La communauté internationale commémorera le 6 février prochain la Journée internationale de la tolérance zéro aux Mutilations Génitales Féminines, sous le thème : «Mettre fin aux Mutilations Génitales Féminines est une décision politique». Pour en parler et aborder de façon générale la problématique de la lutte contre la pratique de l’excision dans notre pays ; nous avons rencontré Rachel Badolo/Kando, la secrétaire permanente du Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision. Entretien exclusif.
Burkina Demain : Quelles sont les missions du Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision (SP/CNLPE) dont vous êtes le premier responsable ?
Rachel Badolo/Kando : Le secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision est l’organe d’exécution du Conseil National de Lutte contre la Pratique de l’Excision(CNLPE). De ce fait, il est chargé de mettre en œuvre les décisions et recommandations du Conseil. Concrètement il s’agit entre autres de :
-préparer les sessions du CNLPE ;
-exécuter les décisions du CNLPE ;
-centraliser, traiter et diffuser l’information et les approches novatrices en matière de promotion de l’élimination de l’excision ;
-coordonner toutes les actions en faveur de la promotion de l’élimination de la pratique de l’excision;
-prévenir la pratique de l’excision sur les femmes et les filles non encore excisées et spécialement sur celles de zéro à quatorze ans ;
-rendre accessible la prise en charge des séquelles de l’excision aux femmes qui en sont porteuses ;
-promouvoir l’application effective de la loi réprimant les Mutilations Génitales Féminines ;
-lutter contre la pratique clandestine de l’excision et toute autre mutation de la pratique de l’excision;
-mobiliser des ressources financières pour poursuivre et intensifier l’élimination de la pratique ;
Concrètement, quelles sont les activités que vous menez ?
En tant que structure nationale, nous coordonnons l’ensemble des interventions en matière de promotion de l’élimination des mutilations génitales féminines/excision. A ce titre nous menons les activités suivantes :
-le renforcement des compétences des acteurs qui interviennent directement sur le terrain ;
-l’appui financier aux structures chargées de la mise en œuvre des activités de prévention sur le terrain;
-l’appui financier et matériel aux structures de prise en charge psychosociale des femmes victimes de l’excision y compris la réparation des séquelles de l’excision ;
-l’appui financier aux acteurs chargés de l’application de la loi contre les auteurs et complices de l’excision ;
-le plaidoyer auprès des leaders politiques, administratifs, coutumiers, religieux et leaders associatifs ;
-plaidoyer auprès des partenaires techniques et financiers pour la mobilisation des ressources financières ;
-la conception et la diffusion des messages et supports de communication sur l’excision;
-la collecte, le traitement, la capitalisation et la diffusion de toutes les données des structures déconcentrées de l’Etat et des associations et ONG de lutte contre la pratique de l’excision
Cela fait déjà des années qu’existe le SP/CNLPE et que des activités sont menées. Avez-vous l’impression que le phénomène recule dans notre pays ?
La lutte contre la pratique de l’excision a commencé dans notre pays avec les missionnaires vers 1900. L’Etat a pris à bras-le-corps cette problématique après l’indépendance du pays. Cet engagement se traduit par la création en mai 1990 du Conseil National de Lutte contre la Pratique de l’Excision.
Depuis lors, le Burkina Faso a considérablement progressé en matière de promotion de l’élimination de la pratique de l’excision au bonheur des filles et femmes et cela nous réjouit beaucoup. Cela se vérifie par une réduction considérable des taux de prévalence.
A titre d’exemple, 76% des femmes âgées de 15 à 49 ans avaient subi une mutilation génitale selon l’enquête démographique de santé (EDS IV de 2010). Pour la même tranche d’âge, selon l’Enquête multisectorielle continue (EMC) de 2015, le taux est passé à 67,6%.
Pour la tranche d’âge de 0 à 14 ans, le taux qui était de 13,3% selon EDS IV de 2010 est passé à 11,3% en 2015 selon l’EMC. Ces chiffres nous rassurent que le phénomène de l’excision recule.
De plus en plus les populations adhèrent à nos messages de sensibilisation et certains ne manquent pas à dénoncer les cas d’excision portés à leur connaissance.
Aussi, de 2003 à nos jours, plus de 1800 villages et secteurs du Burkina Faso ont pris des engagements publics d’abandon de l’excision. Ce qui n’est pas à négliger.
Mieux, nous sommes convaincus que la tolérance zéro aux MGF est à notre portée, pourvu que les ressources conséquentes soit allouées à la mise en œuvre du Plan Stratégique National 2016-2020 de promotion de l’élimination de la pratique de l’excision.
Rencontrez-vous des difficultés ?
L’abandon de la pratique de l’excision nécessite un changement des normes sociales. De ce fait, c’est un long et lent processus qui engage plusieurs générations. Nous pensons que nous sommes sur la bonne voie même si nous faisons face à quelques difficultés qui sont essentiellement:
-la persistance des pesanteurs socio culturelles ;
-le rabattement de l’âge à l’excision. Au mois de décembre une fille d’une semaine a été victime de la pratique de l’excision à Bobo -Dioulasso ;
-la pratique transfrontalière ;
-l’insuffisance des ressources pour la mise en œuvre du Plan Stratégique National de promotion de l’élimination des mutilations génitales féminines.
Vous étiez le 20 janvier dernier chez le Mogho Naba. Etait-ce pour solliciter son implication sur la question ?
Effectivement, nous avons rendu une visite de courtoisie à sa majesté le Mogho Naba Baongo dans son palais. Nous y étions pour présenter nos vœux de nouvel an au roi des Mosse. Nous en avons également profité pour lui traduire nos remerciements pour son engagement dans la promotion de l’élimination de la pratique de l’excision dans notre pays. Sa Majesté nous a encouragés à persévérer dans la lutte pour une tolérance zéro aux mutilations génitales féminines/excision. Elle nous a également prodigué des conseils.
La communauté internationale commémorera le 6 février prochain la Journée internationale de la tolérance zéro aux Mutilations Génitales Féminines. Comment va se passer l’évènement au niveau national ?
Deux grandes activités vont marquer la commémoration de la Journée Internationale de la Tolérance Zéro aux Mutilations Génitales Féminines dans notre pays. Il s’agit d’une campagne médiatique autour de la commémoration de cette journée et un plaidoyer à l’endroit des conseillers municipaux de Ouagadougou et des conseillers régionaux du centre. La campagne médiatique regroupe des émissions plateaux télé et radio qui seront animées par des spécialistes de la question de l’excision ; la diffusion de spots et films et des couvertures médiatiques du plaidoyer par les médias.
Quel est le thème de cette commémoration ?
Pour cette année, la journée du 06 février 2018 est commémorée sous le thème, «Mettre fin aux Mutilations Génitales Féminines est une décision politique»
Face à l’ampleur des conséquences des Mutilations Génitales Féminines sur la santé sexuelle et reproductive et le bien être des femmes et des filles, ce thème est d’actualité pour les États africains et principalement dans le contexte du Burkina Faso qui s’est lancé dans un processus de relecture et de durcissement de la loi portant répression des MGF. En plus, le pays reste confronté à la mobilisation des ressources pour la mise en œuvre efficace et efficiente du plan stratégique national de promotion de l’élimination des Mutilations Génitales Féminines au Burkina Faso (PSN-MGF) 2016-2020 et à faire face aux défis de la clandestinité de la pratique de l’excision, au rabattement de l’âge des filles excisées et surtout à la de la pratique transfrontalière de l’excision.
D’où l’intérêt pour le Ministère de la Femme, de la Solidarité Nationale et de la Famille de retenir ce thème et d’intensifier les plaidoyers auprès de décideurs et renforcer la sensibilisation des populations sur les méfaits de la pratique et les mesures prises pour sa répression.
Quand on parle de l’excision, certains pensent aussi à la circoncision. La journée concerne-t-elle aussi cette pratique que d’aucuns considèrent comme une violence faite à la gent masculine ?
Non, la journée qui sera commémorée ne concerne pas la circoncision. Elle n’est pas considérée par la communauté internationale comme une pratique traditionnelle néfaste. L’essentiel est qu’elle soit pratiquée dans des bonnes conditions d’hygiène et de santé.
La circoncision et l’excision ne sont pas des pratiques comparables parce que n’ayant pas les mêmes effets sur la personne qui la subit. L’excision porte sur un ou plusieurs organes notamment, le clitoris, les petites lèvres ou les grandes lèvres de la fille ou de la femme, avec tout ce que cela comporte comme dommages sur les plans physique, psychologique et social ; alors que la circoncision consiste à couper le prépuce c’est –à dire la peau qui recouvre le gland chez l’homme ou le garçon.
Avez-vous un message particulier à lancer à l’occasion de cette commémoration ?
Nous voulons réitérer ici notre engagement et notre détermination pour que la pratique de l’excision cesse au Burkina Faso. Elle est une violation des droits de la femme. Les conséquences des mutilations génitales féminines ne sont plus à démontrer. Chacun peut et doit apporter sa contribution pour l’épanouissement de la femme et de la jeune fille.
Entretien réalisé par Mariam Déné
Burkina Demain