Des Nigérians du recul de leur pays sur l'échiquier régional

Nous nous interrogions il y a quelques jours sur le rôle que le Nigéria, avec un président Muhammadu Buhari en pleine forme, pouvait jouer dans la mise en place de la force G5 Sahel. Mais, il y a un autre domaine dans lequel le Nigéria, avec l’absence prolongée de son président pour raisons sanitaires, risque gros en termes d’hégémonie et d’influence régionale. Il s’agit de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dont Abuja avait toujours  été le pivot  depuis la création en 1975.

Abuja n’était pas représenté au plus haut niveau au sommet de Monrovia qui a entériné l’admission du Maroc à la CEDEAO

De par son poids économique et démographique, le Nigéria a toujours joui d’un statut de superpuissance en Afrique de l’Ouest. De ce fait, Abuja occupait une place prépondérante sur les grandes questions de la région.

Mais, depuis quelque temps, avec la maladie du président Muhammadu Buhari, en hospitalisation prolongée à Londres, le géant semble faire du surplace sur des grandes questions. Comme la sécurité. En témoigne le récent sommet du G5 Sahel de Bamako sur la mise en place de la force où il n’a vraiment pas été question du Nigéria qui fait frontière avec pays du G5 Sahel : le Niger et le Tchad. Pendant quela France, ex-puissance coloniale des 5 Etats du G5 Sahel (Burkina Faso, Niger, Mali, Mauritanie et le Tchad), était représentée au plus haut niveau par son président, Emmanuel Macron.

L’autre volet sur lequel le Nigéria risque de perdre de son hégémonie, c’est l’économie. Avec notamment l’admission avancée du Maroc au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dont Abuja abrite le siège. Décidée sans difficultés lors du 51e sommet de l’organisation à Monrovia le 4 juin dernier,  en l’absence du président Buhari, cette admission marocaine va bouleverser les rapports économiques au sein de la zone CEDEAO. Désormais, Abuja ne sera plus seule à jouir du statut de superpuissance. Il faudra aussi compter avec Rabat.

Attention à la réaction  d’Abuja ?

A Abuja, Lagos ou ailleurs sur le territoire nigérian ou à l’étranger, certains commencent à vivre mal ce recul hégémonique du Nigéria et tentent de résister. C’est le cas d’un groupe d’anciens ambassadeurs qui s’organiseraient pour bloquer cette entrée du Maroc dans l’espace CEDEAO. Comme argument, ils évoquent le fait que le Maroc ne relève pas de l’espace géographique ouest-africain. Et ils plaideraient même déjà en cas d’échec du blocage de l’admission du Maroc, à une réduction drastique de la contribution du Nigéria au budget de la CEDEAO, estimée à 75%.

On le voit, l’affaiblissement du Nigéria sur la scène sous- régionale du fait de la maladie du président, profite  à d’autres entités. Le mécontentement n’est pas encore général au point d’être récupéré par des politiques. Mais, cela ne saurait tarder et le débat de plus en plus grandissant sur la santé du président n’est pas fortuit. Cela préfigure d’une révolution au sommet de l’Etat à même de permettre au Nigéria de reprendre toute sa place dans la région. Et tous les acteurs internationaux qui profitent de la situation d’effacement actuelle du Nigéria ont intérêt à ménager Abuja car sa réaction risque d’être terrible. Aussi bien pour ces acteurs internationaux et leurs valets régionaux.

Les Nigériens qui ont de la mémoire peuvent peut-être, se rappeler les évènements des années 77 aux Nations-Unies. Pour les faits, en septembre 1977, le Niger,avec le soutien de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) d’alors, est candidat au poste de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. En principe Niamey, était en droit d’attendre de son voisin nigérian un soutien pour cette candidature.

Mais, Abuja, qui voyait en cette candidature nigérienne une instrumentalisation de l’extérieure, décida de passer outre pour présenter sa propre candidature, au grand dam de Niamey et d’Addis Abeba. Il en est résulté une confrontation fratricide à New-York, où finalement c’est le Nigéria qui avait réussi à se faire élire au cinquième tour du scrutin, membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, avec le soutien des Etats- unis et des pays latino-américains. L’objectif du Nigéria à travers ce forcing à l’époque, c’était de conserver son influence au niveau régional et international.

La Cédéao agrandie dans l’entente sera encore plus forte

Il est vrai, pour revenir au Maroc, que ce pays, aujourd’hui, plus que jamais, fort de sa présence économique dans plusieurs pays de la région (Côte d’Ivoire, Guinée, Sénégal, Gambie, Burkina Faso, etc.) dispose d’atouts réels pour intégrer la CEDEAO, qui est aussi une organisation économique, au-delà de l’aspect géographique. L’admission du Maroc va renforcer certainement le poids économique de la CEDEAO et le Nigéria ne sera plus seul à supporter la plus grande partie des charges. Puisque la contribution du Royaume chérifien sera également proportionnelle à son poids économique.

Mais, pour autant, il ne faudra pas que les Nigérians aient l’impression que l’on profite de leur malheur pour leur imposer des concurrents. Il faudra donc les ménager pour que cette entrée du Maroc ne soit pas facteur de division au sein de l’organisation, de sorte que l’on se retrouve avec des Etats pro-marocains et des Etats pro-nigérians. Mais, plutôt que cette admission du Maroc soit plus un facteur de renforcement de la stabilité économique de l’Afrique de l’Ouest. On ne le dira jamais assez, l’union dans l’entente fait la force.

Philippe Martin

Burkina Demain

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.