la République de Biélorussie, la République de Kazakhstan, la République de Kirghizstan, la République de Mongolie, la République d’Ouzbékistan, la République du Tadjikstan et de la République de Turkménistan.
Aboutissement d’un processus de rapprochement accéléré
La réouverture de l’ambassade du Burkina Faso à Moscou est l’aboutissement, faut-il le rappeler, d’un processus de rapprochement accéléré continu entamé vers la fin du régime du président Blaise Compaoré. Nous sommes en 2013. Le gouvernement burkinabè décide le 8 janvier en conseil des ministres de la réouverture de l’ambassade à Moscou. Dans la foulée, Antoine Somdah, ex-secrétaire général de l’Institut des hautes études internationales (INHEI) et ancien premier conseiller à la mission permanente du Burkina Faso auprès des Nations Unies, est nommé ambassadeur à Moscou.Très vite, les choses s’accélèrent et certains observateurs avaient trouvé cela suspect, au regard du contexte de l’époque.
En effet, l’annonce est intervenue à un moment où les excellentes relations entretenues par le Burkina avec les pays occidentaux depuis la chute du mur de Berlin au début des années 1990, avaient commencé à prendre un coup avec les velléités de plus en plus affichées du pouvoir burkinabè de modifier la Constitution afin de permettre au président Blaise Compaoré de se représenter à l’élection présidentielle de 2015.
Il fallait alors réchauffer les relations avec la Russie, une puissance onusienne détentrice de droit de véto, cela en cas de divorce avec les puissances occidentales, attachées au principe démocratique de l’alternance à la tête des Etats. Malgré ces observations gênantes, le rythme du rapprochement de Ouaga avec Moscou ne baisse pas. Et le 7 mars 2014, le nouvel ambassadeur Somdah présenta ses Lettres de créance aux autorités diplomatiques moscovites. C’est Mikhail L. Bogdanov, vice-ministre des Affaires étrangères de Russie qui les avait reçues, souhaitant à Antoine Somdah la bienvenue à Moscou.
La suite pour les autorités burkinabè de l’époque, on la connaît… Il y a eu l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et le président Compaoré s’est exilé en Côte d’Ivoire. Mais, toujours est-il que le projet de la réouverture de l’ambassade a été maintenu par ses successeurs. Ce qui a rendu possible la réouverture effective de l’ambassade le 20 février dernier. Au grand bonheur des Burkinabè de Russie qui ne sont pas restés inactifs de leurs côtés. Puisqu’ils vont redynamiser leur structure associative en renouvelant ses instances dirigeantes, désormais conduites par Cheick Oumar Zoungrana.
Rapprochement serré avec Moscou démocratiquement risqué
A priori, la réouverture de l’ambassade du Burkina à Moscou n’est pas une mauvaise option, si tant est que l’objectif,c’est de défendre les intérêts du pays dans cette partie du monde. Surtout dans un contexte où les puissances occidentales, sous la houlette du nouveau président américain, ne veulent plus ou n’ont plus les moyens de défendre leur ordre international libéral, au grand bonheur des autorités de Moscou qui rêvaient depuis longtemps de ce nouvel ordre international où elles joueraient un plus grand rôle sur la scène internationale. La «poutinisation» du monde est en marche et le Burkina n’a peut-être pas intérêt à se tenir en marge. Et si les autorités burkinabè s’y mettent et défendent comme il se doit les intérêts du pays, ils seront parfaitement en phase avec le nouveau paradigme des relations internationales, défendu aussi bien à Washington qu’à Moscou. Il s’agit de la primauté des intérêts nationaux sur ceux multilatéraux.
Seulement la démocratie telle que nous la concevons fait difficilement bon ménage avec la démocratie à l’orientale telle que prônée et pratiquée à Moscou où peu d’importance est accordée à l’alternance politique pour laquelle les Burkinabè ont fait leur insurrection des 30 et 31 octobre 2014. Or, si l’on devrait suivre la logique de la démocratie russe sous Poutine ; les Burkinabè devraient par exemple s’attendre à ce que Roch Marc Christian Kaboré cède en 2025 (s’il est réélu entre-temps en 2020) son fauteuil au Premier ministre Paul Kaba Thiéba pour qu’il assure les affaires courantes du pays jusqu’en 2030 et à ce qu’il revienne après le récupérer et continuer à gérer tranquillement le Burkina Faso comme il l’entend, sans que personne ne puisse broncher. Un Burkina Faso qui pourrait ainsi se retrouver avec une presse et une opposition muselées. Nous touchons du bois, mais ce sont là des risques d’une perspective de rapprochement serré entre Kosyam et le Kremlin.
Grégoire B. Bazié
Burkina Demain