Ceci est une réflexion de l’immense artiste burkinabè vivant en France que l’on ne présente plus, Lassina Yé, sur la situation difficile des artistes avec l’avènement de la pandémie de Coronavirus. Lisez plutôt !
«Le temps de l’humain, la question de la vie et de la survie au travers des arts et de la culture. Dans cette période de pandémie, l’art et la culture me semblent oubliés, et pourtant les artistes sont des acteurs dignes de la pensée des citoyens, ils portent l’identité culturelle hors des frontières.
Depuis le début de la crise sanitaire, les acteurs politiques négligent l’importance du numérique dans l’éveil et l’éducation à la culture alors que c’est possible aujourd’hui de s’appuyer sur cette technologie et que c’est la seule possibilité de garder la tête hors de l’eau, en tout cas pour ceux qui disposent de matériel et de studios de travail. D’ailleurs, il y a des pays qui ont mis en place des plates-formes de téléchargement de musiques et de films.
Ils ne prennent pas non plus en compte la grande question du statut économique des artistes… La crise sanitaire est mondiale. Sans production, sans diffusion, les artistes vivent de quoi?
Le confinement signe la rupture entre les lieux de spectacle et les artistes. Tous les lieux ont pris des coups: salles de spectacle, de cinéma, théâtres, cabarets, clubs, festivals…
Les acteurs culturels sont devenus impuissants, aucune programmation n’est possible… Beaucoup se rabattent sur le télétravail et tentent de s’adapter; c’est possible en tradition écrite mais ceux qui sont dans la musique vivante souffrent; le coût est très, très élevé, y compris moralement.
Toute la réflexion d’écriture, le travail de recherche, de répétition, l’expérimentation, la création, même s’ils sont théoriquement réalisables, sont appauvris car privés de la vibration des rencontres, des inter- actions entre artistes et public. Or, l’art vivant se nourrit du contact…
Tout le monde est en interrogation, suspendu aux déclarations gouvernementales… Le monde entier subit et vit au rythme des règles sanitaires, ce qui est tout à fait normal, mais il faut donner de l’espoir, soutenir les efforts de solidarité et de fraternité, et là, l’art et les artistes ont toute leur place pour que le confinement ne soit pas synonyme de rupture avec l’extérieur, voire d’enfermement psychique.
Faire la démarche de prendre en compte l’être humain au-delà de l’artiste, même en dehors de son pays, serait une marque de reconnaissance de notre rôle et de notre engagement culturel et social dans la société. Se servir des artistes à l’intérieur du pays ou en dehors, c’est normal mais il ne faut pas les oublier une fois utilisés… En tout cas ceux qui n’entrent pas dans le cahier des charges de la coopération culturelle, qui ne sont pas dans leur cour et leur réseau politique.
C’est vrai que beaucoup d’autres secteurs d’activités sont touchés, mais pour les artistes c’était déjà difficile avant la pandémie… C’est pire aujourd’hui, c’est le moment où tous les artistes ont besoin du soutien inconditionnel des amis, de la famille, de l’Etat, pour qu’ils ne soient pas enclavés dans une souffrance terrible.
Un soutien financier des institutions est nécessaire. Il y a des artistes qui ont des vies de famille, qui avaient des projets en cours; du jour au lendemain, tout s’est arrêté. Or, ils ont besoin de vivre décemment, ainsi que leur famille.
Il faut penser à la sensibilité des enfants confrontés à la détresse de leurs parents dont ils perçoivent parfaitement les préoccupations matérielles et morales. Pour grandir, ils ont besoin du soutien de leurs parents et ils comprennent que l’avenir va être difficile pour eux… C’est un traumatisme pour eux et de mauvais augure pour la société.
Le rôle de l’Etat c’est de rassurer, soutenir, donner des perspectives d’avenir, surtout que cela risque d’être long… Il est urgent que les acteurs économiques et politiques trouvent le moyen de soutenir activement les artistes afin qu’ils continuent à vivre dignement de leur travail et de leur art.
Contrairement aux fonctionnaires et aux retraités qui continuent de percevoir leur salaire ou leur pension, les artistes se retrouvent dans une situation précaire, surtout en Afrique où il n’existe pas, ou peu, de fonds de solidarité, où les artistes professionnels africains ne peuvent plus se déplacer hors des frontières. Heureusement, la solidarité traditionnelle reste une valeur très forte en Afrique et permet de ne pas sombrer.
Il est urgent que les responsables politiques et économiques trouvent un moyen de venir en aide aux acteurs de ce secteur sinistré de la culture qui doivent rester présents auprès de leurs concitoyens. C’est particulièrement le cas en Afrique où l’art populaire a une grande importance sur les places publiques et dans les évènements familiaux.
Ce qui est sûr, c’est que certains pays ont pris en compte les difficultés de leurs artistes et la nécessité de les accompagner au niveau financier, en ce moment difficile, afin qu’ils assurent leurs charges quotidiennes (alimentation, logement, santé…), très lourdes pour certains.
C’est dans la difficulté qu’on voit les vrais acteurs économiques et politiques qui soutiennent la culture parce qu’ils en connaissent l’impact sur les hommes et la société.
Dans cette souffrance je pense à mes collègues musiciens, conteurs, mais aussi cinéastes, réalisateurs, comédiens, danseurs, chanteurs, plasticiens, luthiers, techniciens… et ça me fait de la peine qu’il n’y ait pas beaucoup de solidarité à notre égard, alors que l’art c’est le cœur des gens. Tout le monde écoute de la musique, tous les styles de musique; ce serait bien qu’ils aillent à la rencontre de l’artiste au-delà de ce qu’ils entendent. Ce n’est pas qu’une question d’argent, c’est seulement un signe de reconnaissance de notre rôle.
Ce qui est triste, c’est que les artistes sont toujours obligés de rappeler qu’ils sont là et que l’art est important alors que les hommes devraient avoir conscience qu’il faut aller vers eux, comme on va chercher son pain.
Je ne devrais même pas avoir à écrire cela car ça va de soi.
Il y a beaucoup de personnes sensibles à la culture, riches de cœur et conscientes des réalités, on leur fait confiance mais il faut une mobilisation de tous : amis et familles des artistes, mélomanes, fans, tous les humains qui savent l’importance des arts et de la culture, afin de soutenir massivement, à tout point de vue, notamment par des commandes, les artistes pour que l’art soit le ferment de notre société
En période de crise où l’humanité est plongée dans l’incertitude, il faut encore plus réveiller la sensibilité, susciter l’amour des arts.
On ne peut pas vivre sans l’art, l’art ne peut pas se développer sans moyens, on peut l’ignorer mais la flamme ne va pas s’éteindre car l’art est au cœur de la vie
Je pense au patrimoine musical et culturel: il faut que la mémoire reste vivante pour nos enfants, la jeunesse, la famille, il faut qu’on reste mobilisés massivement pour le soutien aux artistes, la solidarité commence par-là».