Alors que la question sécuritaire est devenue la priorité première du pays des Hommes intègres, avec notamment la multiplication des attaques meurtrières dans l’est ; l’entretien que l’ancien ministre des Affaires étrangères, le Général Djibril Bassolé a accordé à notre confrère de Financial Afrik apporte d’intéressants éclairages sur la situation sécuritaire du pays et du Sahel. Pourquoi le Burkina est devenu le maillon faible dans la lutte contre le terrorisme dans la région ?; comment il analyse le contexte sécuritaire au sahel ? ; quels conseils donnerait-il au président Kaboré s’il était sollicité ? Ce sont entre autres les questions auxquelles le Général répond sans détour, fort de son expérience. L’intégralité de l’entretien exclusif à Financial Afrik.
«Entretien avec Djibril Bassolé, ancien ministre des Affaires Etrangères du Burkina Faso
Son nom ne laisse pas indifférent aux pays des Hommes intègres. A lui seul, Djibril Bassolé, 61 ans, ancien ministre des Affaires Etrangères sous le régime de Blaise Compaoré, symbolise la difficile transition du Burkina Faso. Plusieurs fois interpellé, en détention préventive depuis trois ans pour atteinte à la sûreté de l’Etat et, pour l’anecdote, interdit de pétanque, son sport favori, le Général de gendarmerie reste persuadé que la grande bataille du développement dans laquelle s’est engagé son pays et le Sahel n’est pas antinomique avec la bataille sécuritaire.
Pourquoi le Burkina Faso est devenu depuis quelques années l’un des maillons faibles dans la lutte contre le terrorisme ? Qu’est ce qui explique cette vulnérabilité ?
Plusieurs facteurs combinés peuvent expliquer la vulnérabilité que j’espère passagère du Burkina Faso. Le premier facteur est lié à la position géographique du pays qui partage plus de 1.600 km de frontières poreuses avec le Mali (au Nord et à l’Ouest) et le Niger (à l’Est). Ces deux pays sahéliens voisins du Burkina Faso, ont connu de multiples conflits armés et des agressions terroristes qui se sont logiquement propagés essentiellement dans les régions frontalières du pays.
Le second facteur résulte des crises sociopolitiques que le Burkina Faso a vécues ces dernières années à savoir : la mutinerie au sein des Forces armées en 2011, l’insurrection populaire en 2014, et le coup de force contre les autorités de la Transition en 2015. Cette succession d’évènements majeurs ont mis à rude épreuve la cohésion au sein des Forces de défense et de sécurité. En effet, ces évènements ont occasionné des confrontations entre frères d’armes et exacerbé des antagonismes latents entre les différentes composantes de l’armée. Il s’en est suivi une faiblesse fonctionnelle et organisationnelle des structures de défense et de sécurité du Burkina Faso face à la menace nouvelle que, constitue le terrorisme à vocation transfrontalière.
Le troisième facteur à mon avis tient au mode d’action brutal et imprévisible des groupes ennemis qui prend de court forcément les unités militaires et paramilitaires dont l’organisation, la formation et la doctrine d’emploi restent essentiellement classiques donc, non encore adaptées à ce qu’on appelle couramment une guerre asymétrique.
Par rapport aux dernières attaques qui ont eu lieu au Burkina Faso, doit-on incriminer les FDS, les services de renseignements ou le manque de coordination entre l’armée, les renseignements et l’État ?
Incriminer les Forces de défense et de sécurité, c’est trop dire car il n’y a pas de faute à leur reprocher. Il y a par contre des insuffisances à combler en urgence. L’implantation des infrastructures, les moyens de projection, la collecte et le traitement des informations, doivent s’adapter effectivement au mode opératoire des groupes terroristes qui, selon toute vraisemblance, recrutent quelques membres au sein des populations burkinabè. Tirant des enseignements des dernières attaques, on perçoit la nécessité impérative pour les Forces de défense et de sécurité de prévenir, d’anticiper et de mieux protéger les hommes sur le terrain.
Le G5 Sahel est en gestation depuis plusieurs années et n’arrive toujours pas à être opérationnel. Comment vous Djibrill Bassolé, de par les fonctions que vous avez eues à occuper, analysez cette lenteur ?
La force conjointe du G5 Sahel n’arrive pas à être pleinement opérationnelle essentiellement parce que ces États membres veulent le faire avec l’argent des autres. Le financement de la force dépend dès lors du bon vouloir de la communauté internationale en général, des partenaires financiers que sont l’Union européenne et les États-Unis en particulier. L’opérationnalisation de cette force pourrait même connaitre un coup d’arrêt car, comme le dit le proverbe africain “lorsque vous êtes couché sur la natte d’autrui, vous êtes couché par terre”. Je pense en toute humilité qu’il nous faut une solution africaine, un dispositif de défense adapté à nos moyens et que nous maitrisons parfaitement ; ce qui n’exclut pas de promouvoir une excellente coopération au plan international. Je pense également que la recherche de financement extérieur accentue la trop grande publicité qui, de mon point de vue, multiplie les obstacles.
Enfin, sur cette question de la mise en œuvre de la force conjointe du G5 Sahel, les réalités sahélo-sahariennes imposent aux États membres d’impliquer les pays du Maghreb tel que l’Algérie. En outre, il faut que la communauté internationale instaure une paix stable en Lybie qui doit absolument maitriser sa sécurité intérieure et coopérer ainsi utilement avec le G5 Sahel.
Le régime de Blaise Compaoré était parvenu à garder le Burkina à l’abri des attaques terroristes, d’aucuns pensent qu’il y avait un accord secret entre les djihadistes et autres, qu’en est-t-il ? Quelles étaient exactement les relations entre le Burkina Faso et un certain Iyad Ag Ghali ?
Je n’ai jamais eu connaissance d’accord secret entre le Burkina Faso et quelque groupe terroriste que ce soit. Par contre le régime de Blaise Compaoré, en plus d’organiser militairement la sécurité et la défense du pays, avait promu le dialogue comme moyen de régler les crises et les conflits dans la sous-région ouest africaine. En ma qualité de ministre de la sécurité puis des Affaires étrangères, je me suis investi dans la résolution des conflits par la médiation, ce qui m’a d’ailleurs valu d’être désigné en 2008 comme Médiateur de l’Union africaine et des Nations unies pour le Darfour.
C’est en particulier au cours des pourparlers de paix initiés par la CEDEAO au nord du Mali pour réunifier le pays afin que les élections se déroulent sur toute l’étendue du territoire malien, que j’ai fait la connaissance de Iyad Ag Ghali. Il était le chef du mouvement armé Ansar Dine qui était partie prenante des accords de Ouagadougou. Il n’avait jusqu’ alors jamais mis les pieds au Burkina Faso. C’est moi qui me suis rendu à Kidal en août 2012 pour l’y rencontrer. Nous avions eu des discussions fort intéressantes sur le processus de paix et sur le rôle des différents acteurs régionaux impliqués dans ce processus. C’était bien avant qu’il ne se radicalise. Il n’y a eu aucun accord secret, ni aucune compromission.
Vous faites allusion probablement aux négociations discrètes avec les groupes extrémistes pour obtenir la libération des otages occidentaux à la demande de leur pays d’origine. Je n’en ai pas conduit personnellement, mais je sais que ces contacts avec les ravisseurs étaient ponctuels et limités à leur objet.
Vous savez, de mon point de vue, le principe d’établir des contacts de dialogue même secret, fait partie des moyens de rechercher la paix et la sécurité. Il faut certes, accroitre et adapter les capacités du pays à enrayer militairement les actions terroristes sur le territoire national, mais aussi se réserver la possibilité de parler avec ces extrémistes, surtout lorsqu’il s’agit d’Africains et de nationaux qui se convertissent au radicalisme religieux et à l’extrémisme violent.
Quel est le lien que vous faites entre la bataille pour la sécurité et la grande bataille pour le développement ? Est-ce que l’un peut se faire sans l’autre ?
Ce lien est fusionnel. Cette insécurité liée à l’extrémisme violent est le reflet hélas de nos réalités socio-culturelles. Si le phénomène du terrorisme venait à s’incruster, il affecterait la cohésion sociale et l’ensemble des activités sociales et économiques (l’éducation, la production, le commerce, etc.). Par conséquent, les efforts au plan local et national pour le développement seraient vains. À mon avis, il n’y a pas de dualité entre la bataille pour la sécurité et la bataille pour le développement. C’est la même grande bataille pour les pays africains. Le processus de développement doit intégrer nécessairement la stabilité institutionnelle, la paix et la sécurité. Mais pour l’heure et de manière tangible, le Burkina Faso doit se mettre à l’abri de ces attaques terroristes violentes et récurrentes. C’est d’abord une condition de survie.
Si vous devriez conseiller l’actuel Président du Burkina Faso sur les plans diplomatique, sécuritaire et économique, quels seraient vos conseils ?
Je ne sais pas s’il a vraiment besoin de mes conseils, mais je peux vous dire qu’il apparait utile d’envisager les dispositions juridiques et administratives pouvant aller jusqu’à l’instauration de l’état d’urgence dans les régions durement affectées par les agressions terroristes multiformes. L’administration d’État et les services sociaux de base doivent fonctionner à tout prix. Pour ce faire, il y a urgence à mieux protéger les militaires et les paramilitaires devenus trop vulnérables, à mieux organiser le renseignement qui leur permettra d’anticiper sur les intentions de l’ennemi plutôt que de subir des attaques avant de réagir.
Il y a beaucoup à faire et à dire, même si dans ma situation actuelle, je suis coupé des réalités de l’évolution de la situation réelle de sécurité. Ce que je juge impératif également, c’est que les Burkinabè doivent en toute objectivité, cesser de politiser la question du terrorisme qui contribue à créer des tensions et des ressentiments inutiles. Les raisons de la radicalisation de certains citoyens sont à rechercher ailleurs. Les causes qui font du grand Sahel le terreau du terrorisme sont connues. Il ne faut donc pas les occulter dans la stratégie globale d’éradication de ce fléau.
Sur le plan diplomatique, le Burkina Faso doit accentuer sa coopération et s’impliquer partout dans les efforts des communautés régionale et internationale pour rétablir la paix et lutter contre le terrorisme. Les capacités du pays d’anticiper et de se mettre à l’abri en dépendent nécessairement. Par exemple, le Burkina Faso a été impliqué dans le processus de paix au Nord Mali pour le compte de la CEDEAO, puis dans le cadre du processus d’Alger. En outre, les militaires burkinabè sont déployés au Mali dans le cadre de la MINUSMA. Une visite présidentielle d’évaluation et d’encouragement sur le terrain au Nord du Mali serait d’une grande utilité. Le Président français l’a fait au lendemain de son élection.
Sur le plan économique enfin, comme c’est le cas dans l’ensemble des zones désertiques, on note une faible présence de l’administration d’État et d’activités socioéconomiques créatrices d’emplois et génératrices de revenus. Ce qui constitue un terreau fertile pour l’implantation de mouvements extrémistes et d’organisations criminelles, d’où l’urgence d’y promouvoir un développement humain durable.
Je voudrais vous remercier en tout cas pour l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer au sujet de cette question névralgique qu’est la lutte contre le terrorisme et d’apporter ma modeste contribution.»
Par Adama WADE»
Financial Afrik