Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont, pour la onzième fois, refusé la liberté conditionnelle demandée par Laurent Gbagbo. Cette nouvelle décision n’a pas été prise à l’unanimité: le président de la Chambre qui s’est déclaré en faveur de sa libération.
Les juges Olga Herrera Carbuccia et Geoffrey Henderson estiment que l’ancien président ivoirien pourrait profiter d’une éventuelle libération pour prendre la fuite, grâce notamment à son « réseau » de supporters, et parce qu’il risque, devant la Cour, la prison à vie. Pour le président de la Chambre, Cuno Tarfusser, tout milite au contraire pour une mise en libération, sous condition, de l’ancien chef d’Etat.
Depuis le début du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, en janvier 2016, les noms de témoins protégés ont été révélés sur les réseaux sociaux. Cinq d’entre eux avaient néanmoins été divulgués par inadvertance par la Cour elle-même. L’un de ces témoins était un ancien officier, devenu ambassadeur, tandis qu’un autre était parlementaire. Plus qu’une protection sécuritaire, la Cour leur avait donc offert une sécurité politique en acceptant qu’ils déposent sous pseudonyme. Au cours des derniers mois néanmoins, les juges ont, à plusieurs reprises, refusé des demandes de protection visiblement abusives.
Mais l’activisme des partisans de Gbagbo autour du procès n’a pas pour autant cessé. Les juges leur reprochent aussi de financer et d’organiser des manifestations en faveur de leur mentor, dont la dernière à La Haye remonte à la reprise du procès le 6 février. Ils évoquent aussi la pétition en faveur de l’accusé, dont les organisateurs, l’écrivain ivoirien Bernard Dadié, et le Premier ministre togolais Joseph Koffigoh, revendiquent 26 millions de signatures. Enfin, si pour les deux juges, il n’existe « pas de preuves spécifiques » que Gbagbo aurait l’intention de fuir, la gravité des charges portées contre lui « impliquent que M. Gbagbo passera le reste de sa vie en prison » en cas de condamnation. Il pourrait donc décider de fuir pour éviter un tel scénario.
Pas de verdict avant 2022
Le président Tarfusser trouve la formule de ses collègues « étonnante » sur le fond et « radicale » sur la forme et rappelle que jusqu’ici, Laurent Gbagbo est présumé innocent. Les textes de la Cour, comme c’est aussi le cas dans de nombreux pays, rappelle-t-il, indiquent qu’un accusé doit être jugé dans « un délai raisonnable », sans qu’il ne soit réellement défini. Aux juges donc de décider du « raisonnable ». Et pour le président Tarfusser, cette limite « a été atteinte ». Laurent Gbagbo a déjà passé plus de cinq ans en détention, écrit-il. Pointant les défaillances du procureur, il rappelle que l’ancien président a passé 925 jours en prison avant d’être formellement mis en accusation. A l’époque, l’accusation avait été invitée à revoir sa copie, et avait dû relancer son enquête, jugée bien trop faible.
Le juge Tarfusser, qui au cours des audiences semble toujours courir après le temps, ajoute en outre que le procureur bouclera au plus tôt mi-2019 la présentation de tous ses témoins à la Cour. Ce sera ensuite aux avocats des deux accusés de faire valoir leur thèse, avant que le verdict ne soit prononcé. Pour Cuno Tarfusser, une trop grande flexibilité pourrait « ouvrir la porte à des abus auxquels nous ne voudrions pas voir associer » la Cour. Il ajoute que l’âge de l’accusé, 71 ans, et sa santé justifient aussi une mise en libération. Sous la plume du juge Tarfusser, on ressent les tensions au sein de la Chambre.
Nul doute que les avocats de l’ancien président tenteront, forts de cette « opinion dissidente », une nouvelle fois d’obtenir la libération de Laurent Gbagbo. Mais pour que cela soit possible, il faut qu’un Etat accepte de l’accueillir, garantisse qu’il ne prendrait pas la fuite et soit assez proche de la Cour pour permettre à Laurent Gbagbo de rejoindre chaque matin d’audience le box des accusés.
Anderson Koné
Burkina Demain
Source: rfi