A la tête de la coopérative Nuna Biogaz qui réalise un chiffre d’affaires annuel entre 12 et 56 millions de francs CFA, Korotimi Aschlet Niangao est au-delà de son entreprise, une fierté pour le Programme national Biodigesteurs du Burkina Faso. La cinquantaine bien sonnée, K. Aschlet Niangao est en effet l’exemple même de femme battante qui a à sa charge personnelle 6 personnes et dirige une équipe de 15 personnes dont 13 hommes. «Etre femme a été un atout dans mon travail», confie l’amazone du biogaz qui nous fait découvrir l’univers de son activités, ses haut et ses bas. Entretien exclusif.
Burkina Demain : Vous êtes responsable de Nuna Biogaz, une entreprise emblématique en matière de construction et maintenance de biodigesteurs. Comment devient-on constructeur-maintenancier de biodigesteur ?
Korotimi Aschlet Niangao : Pour devenir maçon biogaz il faut remplir les conditions suivantes :
-avoir des connaissances en maçonnerie traditionnel (bâtiment) ;
-participer à la formation de maçons biogaz et être certifier maçon biogaz ;
-maîtriser et respecter les dosages des agrégats entrant dans la construction du biodigesteur ;
-avoir une base de connaissance en écriture (français ou langue locale) ;
-accepter de travailler sous pression ;
-ccepter de vivre en milieu rural.
De point focal PNB, vous êtes devenue patronne de Nuna Biogaz. Cela a dû être un parcours de combattant…
J’ai assuré le poste de point focal du PNB auprès de la Fédération NUNUNA partenaire de mise en œuvre du Biodigesteur dans la Sissili/Ziro depuis 2010.
Je faisais le suivi accompagnement des maçons dans la réalisation des ouvrages sur le terrain (sensibilisation des populations, présentation du PNB et de la technologie, mobilisation de la demande, répartition des clients aux maçons pour la réalisation des constructions)
Tous les mois je fais le point des activités avec les maçons (réalisations, difficultés rencontrées sur le terrain et planification du mois suivant.)
A cela s’ajoute la rédaction des rapports et transmission au PNB. Mais, en fin 2018, les partenaires de mise en œuvre ont été supprimés du schéma de production, d’où la création de la coopérative Nuna BIOGAZ.
Que faites-vous concrètement à Nuna Biogaz ?
Je suis personnellement chargé de l’organisation de l’équipe, le répondant direct entre le PNB/BF et Nuna BIOGAZ. Je fais le suivi des activités sur le terrain et assure le paiement des maçons après les constructions.
Je suis aussi chargée de veiller à la commande du matériel de construction et à sa gestion optimale, ainsi que de la gestion des finances.
Je m’assure également de la satisfaction du client après réalisation de l’ouvrage, soit par des visites de terrain ou par des appels téléphoniques.
Nuna BIOGAZ dont je suis la gérante, compte 10 maçons certifiés, 02 animateurs, 01 service d’appel client et 01 technicien biogaz. L’entreprise est reconnue conformément à l’acte uniforme OHADA depuis 2019.
Y’a-t-il un engouement vis-à-vis de vos services ?
Oui. Car étant la toute première équipe à s’organiser en coopérative dans le cadre du biodigesteur nous avons fait de la qualité notre cheval de bataille. Cela constitue notre force et notre fierté car nos ouvrages sont appréciés par les partenaires et les clients.
Quels sont vos principaux clients ?
Les ménages en milieu rural et péri-urbaine, les propriétaires de ferme, les institutions de recherche et les grands centres de formation.
Vos services sont-ils accessibles en termes de coûts ?
Bien sûr, car avec la subvention de l’état, le coût est réduit de moitié et peut être rentabilisé en une campagne pour peu que le client ait un projet autour de l’ouvrage.
Comment procéder pour accéder à vos services ?
A travers les émissions radios, les sensibilisations et le bouche à bouches des clients qui possède déjà la technologie. Nous allons échanger sur place avec le client pour vérifier son éligibilité ou non. Si cet entretien est concluant nous procédons à la signature du précontrat.
Peut-on avoir une idée de vos chiffres d’affaires ?
Cela dépend car les activités varient chaque année. Cela se situe entre 12 000 000 F CFA et 56 000 000 F CFA.
Avez-vous bénéficié d’un accompagnement du Programme national biodigesteurs ?
Oui.
Lequel ?
Depuis 2010 nous avons bénéficié des formations sur la technologie, sur les produits dérivés du biodigesteur, en communication et promo marketing… Le PBN assure la réception des ouvrages construits et facilite la mobilisation des financements auprès des partenaires.
Quelles sont les régions du pays dans lesquelles vous intervenez ?
Le centre-ouest et le sud-ouest sont nos zones officielles mais nous intervenons un peu partout sur le territoire si nous sommes demandés.
Le Covid-19 a-t-il eu un impact sur vos activités ?
Bien sûr, comme tout le monde, nous avons vu nos réalisations baisser car les maçons ont dû rejoindre leur famille sur plusieurs mois.
Et l’insécurité avec les attaques terroristes dans le pays ?
Oui car nous avons connu des désistements de certains clients qui avaient accueilli des familles de déplacé et ne pouvais plus assumer les charges de construction.
Quels sont vos projets phares dans les années à venir (S’il y en a) ?
Nous prévoyons crée une ferme école comme une vitrine du biodigesteur. On y mettra toutes les options de la technologie. Cela constituera un outil de communication et de plaidoyer car nous avons surnommé le biodigesteur « le sauveur de la famille».
Au-delà du Covid-19 et de l’Insécurité, quels sont les autres problèmes rencontrés dans votre travail ?
La mobilité (ils quittent le village pour s’installer au champ pour l’agriculture et délaisse l’ouvrage pendant cette période) des clients en saison hivernale réduit l’exploitation maximale du biodigesteur.
-la quantité de compost est réduite au strict minimum 5 à 10 tonnes pour une production estimée entre 30 et 40 tonnes ;
-la non stabulation des animaux pour défaut d’installation adapté (étables) ou de formation entrant dans la mobilisation des aliments bétails ;
-le problème d’eau ;
-la sous-utilisation de la technologie.
Le Burkina Faso et la communauté internationale célèbrent cette semaine la Journée internationale de la femme. Est-ce qu’au départ, le fait d’être femme a-t-il été un atout ou un handicap dans l’exercice de votre travail ?
Cela a été un atout car étant agent de terrain et sensible à la souffrance des femmes sur la corvée bois et eau.
J’ai plus de facilité à convaincre les hommes pour l’acquisition de la technologie.
Travaillez-vous avec combien d’hommes dans votre équipe/entreprise ?
Nous sommes une équipe de 15 personnes dont 02 femmes.
La célébration du 8 mars 2021 est placée sous le thème de l’accès de la femme au numérique pour favoriser son inclusion financière. Qu’en pensez-vous ?
Cela est une bonne chose car les femmes ne doivent pas rester en marge. Elles sont de plus en plus nombreuses dans les mouvements associatifs et les Technologies de l’information et de la communication constituent un outil incontournable de recherche d’information, de formation et de commercialisation.
Quel est le degré d’utilisation du numérique dans votre travail ?
Plus de 90% car les équipes de maçons sont sur le terrain, les réceptions des ouvrages sont digitalisées, notre relation avec les clients se fait la plupart du temps par téléphone. Avec les partenaires nous utilisons de téléphone et les e-mail.
Ne faut-il pas parler aussi d’inclusion énergétique pour parvenir à cette inclusion numérique ou financière ?
Oui. Car nous sensibilisons les ménages à combiner le solaire et le foyer Biogaz pour réduire l’impact sur l’utilisation du bois comme énergie pour la cuisson des aliments.
Quelles sources d’énergie utilisez-vous à Nuna Biogaz et à domicile ?
Le biogaz, le gaz butane, l’électricité et les panneaux solaires.
Quelle est la proportion des femmes (comparées aux hommes) qui ont bénéficié ou bénéficient de vos services ?
Nous pouvons dire sans nous tromper que 90% car dans chaque ménage il y a au minimum une femme. Et dans certains ménages la femme est chef de ménage. C’est une minorité des hommes confisquent le foyer pour eux seul.
Qu’est qui limite l’accès des femmes à vos services ?
Le problème de terrain car elle n’est pas propriétaire, le cout de la technologie (les animaux).
Que faudra-t-il faire pour favoriser davantage l’accès des femmes au biodigesteur ?
-ouvrir une ligne de crédit dans les institutions de micro finance avec les conditions allégées pour les femmes ;
-financer les activités connexes autour du biodigesteur pour améliorer le panier de la ménagère et lui permettre d’être financièrement autonome. (maraicherculture, élevage, production et vente de compost…).
Personnellement, que faites-vous en tant que femme leader dans le secteur pour favoriser l’accès des femmes au biodigesteur ?
Lors des sensibilisations je présente les avantages du biodigesteur à l’endroit de chaque membre de famille (femme, homme et enfants). L’homme, s’il construit l’ouvrage il peut compter sur la femme pour le chargement quotidien pour avoir le gaz pour la cuisson des aliments, l’utilisation du foyer biogaz lui facilite les la corvée de bois et se fatigue moins. Elle se fatigue moins, reste en bonne santé, donc disponible pour son homme.
Entretien réalisé par Martin Philippe
Burkina Demain