Les présidents des États touchés par le Covid-19 essayent chacun de gérer la crise à sa façon. Ici au Burkina Faso, le Président Kaboré a pris plusieurs mesures allant de la fermeture des écoles, universités, bars à l’interdiction de regroupement atteignant la cinquantaine entre autres. De son côté, pour la deuxième fois consécutive et en moins d’une semaine, le Président français Emmanuel Macron s’est adressé à sa population dans un discours solennel centré sur la lutte contre la pandémie en question, le mardi 16 mars. Cette adresse fait l’objet ici d’un décryptage de Boukary Nébié de l’Observatoire de production et d’analyse du discours (OPAD) de l’université de Ouagadougou. Lisez plutôt !
«Général Macron et ses troupes aux trousses du coronavirus
Suspension de toutes les réformes sociales pour mutualiser les efforts contre la pandémie
Les Présidents des États touchés par le Covid-19 essayent chacun de gérer la crise à sa façon. Ici au Burkina Faso, le Président KABORÉ a pris plusieurs mesures allant de la fermeture des Écoles, Universités, bars à l’interdiction de regroupement atteignant la cinquantaine entre autres. De son côté, pour la deuxième fois consécutive et en moins d’une semaine, le Président français Emmanuel MACRON s’est adressé à sa population dans un discours solennel centré sur la lutte contre la pandémie en question, le mardi 16 mars. C’est cette adresse qui nous intéresse ici.
Dans une période où les commentaires apocalyptiques vont bon train, au regard de la panique quasi-généralisée, le capitaine du bateau ne doit pas perdre son sang-froid, ni face aux agissements de l’équipage, ni face à la menace ou à la tempête qu’il doit affronter. Il doit faire preuve de lucidité, d’assurance, de perspicacité, de fermeté. Cette posture est-elle celle que Macron a adoptée dans son adresse ? Le moins qu’on puisse dire est que la gravité du discours est enveloppée dans une forêt de marques de diplomaticité, d’humanité et d’humilité.
Des consignes « digestes » pour les inciviques : la flûte et non le bâton ?
Débutée en décembre 2019 à Wuhan, en Chine centrale, la pandémie à coronavirus (COVID-19) a atteint la France le 24 janvier 2020. La propagation de la maladie est telle que les autorités françaises sont obligées de mobiliser les grands moyens pour la riposte. Parmi ces moyens figure sans doute le verbe : le discours du Président MACRON. Un discours plein de consignes pour toute la nation à commencer par les récalcitrants.
Le locuteur Macron commence son adresse du 16 mars par un bref rappel du discours prononcé le jeudi 12 mars 2020 et un mot de félicitations aux maires élus et à l’ensemble des autorités qui ont rendu le 1er tour des municipales possible. Il se focalisera très vite sur l’objet de son adresse : la lutte contre le Covid-19. La transition vers ladite lutte s’est faite à travers une rupture dans l’organisation syntagmatique de son discours grâce au connecteur contre-argumentatif « Mais » : « Mais dans le même temps, alors que… ». Un connecteur qui lui permet de dire sa désapprobation du non-respect des consignes données bien avant le 16 mars pour éviter la propagation du Covid-19.
L’une des forces de ce discours reste sans doute le mode d’affirmation de cette désapprobation : une désapprobation par la pédagogie de l’empathie au détriment du langage coercitif et offensif tout cru. Pour ce faire, il présente les risques encourus par les contrevenants aux consignes et leurs proches :
« … je veux dire ce soir très clairement : non seulement vous ne vous protégez pas… mais vous ne protégez pas les autres… Même si vous ne présentez aucun symptôme, vous risquez de contaminer vos amis, vos parents, vos grands-parents, de mettre en danger la santé de ceux qui vous sont chers… Je vous le redis avec force ce soir : respectons les gestes barrières, les consignes sanitaires. C’est le seul moyen de protéger les personnes vulnérables, d’avoir moins de concitoyens infectés ».
Comme on peut le voir le verbe « dire » est simplement constatif. Même en en y ajoutant « le groupe prépositionnel de la fermeté « avec force », MACRON en trouvera des adoucisseurs. En effet, en utilisant l’injonctif de la 1re personne « respectons », il s’inclut lui-même dans les destinataires de cette fermeté. Aussi l’argument de la protection, de la solidarité, des conséquences redoutables de cette pandémie participe-il des techniques d’adoucissement du choc de l’injonction. En étant prudent, en mettant le curseur au niveau des inconvénients du non-respect des consignes, il atteint plus facilement le but visé par l’adresse : amener les récalcitrants français à prendre conscience du problème de l’heure. La forme est donc un élément important de ce discours.
Des propos directifs édulcorés pour susciter la coopération générale
Pour faire faire quelque chose à quelqu’un, le locuteur peut procéder par des propos directifs durs, fermes et sans concession. Cette posture autoritariste offusque et déplaît plus souvent à l’interlocuteur. En revanche, on peut mieux se faire comprendre en édulcorant la teneur agaçante des propos de plusieurs manières. C’est cette posture diplomatique qui est privilégiée ici par MACRON.
À l’instar de la section concernant les récalcitrants, Macron use de l’argumentation par le pathos, l’appel à la compréhension en affichant un éthos, une identité de locuteur attentionné et compatissant : « Mes chers compatriotes, je mesure l’impact de toutes ces décisions sur vos vies. Renoncer à voir ses proches, c’est un déchirement ; stopper ses activités quotidiennes, ses habitudes, c’est très difficile ».
Il est à souligner aussi que beaucoup de consignes, d’orientations données par celui-ci aux populations sont faites sous forme de prière à travers l’usage du verbe « demander » : « (…) je vous demande de rester chez vous. Je vous demande aussi de garder le calme dans ce contexte » ; « …cet effort que je vous demande », « … je vous demande ce soir d’importants efforts… », « … je vous demande des sacrifice… », « … je vous demande d’être responsable tous ensemble… », « J’en appelle à votre sens de responsabilité et de la solidarité ». Cela permet de diluer la verticalité des propos au profit d’une certaine horizontalité.
Le souci de cette horizontalité est tel qu’il impute, à juste titre, la prise en charge énonciative de ces propos directifs au personnel soignant plus apte à instruire la population en pareilles circonstances : « Elles [les instructions] ont été prises avec ordre, préparation, sur la base de recommandations scientifiques avec un seul objectif : nous protéger face à la propagation du virus », « Les scientifiques le disent, c’est la priorité absolue » ; « écoutons les soignants, qui nous disent… », etc. Il s’agit là d’un argument massue, d’une autorité polyphonique majeure qu’Emmanuel MACRON convoque et qui aide à une bonne réception du message.
Cette modélisation énonciative montre deux choses : premièrement une preuve d’humilité en attribuant à César ce qui est à César. Deuxièmement, Macron devient lui-même un récepteur de ces instructions au même titre que le reste de la population française. Bref, de la même manière qu’il n’a pas employé le mot confinement, c’est de cette même manière que les mesures drastiques annoncées (les sanctions) sont édulcorées pour se faire comprendre et éviter l’arrogance qui lui est souvent reprochée.
Un discours humaniste ou concessionniste
La posture conciliante du Président MACRON dans l’annonce de mesure pourtant « liberticide » frise un (certain) humanisme vis-à-vis de la population française. Un humanisme dont il invite chaque concitoyen français à se faire artisan à travers une solidarité agissante comme en atteste le lexique : « …esprit solidaire et de sens de responsabilité », «… j’en appelle à votre sens des responsabilités et de la solidarité », « …de nouvelles solidarités entre générations », « …profondément solidaires », « …nous agirons ensemble ». Pour donner des chances à cette solidarité le Président annonce des mesures d’apaisement : « suspension des factures… » ; «…suspension de la réforme des retraites… », etc., et de l’assurance « L’État paiera ».
Ces mesures confèrent des critères de sincérité à cette recherche de la solidarité, de l’union sacrée de la part du locuteur Macron. Ce qui facilite l’adhésion des interlocuteurs à ses prescriptions et les engage tous dans cette guerre qui leur est imposée. Il a donc décidé dans son discours d’éviter la confrontation dans une période qui nécessite une union sacrée autour de la nation.
Un discours martial à forte teneur directive
Pour faire prendre conscience aux Français de la gravité de la situation et de la nécessité de cette solidarité agissante, MACRON va davantage dramatiser sa communication à travers un accent martial. Les propos martiaux du Président s’inscrivent dans ce cadre. En répétant six fois de façon anaphorique « Nous sommes en guerre », il en appelle au pathos des français afin de faire chorus autour de la nation. Cette martialité pourrait rappeler un certain appel du 18 juin 1940 quoique les circonstances soient totalement différentes… En tout état de cause dans l’un comme dans l’autre, il s’agit de mobiliser la nation.
À ce niveau le locuteur MACRON a pris la mesure de sa fonction en prenant sa place de capitaine, de coordonnateur des opérations. En témoignent les verbes à forte teneur directive à la première personne : « J’ai décidé que… » ; « j’ai décidé pour… ». Il en est de même pour les nombreux impératifs à la deuxième personne : « occupez-vous des proches… » ; « Donnez des nouvelles… » ; « prenez des nouvelles… » ; « Lisez… » ; retrouvez aussi… » ; « Evitez… ». Toutefois, cette dramatisation se fait sans défaitisme : « Nous gagnerons » déclare-t-il.
En somme, nous pouvons dire que cette adresse aux Français a été une belle occasion pour le Président MACRON de rassurer ses concitoyens, de galvaniser ses troupes, de montrer sa grandeur d’esprit et de « recadrer » sa gouvernance. Toute chose qui pourrait lui être profitable pour la suite de son quinquennat. La leçon majeure de ce discours reste une leçon de mobilisation. Des stratégies de mobilisation allant de l’approche diplomatique à la posture martiale en passant par celle concessionniste. Comparaison n’est pas raison, dit-on. Peut-on s’attendre à une suspension de l’IUTS pour lutter sereinement contre le Covid-19 au Burkina Faso de la part du PF à l’instar de MACRON en France ? Mystère et boule de gomme.
NÉBIÉ Boukary, pour l’Observatoire de Production et d’Analyse du Discours (OPAD) »