Inaugurée le 16 avril 2022 au cours d’une cérémonie qui a servi aussi de lancement de l’édition 2022 de la Semaine de la science et des technologies (SST) de Kinshasa, l’unité de recherche en nanomatériaux et nanotechnologies de l’Institut national de recherche en sciences exactes et naturelles (IRSEN) au Congo ne fait pas mystère de ses ambitions. Celles-ci sont d’apporter une contribution concrète à la résolution de certains problèmes qui se posent dans la société congolaise. En particulier à travers des travaux dans les secteurs de la santé et de l’énergie.
Dans cet entretien, Maryse Dadina Nkoua Ngavouka, enseignante-chercheure à la faculté des sciences et techniques de l’université Marien Ngouabi de Brazzaville, par ailleurs responsable de cette unité de recherche, souligne l’intérêt pratique de ce laboratoire ; non sans remonter le temps pour décrire les étapes de sa mise en place.
Qu’est-ce qui a motivé la mise en place de ce laboratoire ?
J’ai eu à faire de la physique théorique jusqu’au niveau du diploma (pré-PhD). Avant d’entamer ma thèse de doctorat, j’avais vraiment envie de faire quelque chose de pratique. C’est alors que je suis passée de la physique théorique à la physique pratique en allant étudier les nanosciences pour faire quelque chose de plus visible.
A la fin de mes études, je suis rentrée au pays avec d’autres réalités. Mais j’avais l’ambition et la passion de mettre en pratique ce que j’avais appris. J’ai commencé d’abord par écrire des projets dans le secteur des énergies renouvelables pour démontrer à la communauté que nous, chercheurs, nos travaux ne s’arrêtent pas que dans des laboratoires ; ils peuvent être utilisés par la communauté directement. C’est sous la base de tous ces éléments que le projet est né.
Quelles ont été les grandes étapes de sa mise en place ?
L’unité de recherche en nanomatériaux et nanotechnologies a été mise en place depuis 2017. Mais on s’est retrouvés confrontés à un manque d’espace de travail et d’équipements adéquats. C’est ainsi que nous avons commencé à écrire des projets de recherche pour trouver des financements.
L’année suivante, nous avons obtenu notre premier financement. Cependant, nous n’avions pas de locaux adéquats pour installer le laboratoire. C’est ainsi que nous avions sollicité notre ministère de tutelle pour l’obtention de locaux. Ce qui fut fait et nous avons eu ce bâtiment qui a été inauguré le 16 avril 2022.
Un autre problème se posait cependant : nous avions le bâtiment, mais il fallait le réhabiliter. Ainsi, l’Etat nous est venu en aide, mais ce n’était pas suffisant. Alors, nous avons fait une levée de fonds au niveau national. Entre-temps, j’ai eu un coup de pouce d’un ami journaliste camerounais qui avait publié deux articles sur nous, articles relayés au niveau de l’Afrique. Ces articles ont eu un écho favorable et j’ai été contactée par la professeure Raïssa Malu, directrice générale de l’ONG Investing in People Asbl et organisatrice de la SST, qui m’a garanti que sa structure devait financer les travaux de réhabilitation du bâtiment à hauteur de 10 000 dollars. Nous avons aussi bénéficié de l’appui de l’Organisation des femmes de science pour le monde en développement (OWSD[1]) basée en Italie dont je suis membre. La Royal Society nous a également financés pour les équipements.
De quels équipements disposez-vous justement ?
S’agissant du matériel, nous avons un microscope à force atomique (AFM), un NanoDrop qui permet de quantifier la concentration des protéines ou de l’ADN[2], des incubateurs qui nous permettent de faire nos cultures, des fours pour changer de température quand on fait nos manipulations, etc. Sans oublier une salle spécialisée dans les énergies renouvelables, qui permet de faire toutes manipulations y afférents avant de les installer dans les communautés.
Qu’est-ce qui se fait concrètement dans votre laboratoire au profit des populations ?
Nous avons différents domaines d’expertise. Nous travaillons notamment dans la santé et dans l’énergie. Dans la santé par exemple, nous synthétisons les nanoparticules. Ce sont de tout petits objets qui se trouvent à l’échelle de l’atome. Ils sont synthétisés pour pouvoir détecter des cellules malades dans l’organisme. Nous travaillons plus particulièrement sur les cellules cancérigènes. Les nanoparticules vont aller cibler directement ces cellules malades. C’est un plus par rapport à la chimiothérapie qui se fait d’une manière un peu évasive. Nous synthétisons les nanoparticules en utilisant les algues récupérées dans le fleuve Congo Ces nanoparticules sont en même temps biodégradables. Dans le secteur de l’énergie, nous travaillons à améliorer le rendement de nos panneaux solaires. Le microscope à force atomique nous permet de visualiser à l’échelle de l’atome tout ce que nous synthétisons. On ne s’arrête pas à la pratique : il y a le côté théorique qui consiste à faire des simulations.
Quelle est la particularité de votre laboratoire ?
Nous synthétisons les nano-fertilisants biodégradables ; une façon de contourner l’utilisation abusive des pesticides. Ce sont des projets de recherche non seulement qui sont applicables durablement, mais qui sont directement appliqués à la vie de tous les jours du Congolais. Au niveau du biocarburant, nous les produisons via un procédé thermochimique en utilisant de la biomasse aquatique. A ce sujet, nous avons publié deux articles.
Comment le projet de création de ce laboratoire avait-il été accueilli au départ ?
(Rires). On ne m’avait pas cru. Le bâtiment qui nous avait été attribué au début était dans un état complètement insalubre. Raison pour laquelle j’avais fait une levée de fonds. Si je n’étais pas motivée et passionnée, j’aurais pu abandonner ce projet. Aujourd’hui, je me dis que quand je partirai, je laisserai quelque chose que les autres pourront utiliser et continuer à exploiter.
J’en profite pour dire aux jeunes filles de suivre ce qu’elles souhaitent faire. Elles doivent savoir qu’être chercheuse ne veut pas dire que l’on a beaucoup d’argent. Moi, je fais le travail que j’ai toujours voulu faire. Je m’instruis et j’apprends tous les jours. Donc, elles doivent suivre leurs cœurs. Les préjugés, il y en aura toujours. Bref, il faut suivre sa passion.
Qu’avez-vous ressenti au moment de l’inauguration de ce laboratoire le mois dernier ?
J’ai poussé un ouf de soulagement et ensuite, je me suis dit : « voilà, le travail commence ! Il faut maintenant démontrer aux gens pourquoi j’étais si acharnée pour ce projet et pourquoi je suis rentrée au Congo alors que je pouvais rester en Italie où j’avais encore mon poste».
Quelles perspectives voyez-vous pour cette unité ?
Nous souhaitons l’agrandir, car c’est encore un bébé par rapport à notre vision. Nous souhaiterions avoir plus de partenaires aussi et démontrer que notre recherche est appliquée à la communauté. Que ce laboratoire soit celui des Congolais et que chacun puisse y avoir accès.
Christian Wilfrid Diankabakana (sources :https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/)