Le moins que l’on puisse dire à propos du Tchad post Idriss Déby Itno, c’est que l’épreuve de force est engagée entre les protagonistes de la situation sociopolitique concernant l’avenir du pays. Entre la mise en place du Conseil militaire de transition (CMT) ; la nomination d’un Premier ministre civil, la manifestation monstre et meurtrière (au moins 9 morts et plusieurs dizaines de blessés) de l’opposition ce mardi ; il faut y voir simplement la stratégie des uns et des autres de faire avancer leurs pions.
Qu’on se le dise : en ces temps d’incertitude au Tchad, chaque protagoniste de la situation sociopolitique est à la manœuvre pour compter le plus possible sur l’échiquier politique post Idriss Déby Itno. Chaque acteur y va de sa stratégie, de ses moyens d’actions.
Avec certainement le soutien de l’ex-puissance coloniale, la France, les nouveaux maîtres de N’Djamena avec à leur tête le Général Mahamat Idriss Déby Itno, fils du défunt président, ont réussi à éloigner la menace des FACT, avec qui ils ne veulent plus négocier et se penchent désormais sur le cas des opposants politiques. Informés de la détermination des opposants politiques à manifester ce mardi afin de revendiquer la remise du pouvoir aux civils ; le CMT a lâché du lest lundi en nommant un Premier ministre civil en la personne d’Albert Pahimi Padacké.
Message d’ouverture des militaires aux civils
A travers cette nomination d’Albert Pahimi, il faut y voir un message d’ouverture des militaires au pouvoir à N’Djamena qui lors des obsèques vendredi dernier d’Idriss Déby père, avaient laissé entendre au président Emmanuel Macron que le CMT n’avait pas vocation à s’accaparer le pouvoir tout seul, puisque le locataire du palais de l’Elysée plaidait à cette occasion une inclusion de l’opposition et de la société civile dans la transition politique en cours.
Un Premier ministre civil dans un pays militarisé comme le Tchad, ce n’est pas rien mais les opposants et les acteurs de la société civile veulent davantage. Ils ne veulent pas d’une ouverture alibi. Ils veulent un gouvernement civil à même d’assurer un retour du pouvoir aux civils.
Les opposants le savent bien : sans pressions conséquentes, les militaires ne remettront pas de sitôt le pouvoir aux civils. D’où la manifestation monstre et meurtrière (au moins 9 morts et plusieurs dizaines de blessés) de ce mardi qui indique clairement leur détermination à peser dans le jeu politique.
«Macron n’est pas pour un plan de succession»
Comme on le dit trivialement, «l’ami de ton ennemi est ton ennemi» ; les manifestants n’ont pas été tendres avec la France, soutien supposé du CMT. Taxé ainsi de rouler pour les nouveaux maîtres de N’Djamena, Paris a été obligé de réagir, d’afficher sa neutralité dans l’équation politique tchadienne.
«Je suis pour une transition pacifique démocratique inclusive, je ne suis pas pour un plan de succession. Et la France ne sera jamais aux côtés de celles et ceux qui forment ce projet», a indiqué à ce propos le président Emmanuel Macron.
Cela suffira-t-il à dissiper les soupçons de l’opposition politique du Tchad vis-à-vis de la France ? Rien n’est moins sûr. Sur le coup, le président français a dit ce que certains aimeraient entendre pour se rassurer de sa bonne foi. D’autres par contre, voudront voir d’abord le pouvoir dans les mains des civils pour croire, oubliant que tout ne dépendra pas de la bonne volonté ou bonne foi de Paris.
Le message du locataire de l’Elysée peut être compris comme une invite pour chaque protagoniste à compter sur ses propres forces, sa propre stratégie de conquête de pouvoir mais en impliquant les autres forces dans la gestion des affaires.
Si le Général Mahamat décide d’abandonner son uniforme…
Ce qui ne signifie pas forcément les civils au pouvoir à N’Djamena, ni les militaires restent au pouvoir. Si par exemple le Général Mahamat décide d’abandonner son uniforme et de se porter candidat à la future présidentielle avec le soutien des partis d’opposition et qu’il la gagne in fine ; Paris ne pourra pas s’y opposer.
De même, si un opposant émergeait du lot et parvenait à rafler la mise aux militaires qui n’auraient pas su s’adapter au terrain mouvant du politique pour conserver le pouvoir hérité sur le front militaire ; l’Hexagone applaudirait sûrement, au grand bonheur de l’opposition politique.
A l’allure où vont les choses, que cela soit clair pour les uns et les autres : le pouvoir démocratique et légitime au Tchad post Idriss Déby se gagnera à N’Djamena et se gérera avec le soutien de la France ou d’autres forces extérieures.
Martin Philippe
Burkina Demain