Que n’a-t-on pas entendu sur Tanwalbougou ? Que n’a-t-on pas écrit sur Tanwalbougou ? Qui peut, aujourd’hui, affirmer détenir toute la vérité sur ce qui se passe exactement dans cette commune de Fada N’Gourma dans l’Est du Burkina devenue tristement célèbre depuis que des FDS sont accusées d’exactions sur de supposés terroristes?
Il urge aujourd’hui que l’armée et les instances judiciaires fassent rapidement la lumière sur ces affaires qui sapent tous les efforts de cohésion sociale et d’unité nationale et qui ternissent ipso facto l’image des FDS engagées dans une lutte sans merci contre le terrorisme.
La dernière affaire remonte à fin juin. Selon un communiqué du ministère de la défense, «suite à une opération militaire menée le 29 juin dans la localité de Boumoana, près de Tanwalbougou, 7 corps d’individus morts par balle auraient été découverts à la lisière de la localité». Pour certaines OSC et communautés, il ne s’agit ni plus ni moins que « d’exécutions extrajudiciaires ». Les accusations contre les FDS fusent de toutes parts.
Le ministère de la défense annonce alors l’ouverture d’une enquête administrative à l’inspection générale des Forces armées nationales. Le ministère est ferme : « si la responsabilité d’éléments des FDS était établie, les auteurs répondront de leurs actes conformément aux lois et règlements qui régissent les forces armées nationales». Quelques jours plus tard, des médias, se basant sur des sources militaires, annoncent que l’officier ayant conduit l’opération entrainant la mort des 7 personnes a été relevé et mis aux arrêts. Il s’agirait d’un capitaine. Est-ce une bavure militaire ?
Motus et bouche cousue du côté de l’armée. En mai dernier, l’affaire des 12 morts dans les locaux de la Brigade de gendarmerie de Tanwalbougou avait également défrayé la chronique. A ce jour, nul ne sait exactement de quoi il en retourne. Ça commence à en faire trop. L’armée doit communiquer sans ambages sur ces affaires pour mettre un terme à toutes les supputations. La discipline militaire existe. Si des éléments l’enfreignent, ils doivent répondre de leurs actes sans complaisance.
Ceci dit, il faut éviter les réactions épidermiques, émotionnelles ou ayant pour unique motivation les récriminations de certains activistes des réseaux sociaux. Des enquêtes approfondies doivent être diligentées au niveau de l’armée pour faire la part des choses. L’opinion doit être clairement édifiée sur ce qui se passe à Tanwalbougou. Pourquoi cette localité est-elle ciblée ? Regorge-t-elle réellement de terroristes ? Qui sont-ils ? Quels sont leurs modes opératoires ? Pourquoi les 07 personnes ont-elles été exécutées le 29 juin ? Avaient-elles des liens avec des terroristes ? De quelle nature? Où en est-on avec l’affaire des 12 personnes mortes dans les locaux de la gendarmerie ? Quelle est l’apport de Tanwalbougou dans l’expansion du terrorisme au Burkina Faso ?
Il n y a guère de guerre propre
En un temps relativement court, les conflits ont changé de nature. On est passé du paradigme de la « guerre industrielle » entre États à celui de la guerre « au sein des populations ». Ce nouveau type de conflit a revêtu des appellations variées : guerre de « faible intensité », « irrégulière » , « asymétrique », de « quatrième génération » ou encore « bâtarde ». Nous adoptons ici la notion de guerre asymétrique, la plus appropriée à notre sujet.
La guerre asymétrique diffère des affrontements mettant aux prises deux armées loin des populations civiles. Elle oppose des États à des acteurs non étatiques, que ceux-ci soient qualifiés de « combattants irréguliers », d’« insurgés », de « guérilleros » ou encore de « terroristes ». Les guerriers asymétriques utilisent des moyens qui leur permettent de contourner la puissance militaire classique. Ils surgissent par petits groupes lors d’attaques ponctuelles dans le but de déstabiliser le fort.
La technique de la guérilla est une des formes les plus classiques de la lutte asymétrique. Pour les terroristes, le champ de bataille est l’hinterland civil, non le front militaire. Le mode opératoire des groupes armés consiste en effet à agir sous l’apparence de civils ou à utiliser la population comme bouclier humain. Ils opèrent généralement à l’intérieur des villes ou des villages, depuis des habitations, dont ils se servent comme « sanctuaires ». Ils utilisent des femmes et des adolescents soit comme simples auxiliaires, soit pour des missions d’attaques, rendant ainsi toute la population suspecte.
Cette stratégie vise à provoquer des attaques contre les civils de la part des armées régulières. S’ils parviennent à provoquer des réactions disproportionnées à leurs attaques, des massacres, des atrocités, les terroristes estiment qu’ils auront gagné la partie en démontrant l’inhumanité de l’État qu’ils combattent.
Asymétrique en termes de rapports de force armés, ce type de guerre l’est également d’un point de vue juridique. Il existe en effet plusieurs textes fondamentaux. Les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907, celles de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977 qui fixent aux États des limites claires en ce qui concerne l’usage de la force. Tous se fondent sur les principes de « discrimination » et de « proportionnalité » intimant aux États de s’abstenir de causer des souffrances à la population civile. Les guerriers asymétriques, eux, s’autorisent tout ce qui est justement et formellement interdit par les conventions relatives à la conduite des hostilités dans les conflits armés (jus in bello), dont ils ne sont pas signataires. L’article 51 §2 du Protocole additionnel I de 1977 résume à lui seul le champ de ces interdictions : « Ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être l’objet d’attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violences dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile ».
Quelles sont les conséquences de ces contraintes juridiques pour les États démocratiques ? Ceux-ci ont le choix entre deux mauvaises solutions. Soit combattre les groupes armés en respectant strictement les normes édictées par les conventions internationales, ce qui signifie s’interdire d’entrer dans les zones habitées, de fouiller les maisons pour y chercher des caches d’armes ou d’éventuels complices. C’est accepter la sanctuarisation de leur hinterland et se déclarer battus d’avance. Soit combattre dans le milieu urbain ou paraurbain.
Et c’est prendre le risque non seulement de commettre des « dérapages » mais aussi de susciter des effets pervers en chaîne : soutien accru de la population locale aux combattants, protestations internationales, contestation au sein même de leur propre opinion publique. Dans de nombreux cas, l’imbrication entre combattants et non-combattants rend le respect du principe de discrimination quasi impossible. Face à un ennemi invisible qui utilise des civils, la confusion dans le feu de l’action est fréquente. Aucune armée, aussi morale soit-elle, ne peut épargner complètement les civils. Les soldats placés aux checkpoints, par exemple, savent qu’ils peuvent s’attendre à tout moment à une attaque. Cette menace permanente crée une tension qui les rend très nerveux et développe le syndrome de la « gâchette facile ». L’inexpérience des unités contribue à multiplier ce type de bavures.
Ces dérapages sont à distinguer des actes illégaux commis en connaissance de cause par des soldats.
Savoir raison garder
Pour défaire les groupes armés, il n’y a pas d’autre moyen que d’obtenir des renseignements, même au prix de quelques excès. Dans un contexte d’exception, l’argument principal que toutes les démocraties invoquent est celui de la « nécessité ».
Si un renseignement obtenu en temps voulu permet de sauver des vies humaines, il faut tout faire pour tenter de l’obtenir. Il apparaît comme une évidence qu’un État qui s’interdit d’user de la terreur massive doit envisager une stratégie plus subtile qui consiste à s’appuyer sur la population locale en évitant de la confondre avec les terroristes et de lui témoigner du mépris. Une pareille stratégie ne doit pas utiliser des moyens qui ne servent pas sa propre sécurité.
À cet égard, entreprendre une attaque massive en vue d’une « victoire décisive » serait aussi inefficace que contre-productif. Combattre les groupes armés implique des actions qui préservent un équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et respect des droits de l’homme. Cette stratégie implique également de réprimer les comportements illégaux des forces de sécurité.
Tanwalbougou n’a pas encore livré tous ses mystères. Il faut donc se garder de jeter l’anathème sur l’armée, ou de croire que les FDS s’acharnent sans raison sur une communauté donnée. Le terrorisme n’a pas d’ethnie au Burkina Faso.
Jérémie Yisso BATIONO