Les experts de la surenchère sont à la manœuvre. Ils font feu de tout bois. Parfois, ils ne s’embarrassent même pas de circonlocutions pour diffuser des fake news ou pour saper le moral des troupes en ayant recours à des médias internationaux de grande audience en Afrique.
Leur objectif est clair. Montrer que le Burkina Faso est un Etat en déliquescence qui doit absolument être placé sous tutelle de la bien nommée « communauté internationale » du fait des incessantes attaques terroristes.
Pendant que les discours eschatologiques pullulent sur le Burkina Faso, que toutes sortes de théories du chaos sont évoquées en ce qui concerne le sahel, des entreprises françaises brassent des milliards pour la fourniture d’équipements militaires au G5 Sahel.
Qui tire réellement profit du terrorisme au Sahel ? La situation du Burkina Faso est-elle si alarmante qu’il faille s’attendre à une mission de maintien de la paix sur son sol ? Quels leviers le pays doit-il actionner pour éviter un tel scénario ?
La pression est enclenchée. Elle ira crescendo dans les jours à venir. Le conditionnement psychologique est en marche. Les titres de la presse internationale sont on ne peut plus évocateurs en la matière. Le Monde titre : « Le Burkina Faso au bord de l’effondrement », « C’est l’abattoir : face aux attaques terroristes, la colère monte chez les militaires burkinabé ». RFI renchérit : « Sahel: les groupes terroristes ensemble pour prendre le Burkina Faso ». Au matraquage médiatique, il faut ajouter le classement en zone rouge de plus de ¾ du pays. Le rouge est bien vif. Pour les « bien pensants », ce pays est infréquentable. C’est la banqueroute.
Dans certaines officines, l’épouvantail est donc de plus en plus brandi. Au regard de la situation sécuritaire, le Burkina Faso devrait accepter une mission de maintien de la paix sur son sol. Ni plus. Ni moins. Pour l’heure, les autorités burkinabè ne l’entendent point de cette oreille. Elles ont bien raison d’être si peu emballées par cette occurrence car en Afrique, les missions de maintien de la paix, en dépit de leur utilité, sont bien souvent problématiques et c’est bien peu de le dire,…
Face aux conflits, la communauté internationale ne reste pas passive. Des opérations de maintien de la paix (OMP) sont réalisées dans de nombreux cas. Mali, Centrafrique, Soudan, RD Congo, Sahara occidental… C’est sur le continent africain que l’on dénombre le plus d’opérations. Plus de 50 opérations de maintien de la paix ont été déployées en Afrique depuis l’an 2000. Il y a aujourd’hui plus de 118.000 militaires, policiers et personnel civil, déployés dans le cadre de 15 opérations de maintien de la paix de par le monde, dont 7 se trouvent en Afrique.
Par OMP, il faut entendre l’ensemble des opérations qui visent le retour à la paix après ou durant un conflit armé. Il s’agit en fait de l’ensemble des opérations destinées à assurer l’assistance humanitaire, la supervision des élections, le rapatriement des réfugiés, le désarmement, la démobilisation et la réintégration des anciens combattants, le rétablissement de la capacité de l’État à maintenir la sécurité en faisant respecter l’État de droit et les droits de l’homme, ou le soutien à la mise en place d’institutions de gouvernance légitimes et efficaces.
Elles sont généralement connues sous les dénominations de peace building, peace keeping, peace making ou peace enforcement. Ces opérations peuvent aussi comprendre toute projection des forces armées dans la lutte contre le terrorisme. C’est par exemple le cas des interventions des États-Unis et de leurs alliés en Irak en 2003, dans la guerre en Afghanistan, en Syrie depuis 2011. L’opération Barkhane de la France dans la zone sahélo-saharienne, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) sont également des cas d’intervention dans le contexte terroriste.
Des missions de la paix… pour faire perdurer les conflits…
Aujourd’hui, de nombreux analystes sont sceptiques sur les OMP car le concept même de «maintien de la paix » est ambigu. Il suppose que les forces onusiennes ont pour mission de garantir une paix qui aurait été conclue entre les parties belligérantes, ce qui est de moins en moins souvent le cas.
En outre la « communauté internationale » présente différents niveaux d’implication. Les pays du Nord assurent la plus grande partie des financements mais ce sont les pays du Sud qui envoient des hommes sur le terrain. Si les contributions diffèrent, les voix au chapitre ne sont pas les mêmes elles non plus. Les pays qui décident réellement sont les cinq membres du Conseil de sécurité, ainsi que les pays qui occupent un siège non permanent. Même si 07 opérations se déroulent sur le continent, l’Afrique est loin de figurer dans le groupe des décideurs. Sur le terrain non plus, il n’y a pas d’égalité entre les nations engagées.
Dans des situations dangereuses comme le Mali ou l’Est du Congo, troupes et officiers européens sont cantonnés dans les bureaux, dans des tâches de planification loin du front, tandis que les soldats venus du Sud sont placés en première ligne et font face aux situations les plus dangereuses. Quant aux Français, ils opèrent avec autorisation du Conseil de sécurité mais de manière autonome.
Cette disparité est frappante au Mali, où les Casques bleus ne sont pas des forces d’interposition, mais des cibles délibérément visées par les groupes terroristes, ce qui explique qu’il y ait déjà eu plus de 200 morts au sein de la mission, un nombre particulièrement élevé. Là aussi il y a division des tâches. Les militaires français de l’opération Barkhane font directement la guerre aux terroristes. Ils agissent en coordination avec la Minusma mais sans dépendre d’elle, tandis que des embuscades meurtrières sont régulièrement tendues aux forces onusiennes.
En outre, au Mali comme en Centrafrique, voire en RDC, des forces onusiennes souvent déployées loin de leurs bases ont bien du mal à ne pas être soupçonnées de sympathie pour l’une ou l’autre faction belligérante. Et que dire de la violation des droits humains ?
Au début des années 1990, on a parlé de la « trilogie funeste », pour désigner les échecs des OMP en Bosnie, en Somalie et au Rwanda. En somalie, l’ONUSOM I et l’ONUSOM II n’ont pas pu protéger les populations contre les violations des droits de l’homme, tandis qu’au Rwanda, la MINUAR a été incapable de stopper le génocide et la détérioration de la situation sur le plan humanitaire. Ces dérives persistent de nos jours.
Tous ces faits ont fini par convaincre certains que les missions de maintien de la paix ne sont plus déployées pour résoudre les conflits mais pour les « stabiliser ». Cette stabilisation est, en réalité, synonyme d’enlisement sur le terrain. En s’enlisant, les missions font plus partie du problème que de la solution. Leur gouvernance se révèle problématique. D’une part, elles deviennent des machines à scandales et perdent leur crédibilité.
En zone de guerre, le temps contribue à l’enracinement des mauvaises habitudes et à la consolidation des intérêts, y compris de ceux des casques bleus. A New York, les missions de maintien de la paix sont celles par qui le scandale arrive : information biaisée et dissimulée sur les crimes au Darfour (Minuad), refus de protéger les civils au Soudan du Sud (Minuss) et trafics et abus sexuels en Centrafrique et au Congo (Monusco et Minusca).
D’autre part, malgré les promesses qu’elles claironnent, les missions finissent par ne plus être un acteur de changement mais de conservation. Depuis 1999, les Nations unies ont dépensé 15 milliards de dollars dans une mission de maintien de la paix en RDC sans parvenir à neutraliser les groupes armés. Leur neutralité est vite compromise par de petits arrangements. Incapables de régler les conflits, les missions de maintien de la paix se contentent dorénavant de les accompagner dans la durée.
Des OMP impuissantes et en manque de stratégie
Comme l’actualité le démontre à suffisance en Afrique, les OMP ne sont pas la solution appropriée. En matière de maintien de la paix, elles sont caractérisées par une impuissance militaire. Les casques bleus ont par exemple toutes les apparences d’une armée (uniformes, armes, véhicules et hélicoptères de combat, drones de surveillance), mais ils ne sont pas une armée. Combattre (ou prendre le risque de combattre) est parfois totalement exclu de la mission de certaines troupes.
Dans le cadre des négociations discrètes entre l’ONU et les pays contributeurs de troupes, certains d’entre eux négocient âprement le périmètre de leur mission et en excluent parfois l’usage de la force prévu pourtant par le chapitre VII de la charte des Nations unies. Cette différence entre l’apparence et la réalité des casques bleus est au cœur de l’incompréhension (et du ressentiment) entre l’ONU et les populations qui ne comprennent pas pourquoi des milliers d’hommes en uniformes déployés avec des moyens de combat ne combattent pas.
Les attaques terroristes se poursuivent par exemple au Mali sous le nez et la barbe des troupes de la MINUSMA. C’est dans ce registre qu’il faut ranger le pillage du siège de la MINUSMA le 12 octobre dernier à Sévaré, dans le centre du Mali, alors que de nombreux maliens réclamaient dans le même temps à Bamako une intervention de la Russie
Dans de nombreux cas, les missions de maintien de la paix n’ont tout simplement pas de stratégie de résolution du conflit. Elles jouent un rôle de substitut aux pressions politiques que les grands acteurs internationaux ne veulent pas faire sur leurs « pays clients » et à l’absence de stratégie de résolution de conflit.
Le meilleur indice de cette absence est le mandat des missions. C’est parfois du réchauffé ! Les mandats de la Minusca, la Monusco et la Minusma sont à 80 % les mêmes : programme de désarmement, démobilisation et réinsertion pour les groupes armés, réforme du secteur de la sécurité, justice transitionnelle, promotion des droits de l’homme, etc. Peu importe que les conflits, les acteurs et les pays soient différents, l’ONU promeut toujours le même modèle de paix, du Mali à la RDC. Pour finir, la doctrine du maintien de la paix n’est plus en phase avec les conflits actuels. Les conflits du XXIe siècle ne sont plus le résultat de rivalité d’Etats dotés d’armées conventionnelles mais de menaces terroristes (Mali, Burkina, Somalie,..) ou de prédation conflictogène historique (RDC, Centrafrique).
Dans ces contextes, tous les accords de paix sont signés de mauvaise foi et personne ne respecte le droit de la guerre.
Dans le cas du Burkina, les attaques terroristes récurrentes sont indéniables. Nul ne peut nier la crise humanitaire et le nombre de plus en plus croissant de personnes déplacées internes. Qu’à cela ne tienne, une opération de maintien de la paix dans le pays n’est pas opportune. La situation n’est pas hors de contrôle des autorités même si cette guerre asymétrique promet d’être ardue et longue. Est-ce du reste pertinent pour la communauté internationale de déployer deux missions de maintien de la paix dans deux pays voisins (Mali et Burkina Faso) quand ces opérations sont confrontées au manque d’effectifs et de ressources ?
Au Burkina Faso, la solution doit être endogène. Il faut donc intensifier les efforts sur 03 fronts :
-Renforcer la formation et l’équipement des FDS,
-Organiser la résistance populaire (Il faut éviter d’en avoir une vision manichéenne ou réductrice)
-Consolider le dialogue politique inclusif
En dépit des prévisions apocalyptiques, le pays ne s’effondrera pas. Circulez donc. Il n y a rien à voir !
Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou