Le cas du Général Djibrill Bassolé suscite cette réflexion du Pr Batiéno

Dans cette tribune, Jacques Batiéno, professeur de philosophie à Paris, mène la réflexion sur l’humanisme en politique, en partant du cas Djibrill Bassolé. Lisez plutôt !

Le cas du Général Djibrill Bassolé suscite cette réflexion du Pr Batiéno

«LE CAS DJIBRIL BASSOLE ET L’HUMANISME EN POLITIQUE

Humanisme : un de ces mots qui chantent plus qu’ils ne parlent. Cette formule semble trouver sa réalité dans les tribulations que l’Etat burkinabè impose à Djibril Bassolé. Mais, sait-il encore ce qu’est l’humanisme ? S’il croit le savoir, le moins que l’on puisse dire, c’est que la notion trouve ici l’occasion d’être galvaudée, nous rappelant avec tristesse, décidément, cette vérité qui dit que le pouvoir rend aveugle jusqu’à fouler aux pieds la dignité humaine. Oui, cette attitude de l’Etat burkinabè à l’égard de monsieur Bassolé nous permet de prendre la pleine mesure de ce que la politique nous fait descendre du ciel sur la terre, mettant en évidence la formule machiavélique qui veut que « la fin justifie les moyens ». Sottise, opportunisme malveillant, immoralisme antidémocratique, car c’est ainsi que bien des dictateurs justifient leurs pires actions et crimes.

Qu’on se le dise bien, l’humanisme ne peut pas rester un vain mot, c’est un devoir. Sinon, à quoi ont servi toutes les luttes historiques pour défendre l’humanité ? L’humanisme est un mode d’être de l’homme. Il ne suffit pas de le revendiquer, c’est une responsabilité qu’il faut assumer, c’est un choix essentiel. Mais l’humanisme ici en question, ce n’est pas celui d’un autre âge européen et européocentrique. L’humanisme auquel je pense ici, c’est d’abord celui de Césaire, un humanisme de l’inclusion et non de l’exclusion. C’est ensuite celui d’Auguste Comte, un humanisme de la sacralisation de l’humanité, un humanisme laïc pour ma part.

Ainsi, quand bien même on le voudrait, on ne peut s’empêcher d’être sensible au sort qui semble être réservé à monsieur Bassolé, ce qu’il faut dénoncer avec insistance. Je puis témoigner avoir vu l’homme, d’abord vers la fin du mois de février dernier, puis le mercredi 6 mars, quelques heures avant qu’il ne soit évacué sur la Tunisie. J’ai vu un homme rongé et affaibli par la maladie. Comment peut-on alors perdre du temps à tergiverser sur un cas aussi urgent avec des prétextes tout aussi fallacieux qu’indignes d’un Etat démocratique, et qu’il serait honteux de relever ici, comme si l’on avait encore quelque doute sur la gravité de son état de santé ? Le temps que nous perdons dans d’inutiles arguties, est le temps que gagne la maladie pour faire ses ravages.

Il est opportun de rappeler qu’au moment de l’évacuation de monsieur Bassolé sur la Tunisie, c’est tambour battant que le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, a publié un communiqué informant du fait, et précisant en conclusion que « Cette évacuation participe de la volonté du gouvernement de veiller au respect des droits des personnes accusées et de s’assurer que les conditions sont réunies afin que chaque accusé puisse répondre de ses actes et participer ainsi à la pleine et entière manifestation de la vérité ». Soit. Mais où en est-on aujourd’hui avec cette « volonté du gouvernement de veiller au respect des droits des personnes accusées… » ? La rapidité avec laquelle l’on s’est empressé de publier un tel communiqué participait-elle d’une opportunité de communication ? Cette évacuation n’était-elle qu’une imposture ? De la poudre aux yeux ? Une instrumentalisation de la situation du malade Bassolé à des fins lugubres et cachées ? Si ce n’est pas le cas, que l’on nous démontre le contraire. En revanche si c’est le cas, nous sommes loin de cet humanisme parlant et agissant dont on a voulu nous persuader à travers ce communiqué du 6 mars 2019.

Les arguments que nous entendons ici et là pour justifier cette rétention sont aux antipodes du communiqué. Question d’honneur et de cohérence, question de bon sens et de discernement aussi. Quid des procédures exceptionnelles ? Quid des décisions d’exception ? Où est la raison d’Etat, qui trouverait ici l’occasion pleine et entière de se manifester ? D’ordinaire, je ne suis pas un ardent défenseur de la raison d’Etat. Mais force est de reconnaître qu’elle peut constituer un artifice efficace pour faire face à certaines complexités de l’exercice du pouvoir, voire pour poser un acte d’humanisme en faveur d’un citoyen, qui plus est a été longtemps au service de l’Etat, dont la vie est menacée, fut-il accusé. Je refuse de croire que la situation soit le reflet d’une incompétence, car les uns et les autres savent très bien ce qu’ils font et à quoi s’en tenir. Ils agissent en connaissance de cause. Mais l’homme politique ne doit jamais oublier qu’il est un homme avant d’être un politique.

La nouvelle constitution en cours a aboli la peine de mort. Ne faisons pas de Djibril Bassolé un condamné à mort par des moyens détournés, iniques et vils. Quelle est donc le problème ? Si l’on craint que Djibril Bassolé, hors du pays, trouve les moyens de se dérober à la justice de son pays, il faut justement le mettre face à ses responsabilités. Mais l’homme d’honneur qu’il est ne saurait ainsi se soustraire à la justice en l’état actuel des choses et au point où il en est.

J’exhorte donc l’Etat burkinabè à se situer du côté d’une humanité, qui ne se confond pas avec le genre humain ou la collection des individus appartenant à l’espèce humaine, mais qui est l’ensemble de tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, œuvrent au progrès de la société humaine en faisant en sorte de rendre les hommes de plus en plus humain. Ce qui fait de nous individuellement des hommes, en effet, c’est que nous tirons bien notre qualité d’homme de cette humanité. Aussi, l’humanité nous transcende-telle et il faut en être digne en commençant par avoir un comportement intègre à l’égard de notre prochain, les autres hommes. Monsieur Bassolé est de ceux-là.

Paris le 3 juin 2019

Jacques Batiéno, professeur de philosophie, Paris (France) »

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