Pour savoir où l’on va, il est recommandé de savoir d’où l’on vient. Alors que l’on attend de savoir le discours que prononcera le président français Emmanuel Macron prononcera, ce mardi à l’Université Ouaga I Joseph Ki-Zerbo, sur les relations franco-africaines ; il n’est pas inopportun de revisiter le discours de son prédécesseur François Hollande. Discours prononcé le 12 octobre 2012 à Dakar.
«Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les membres du corps diplomatique,
Mesdames et Messieurs,
Je mesure l’honneur que vous me faites en m’invitant à m’exprimer au sein de votre Assemblée. J’y vois un double symbole, celui de la vitalité de votre démocratie et celui de la force du lien qui unit nos deux pays.
J’effectue ici, à Dakar, mon premier déplacement en Afrique depuis l’élection qui m’a porté à la présidence de la République française. Ce choix est celui de l’amitié. Il est aussi et surtout celui de l’avenir.
Note amitié est fondée sur notre histoire. Une histoire belle, cruelle, rebelle.
Une histoire qui nous lègue une langue en partage, mais aussi une culture politique en commun.
Je pense en cet instant à Blaise Diagne, et à ses successeurs, qui ont activement participé aux travaux du parlement français après la guerre. Je pense à Léopold Sédar Senghor qui fit partie du comité chargé d’élaborer la Constitution de la Ve République.
L’histoire d’une fraternité, aussi. Celle de combats menés ensemble.
La France se souvient qu’en 1914 et en 1940, elle a pu compter sur le concours de nombreux Sénégalais enrôlés de gré ou de force sous le drapeau tricolore et dont le courage a permis à la France d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Par deux fois au cours du siècle dernier, le sang africain a été versé pour la liberté du monde. Nous ne l’oublierons jamais.
Cette histoire a aussi sa part d’ombre. Comme toute nation, la France se grandit lorsqu’elle porte un regard lucide sur son passé.
Je serai cet après-midi sur l’île de Gorée pour rendre hommage à la mémoire des victimes de l’esclavage et de la traite, en présence d’élus des outre-mer français dont j’ai souhaité la présence à mes côtés. L’histoire de l’esclavage, nous devons la connaître, l’enseigner et en tirer toutes les leçons, parce que l’exploitation des êtres humains continue de souiller l’idée même d’humanité. Il nous revient de poursuivre le combat contre ceux qui exploitent la misère et la détresse de jeunes filles, d’enfants, de réfugiés, de migrants. À la Maison des esclaves, qui fait face à l’océan Atlantique, je ne m’inclinerai pas seulement devant l’histoire, je m’engagerai pour la défense de la dignité humaine.
La part d’ombre de notre histoire, c’est aussi la répression sanglante qui, en 1944, au camp de Thiaroye provoqua la mort de 35 soldats africains qui s’étaient battus pour la France. J’ai décidé de donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur ce drame afin qu’il puisse les exposer au mémorial sur Thiaroye.
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Mais la meilleure raison de ma présence ici est que je veux vous parler de l’avenir et d’une valeur universelle que nous défendons ensemble : la démocratie.
Le Sénégal est un exemple pour l’Afrique.
Les trois premiers présidents sénégalais ont su, dans leur diversité, transmettre, tous, le flambeau à leur successeur, permettant à votre pays de réussir des alternances sans déchirement.
Votre Assemblée nationale, devant laquelle je m’exprime, est l’une des seules du continent à avoir exercé la totalité de ses droits, sans interruption, depuis l’indépendance.
Et quand je vois le nombre de femmes, ici, du peuple sénégalais – un nombre qui a doublé par rapport aux dernières élections -, cela m’inspire, au regard de la situation pourtant récemment améliorée en France, une nécessaire modestie…
Voilà ce que nous portons ensemble.
Le respect des droits de l’homme, l’égalité devant la loi, la garantie de l’alternance, les droits des minorités, la liberté religieuse : autant de valeurs universelles ancrées chez vous et qui doivent s’épanouir dans toute l’Afrique.
Je ne suis pas venu en Afrique pour imposer un exemple, ni pour délivrer des leçons de morale. Je considère les Africains comme des partenaires et des amis. L’amitié crée des devoirs : le premier d’entre eux est la sincérité. Nous devons nous parler librement. Nous devons tout nous dire, sans ingérence, mais avec exigence.
La démocratie vaut pour elle-même. Mais elle vaut aussi pour ce qu’elle permet. Il n’y a pas de vrai développement économique ni de vrai progrès social sans pluralisme.
J’ai une conviction profonde : si l’Afrique, berceau de l’humanité, parvient à faire vivre pleinement la démocratie, partout et pour tous, si elle réussit à surmonter les démons de la division, alors, elle sera le continent où se jouera l’avenir de la planète.
L’Afrique est portée par une dynamique démographique sans précédent : la population au sud du Sahara doublera en l’espace de quarante ans – pour atteindre près de 2 milliards de femmes et d’hommes en 2050. Le nombre d’habitants aura été multiplié par dix en un siècle : c’est un changement sans équivalent dans l’histoire humaine. L’Afrique est la jeunesse du monde.
Elle est aussi une terre d’avenir pour l’économie mondiale. Sa croissance, ces dix dernières années, a été supérieure à celle de beaucoup d’autres régions émergentes. Les besoins d’infrastructure sont énormes. La qualité de son agriculture, ses ressources naturelles, ses richesses minières recèlent des possibilités immenses et encore largement inexploitées. Ses paysans, ses artisans, ses étudiants, ses entrepreneurs, ses savants constituent une ressource humaine exceptionnelle.
Les grands pays émergents se tournent vers vous et investissent massivement. Vous n’avez pas à avoir peur de cet intérêt nouveau, à la condition expresse que vous sachiez, grâce à vos institutions et vos pratiques, guider et orienter cet afflux d’hommes et de capitaux, et écarter les prédateurs.
Votre défi, c’est de renforcer la place de votre continent dans la mondialisation. De lui donner une finalité plus humaine, d’y prendre la place qui doit être la vôtre, d’assumer une nouvelle responsabilité. Aucun enjeu planétaire ne pourra être traité sans l’Afrique. Toutes les réponses essentielles passent déjà par votre continent : l’économie, les matières premières, l’environnement, l’énergie, la gouvernance mondiale. Dans toutes les négociations internationales sur ces sujets, la France – et au-delà l’Union européenne, et l’Afrique partagent la même vision de l’avenir. Dans ces négociations, vous êtes notre premier partenaire. Nous sommes votre premier allié. Et notre devoir, c’est de vous accompagner dans les domaines d’avenir : l’agroalimentaire, les télécommunications, les services financiers…
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C’est vers cette Afrique de demain que je regarde en venant ici au Sénégal.
Le changement viendra d’abord et avant tout des peuples. Les Africains ont pris leur destin en main et ce mouvement ne s’arrêtera pas.
Chaque pays connaît sa propre dynamique et parfois ses rechutes. Chaque pays adapte ses institutions à son histoire ou à ses réalités. Chaque pays est chahuté par des mouvements qui contestent les frontières issues de la colonisation. Mais j’ai confiance, l’Afrique est en marche et les principes sur lesquels elle peut fonder son développement sont ceux que vous portez.
La transparence, vous avez raison de l’exiger de toutes les entreprises qui viennent investir chez vous ou occuper des positions, et notamment dans le secteur minier et forestier.
La bonne gouvernance, car c’est une condition de la stabilité, de la sécurité et de la probité. C’est pourquoi je salue l’initiative du président Sall de lancer une opération de récupération des biens mal acquis. La lutte contre la corruption, les abus financiers et contre l’impunité est l’affaire de tous. Nous devons être intraitables face à ceux qui pourraient se croire autorisés à voler les deniers de leur propre pays ou face à ceux qui viennent chercher des contrats en ne négligeant aucun moyen de pression ou d’influence.
L’égalité, car, si l’Afrique se développe, le nombre de pauvres ne cesse de progresser. Près de la moitié des pays du continent sont en passe d’atteindre les Objectifs du millénaire. Mais trop nombreux sont ceux qui restent au bord du chemin. La question des inégalités est, pour vous comme pour nous, au coeur du message que nos peuples attendent de nous.
Et notamment les femmes, qui, en Afrique, constituent une formidable force de changement et de transformation. Elles sont de plus en plus nombreuses à s’impliquer dans la vie économique et sociale. Elles jouent un rôle majeur auprès de la jeunesse africaine qui représente les deux tiers de la population du continent.
Mais je n’ignore pas les menaces auxquelles vous faites face et les périls que vous affrontez : les crises alimentaires, les changements climatiques, les trafics de toutes sortes, les conflits, les fondamentalistes.
Car nous sommes confrontés au même combat, celui de la dérive identitaire, celui du terrorisme.
Je pense particulièrement au Mali, victime de groupes extrémistes qui font régner la terreur dans le Nord. C’est votre sécurité qui est en jeu, c’est aussi la nôtre, celle de l’Europe qui connaît la valeur inestimable de la paix pour laquelle elle a obtenu aujourd’hui l’illustre récompense du prix Nobel.
Le futur de l’Afrique se bâtira par le renforcement de la capacité des Africains à gérer eux-mêmes les crises africaines.
Les organisations telles que la Cedeao et l’Union africaine se sont imposées dans le traitement des situations de crise en Afrique. C’est encourageant. L’engagement des armées africaines dans le maintien de la paix, au sein des Casques bleus, en est la preuve, je pense au courage des Burundais, Djiboutiens, Éthiopiens, Kényans et Ougandais qui payent un lourd tribut pour libérer la Somalie. Je salue aussi ici les soldats sénégalais engagés dans des opérations de maintien de la paix difficiles, en Côte d’Ivoire, en Guinée-Bissau, en RDC ou au Soudan.
Aujourd’hui, c’est la crise que connaît le nord du Mali, occupé et violenté, qui doit nous fédérer. On en connaît les causes, elles sont multiples. Les pratiques mafieuses de groupes terroristes, les erreurs qui ont marqué la fin de l’intervention en Libye, et notamment le manque de contrôle des armes. Le trafic de drogue qui a corrompu l’économie malienne, mais qui menace aussi, chacun en est conscient, toute l’Afrique d’ouest en est. L’insuffisance du développement économique et social du Sahel, qui a nourri le désespoir. L’absence de mise en œuvre effective des accords passés qui auraient dû conduire à une coexistence harmonieuse de toutes les communautés maliennes.
Mais au-delà de l’analyse de ces causes, nous devons prendre nos responsabilités. Les horreurs actuelles ne peuvent plus se poursuivre. Comment accepter ces mausolées profanés, ces mains coupées, ces femmes violées ? Comment tolérer que des enfants soient enrôlés de force dans des milices, que des terroristes viennent dans cette région pour y semer la terreur ? La France aussi, à travers ses ressortissants dans la région, a été attaquée.
Le Mali a fait appel à la communauté internationale et demande un soutien. Nous devons le lui apporter, avec la Cedeao, avec l’Union africaine, avec l’Union européenne, avec les Nations unies, car la responsabilité première reviendra aux Africains. La France apportera un appui logistique. Mais à sa place. C’est dans cet esprit que je conçois la résolution de la crise malienne.
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Chers amis,
Je veux ici dire ma volonté de renouveler la relation entre la France et l’Afrique.
Le temps de la Françafrique est révolu. Il y a la France et il y a l’Afrique. Il y a le partenariat entre la France et l’Afrique, avec des relations fondées sur le respect, la clarté et la solidarité.
La clarté, c’est la simplicité dans nos rapports d’État à État.
Les émissaires, les intermédiaires et les officines trouvent désormais porte close à la présidence de la République française comme dans les Ministères.
La clarté, c’est dans la constitution du gouvernement d’avoir remplacé le ministère de la Coopération par celui du Développement auprès du Quai d’Orsay, indiquant ma conviction que nous devons affronter ensemble les grands défis de l’humanité, changements climatiques, pandémies et autres crises.
Le respect, c’est la franchise. Elle doit être réciproque. Je ne céderai pas à la tentation de la complaisance, et je n’en attends pas non plus en retour. Nous devons tout nous dire.
Cette sincérité vaut en particulier pour le respect des valeurs fondamentales : la liberté des médias, l’indépendance de la justice, la protection des minorités. Car, sans État de droit, il ne peut y avoir de fonctionnement normal de l’État, ni d’investissement durable des entreprises, ni de société en paix. Nous devons enfin être particulièrement engagés dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
Le respect, c’est une définition parfaitement claire de la présence militaire française en Afrique. Celle-ci ne pourra se poursuivre que dans un cadre légal et dans la transparence. Ainsi, l’accord de défense entre la France et le Sénégal a récemment été revu. Il sera rapidement ratifié dans nos deux pays. Il en sera de même partout, et ces accords ne contiendront plus de clauses secrètes. J’irai au bout de cette démarche. Je tire les enseignements des crises que nous avons à affronter : un dispositif ne doit pas être figé, il doit s’adapter, et privilégier la réactivité plutôt qu’une présence statique. C’est dans cet esprit que sera définie la nouvelle politique de défense de la France.
La solidarité, c’est le développement.
L’Afrique subsaharienne est la première priorité de la politique de la France, puisqu’elle concentre plus de la moitié de notre effort budgétaire. Mon pays est particulièrement actif pour défendre les intérêts de l’Afrique dans les institutions multilatérales. Mais le partenariat franco-africain ne se réduit pas à l’action des États. Il associe et associera aussi des entreprises de nombreuses collectivités territoriales françaises, des ONG, des associations de migrants, et tout le tissu vivant de nos sociétés civiles
La solidarité, c’est l’introduction des financements innovants pour trouver de nouvelles ressources. Au niveau européen, une taxe sur les transactions financières sera bientôt en place avec onze pays. Pour la France, 10 pour cent au moins de son produit ira au développement et à la lutte contre les pandémies qui meurtrissent votre continent : le paludisme, la tuberculose, le sida. La part de l’aide française allant aux ONG sera par ailleurs doublée.
La solidarité, c’est le co-développement, qui ne peut être réduite à la seule question migratoire. J’entends mettre fin à ce paradoxe absurde, qui fait que la France dans un passé récent a trop souvent fermé la porte à ceux-là mêmes qui voulaient y créer des emplois, y développer les échanges, participer à l’effort de recherche ou de création artistique ! Je souhaite que les procédures administratives soient simplifiées pour les étudiants, dès lors qu’ils sont motivés, talentueux, capables de subvenir à leurs besoins, mais aussi pour les artistes et les créateurs. Votre ministre de la Culture, Youssou N’Dour m’a alerté. J’ai entendu son appel.
La solidarité, c’est, enfin, la consolidation de la zone franc. Que l’on me comprenne bien, les monnaies communes à l’Afrique de l’Ouest et à l’Afrique centrale constituent un véritable atout, notamment en matière d’intégration régionale, et la stabilité monétaire est un avantage économique précieux. Mais je suis convaincu que les pays de la zone franc doivent pouvoir assurer de manière active la gestion de leurs monnaies et mobiliser davantage leurs réserves pour la croissance et l’emploi.
Pour amplifier encore la croissance africaine, je veux aussi établir entre l’Europe et l’Afrique des relations commerciales plus équitables. Je considère que la position des pays africains dans la négociation des accords de partenariat économique n’a pas été assez prise en compte. Cette discussion s’est enlisée. Je suis favorable à ce que nous la relancions sur de nouvelles bases, avec des conditions de calendrier et de contenu plus favorables pour les pays africains.
Nous voulons permettre aux États africains de négocier de meilleurs contrats avec les multinationales étrangères, par exemple dans le secteur minier. C’est pourquoi la France mettra en place, avec la Banque mondiale, une facilité financière pour renforcer l’assistance juridique aux pays africains dans la négociation de leurs contrats. Il s’agit de permettre aux pays africains de percevoir un juste prix pour leurs ressources.
Nous soutiendrons donc un renforcement de la réglementation européenne en faveur de la transparence des comptes des entreprises extractives. Une transparence réelle, avec des comptes publiés pays par pays, et projet par projet.
Ici, au Sénégal, ces principes se traduisent par la volonté de la France d’être toujours à vos côtés.
C’est la raison pour laquelle la France a accordé en juillet dernier à votre pays une aide budgétaire exceptionnelle de 130 millions d’euros, répondre aux urgences.
Je sais aussi l’importance que vous accordez à la jeunesse. Je partage pleinement cette priorité. Avec le président Sall, nous visiterons, cet après-midi, l’un des trois centres de formation professionnelle que l’Agence française de développement a récemment financés à Dakar. La France soutiendra aussi la construction et la rénovation de collèges publics dans l’académie de Dakar. C’est par l’éducation, de l’école primaire à la formation professionnelle, que les jeunes Africains pourront, à leur tour, imaginer et construire l’Afrique de demain. Ce faisant, nous construisons aussi la Francophonie de demain. Communauté de langue, d’initiatives et de valeurs promises à un grand avenir.
Cet investissement humain devra être complété d’un investissement dans les infrastructures, dont l’état actuel constitue un frein au développement durable du continent africain.
Votre croissance est d’abord celle de vos villes. Mais je suis conscient que votre pays a l’ambition, comme beaucoup d’autres, d’assurer un développement inclusif, qui ne laisse pas de côté ses campagnes. Il existe dans le domaine agricole de grandes marges de productivité. Partout en Afrique, et évidemment ici aussi au Sénégal, nous serons avec vous pour réduire la dépendance aux importations de produits alimentaires, afin que les Africains puissent nourrir les Africains.
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Mesdames et messieurs, chers amis,
Je remercie le Sénégal pour la chaleur de son accueil. Il me touche et m’encourage à penser que nous avons encore tant à faire ensemble. Pour nos pays et pour l’Afrique.
Une grande histoire commune nous lie. Il nous revient maintenant d’écrire un nouveau récit, celui de notre avenir. C’est « épaule contre épaule », pour reprendre les mots donnés par Senghor à votre hymne national que la France et l’Afrique avanceront ensemble.
Vive le Sénégal.
Vive la France.
Vive l’amitié entre le Sénégal et la France ».
Burkina Demain