Habité par la musique, Jean-Philippe Rykiel appartient au monde des accords et inspire l’harmonie pour aller vers les autres car c’est aussi un humaniste. Auteur-compositeur, interprète- arrangeur, il est sans conteste un musicien hors pair qui sait d’où il vient et est attaché aux valeurs familiales, très sensible aux valeurs humaines. Témoignages.
L’esprit d’ouverture de Jean-Philippe Rykiel l’a conduit sur le chemin de la connaissance et à emprunter la voie de la sagesse pour aller à la rencontre d’autres peuples et d’autres civilisations, notamment au travers de la musique. Il possède également une grande culture cinématographique et littéraire.
Il a toujours un instrument de musique près de lui pour partager des moments musicaux avec des musiciens amis. Il est surprenant dans sa sensibilité musicale, et sa générosité pour accompagner les autres dans leurs projets artistiques et musicaux force l’admiration…
A l’écoute de l’actualité du monde, il ne reste pas passif face aux crises de tous ordres que traverse l’humanité, il aime échanger son point de vue avec ses amis et ses proches.
Jean-Philippe est aussi un grand ami que j’ai, de longue date, le plaisir immense d’accueillir chez moi, à Bourges.
Ses séjours sont toujours riches de discussions, d’échanges sur les cultures du monde et particulièrement l’animisme africain…
C’est aussi l’occasion de partager notre amour de la nature, lors de balades en forêts d’Allogny ou de Tronçais, de promenades autour du lac ou dans les marais de Bourges… Ces moments, sans portables, sont inoubliables et non dépourvus d’humour!
Notre passion pour l’art et la musique fait partie de nos plaisirs communs. J’ai même eu le plaisir de l’associer à une invitation pour assister à un concert d’orgues (concerto de Bach) dans la cathédrale de Bourges, dont il a pu apprécier la formidable acoustique.
Jouer du piano, à la semaine du handicap à Bourges
Il y a quelques années, à titre professionnel, il est venu jouer du piano, à la semaine du handicap à Bourges: pour l’anecdote, je me souviens qu’il avait interprété, entre autres, La Marseillaise.
Jean-Philippe Rykiel est un grand artiste, une personnalité dans le monde de la musique universelle. C’est avec fierté et grand plaisir que je veux rendre hommage à son talent de musicien et contribuer à le faire découvrir en Afrique.
Jean-Philippe est né le 31 mai 1961 à Boulogne-Billancourt, en Région Parisienne, du grand amour de Sonia et Sam Rykiel.
Privé de la vue dès sa naissance à l’instar de grands artistes comme Gilbert Montagné ou Stevie Wonder, Jean-Philippe dira, non sans humour, qu’il avait ainsi accédé très tôt à une sorte de club très fermé !
Il a grandi au sein d’une famille aimante. Sa mère, dont il dira qu’elle était pour lui « la tendresse personnifiée », était la célèbre créatrice de mode et de la griffe « Sonia Rykiel ».
Le magnifique texte qu’il lui a dédié, lors de son décès, est particulièrement émouvant, j’espère qu’il ne me tiendra pas rigueur de le retranscrire ici comme un bel exemple d’amour filial :
« Ce jeudi 25 août 2016 à 5 h du matin, notre chère maman Sonia a quitté son corps meurtri par la maladie après un douloureux combat qui aura duré plusieurs années. Au moment où j’écris ces lignes, je ne suis pas triste. C’est le soulagement qui domine, soulagement de la savoir enfin délivrée de ses souffrances. Chère Maman, grâce à qui ma sœur Nathalie et moi sommes qui nous sommes, le vide que tu laisses dans nos cœurs ne se refermera jamais mais nous te souhaitons bon voyage dans l’invisible. Envole-toi en paix, Maman, et que notre amour éternel t’accompagne toujours. Maman, je t’aime. Ton Jean-Philippe. »
Au cours de son enfance, il a reçu de son père, intellectuel et passionné de la vie, beaucoup d’affection et d’attention. Celui-ci l’a accompagné dans sa découverte de la musique et du piano, et soutenu dans ses choix artistiques.
Nathalie Rykiel, sa sœur, a pris la succession de leur mère au sein de la célèbre maison de couture qu’elle a dirigée durant presque vingt ans. Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres, elle se consacre désormais à l’écriture. Son cinquième ouvrage, sobrement intitulé « Sam Rykiel », et dédié à son père, est admirable et je ne saurais trop en conseiller la lecture…
Jean-Philippe a rencontré la musique dès son plus jeune âge. Celle-ci s’est imposée à lui comme devant constituer une part essentielle de sa vie.
C’est par l’écoute des disques du grand musicien de jazz afro-américain, Thelonious Monk, qu’il a découvert le jazz jusqu’à, selon son propre terme, s’en imprégner… Il savait en distinguer tous les instruments tant cette musique lui semblait accessible.
Encore maintenant, il évoque en ces terme la musique de ce grand musicien: » ce que fait Monk est d’une inventivité harmonique absolument fabuleuse et il crée des univers très personnels avec ses accords, mais l’absence d’effets de virtuosité permet à l’enfant de ne pas se sentir exclu ou devant une montagne infranchissable comme cela peut être le cas à l’écoute d’un Oscar Peterson, Martial Solal ou Art Tatum ».
C’est l’écoute de la musique de Thelonious Monk qui a très tôt, dès quatre ou cinq ans, guidé Jean-Philippe Rykiel vers l’apprentissage du piano. Le programme d’enseignement de l’institut pour aveugles qu’il fréquentait prévoyait bien l’étude de cet instrument, mais d’une manière qui privilégiait la musique classique. Ce qui valut à Jean-Philippe d’être « collé » par son professeur pour avoir été surpris à jouer du blues au piano!
C’est donc sur le piano familial, appuyé par les cours particuliers d’une très bonne pianiste classique, Sylvie Carbonel, qui lui a permis d’acquérir une certaine technique, qu’il a perfectionné la maîtrise de son instrument.
Parallèlement, son père lui a permis de rencontrer des compositeurs classiques, comme Max Deutsch, originaire comme lui d’Europe de l’Est, dont l’admiration pour Johannes Brahms et Gustav Mahler, ne l’empêchait pas d’être également compositeur de musiques de films…
Après le temps du classique et du jazz, est venu pour Jean-Philippe Rykiel celui du jazz-rock, notamment de » Weather Report à l’époque d’Agyemang, pour poursuivre dans la création sonore et le jazz électrifié ou jazz fusion, avec, entre autres Bloom, Tim Blake »…
La découverte de la musique électronique de Pierre Henry fut un choc pour Jean-Philippe, notamment au travers du disque « Messe pour le Temps Présent ». Cette œuvre, composée par Pierre Henry pour le célèbre chorégraphe Maurice Béjart, s’est révélée être la principale influence qui l’a orienté vers la musique électronique.
Il a alors commencé à laisser libre cours à sa créativité, en se livrant à des expérimentations sonores qu’il enregistrait sur son mini-K7 : c’est ainsi que naissent les compositeurs!
Encore lycéen, Jean-Philippe a fait sa première séance d’enregistrement en studio pour accompagner Éric Estève, auteur-compositeur-interprète ayant fait partie de la première troupe de Starmania et, à l’époque, choriste sur des albums de Véronique Sanson : c’est ainsi que naissent les artistes!
Plus tard, au travers de son travail en solo, et avec pléthore de chanteuses et de chanteurs, il a prouvé son professionnalisme, sa modernité, son goût pour la création.
Si sa mère avait acquis la notoriété par l’élégance et l’innovation de ses créations dans le domaine de la mode, Jean-Philippe a atteint lui aussi l’excellence dans le domaine musical : la qualité de ses disques en témoigne.
Sa « musique intérieure », comme il se plaît à appeler son univers artistique, « s’est construite au fur et à mesure des expériences qu’il a accumulées au long de sa vie, depuis son imprégnation précoce au jazz de Thelonious Monk, en passant par l’étude du piano et la fréquentation de pianistes ou compositeurs classiques tels Debussy, Ravel et bien d’autres, pour aboutir dans les musiques qui viennent de loin et qu’on a appelé « world » par la suite, avec un amour particulier pour l’Afrique de l’Ouest depuis un quart de siècle ».
Il m’a souvent dit que « son attachement à l’Afrique était un mystère et qu’en fait il y avait découvert des choses qui lui manquaient chez lui ».
Cette attirance a sans doute été confortée par sa rencontre, à Paris, avec une bande de musiciens africains dont faisait partie Agyemang, rencontre qui a changé le cours de sa vie.
Pour exemple de ce qu’il n’a trouvé qu’en Afrique, et qui en dit long sur sa sensibilité et ses valeurs humaines, Jean-Philippe cite souvent le rire qu’il appelle » le rire de joie, c’est-à-dire le rire qui s’exprime quand on est heureux de retrouver quelqu’un et qui constitue le premier signe de ce bonheur »… Si le rire est le propre de l’homme, il est surtout la plus haute expression de son humanité.
Jean-Philippe est aussi particulièrement heureux d’être reconnu par de nombreux artistes de ce continent comme un musicien qui a compris la nature profonde de la musique africaine.
Je lui ai souvent parlé de Bazoumana Sissoko, génie de la musique malienne, aveugle comme lui et qui avait appris seul à jouer du n’goni dans son enfance. Celui que l’on surnommait « Le Vieux Lion » était né en 1890. Il est l’auteur-compositeur de l’hymne national malien et un ardent défenseur du jeune Etat malien indépendant. Tout au long de sa longue carrière, il s’est attaché à rendre hommage aux grands hommes de l’histoire du Mali et à la transmission des légendes de l’ancien royaume bamanan de Ségou ou encore de l’empire du Mali. On lui doit cette citation : »La dignité est l’essence de toutes les vertus ».
Le terme africain, l’équivalent d’européen pour l’Europe
Je salue l’intelligence et le respect dont Jean- Philippe fait preuve lorsqu’il parle de l’Afrique…
Il sait que le terme africain est l’équivalent d’européen pour l’Europe, il s’attache donc à préciser à quel peuple, à quelle culture il se réfère.
J’apprécie aussi sa curiosité et sa soif de comprendre des mœurs qui lui étaient totalement inconnues…
Par exemple la «parenté à plaisanterie», pratique ancestrale fréquemment utilisée au Burkina Faso et dans les pays voisins et par laquelle s’insulter faussement, s’aborder par la plaisanterie sert à dédramatiser les rapports entre les gens et parfois à régler des conflits entre personnes.
Et par-dessus tout, il a découvert un rapport avec la vieillesse très différent de celui entretenu en occident. Je partage avec lui la déférence et le respect pour l’expérience et la sagesse des anciens qui prévalent majoritairement en Afrique.
Enfin, je veux rendre hommage, outre au talent artistique, au courage de Jean-Philippe Rykiel qui a su surmonter les obstacles qu’aurait pu lui imposer le fait d’être aveugle de naissance…
Comme il le dit lui-même, il a poursuivi l’exercice de son art comme il le souhaitait, et probablement comme il l’aurait fait s’il avait été voyant. Il a rencontré tout un tas de gens passionnants. Il manipule les objets de haute technologie (synthétiseurs, éléments de sonorisation, ordinateurs) souvent mieux que beaucoup d’autres. Il a voyagé dans le monde entier et joué avec un très grand nombre de musiciens talentueux, au cours de ses différentes aventures…
On aura compris combien je voue une admiration sans limite à cet ami très cher. Sa modestie l’honore et je veux ici livrer intégralement le message qu’il envoie aux non-voyants, puis aux voyants:
« Je ne souhaite pas être un modèle ni un maître à penser dans ce domaine de la cécité décomplexée, mais j’espère pouvoir transmettre le message qu’il faut avoir confiance en soi et en la vie. Longue ou courte, avec ou sans limites, chaque vie mérite d’être vécue, et pas a minima ni au rabais, mais pleinement, jusqu’au bout de ses rêves.
Je souhaite inviter les voyants à découvrir la manière dont le simple fait de fermer les yeux permet d’accéder à un monde de sensations nouvelles, qui est notre univers permanent. Donner plus d’importance à d’autres sens, et pas seulement l’ouïe, mais aussi l’odorat, le goût ou le toucher, avoir un environnement personnel peut-être moins vaste mais plus dense, accorder plus d’importance aux intonations de la voix, là où le voyant peut se laisser tromper par les expressions du visage… »
C’est très digne, très beau! Et j’oserai dire que de l’esprit d’harmonie que dégage Jean-Philippe Rykiel dans les rapports humains, jaillit la lumière…
Parcours artistiques de Jean Philippe Rykiel
1973
-festival de Tabarka, rencontre de Tim Blake, Steve Hillage (et Didier Malherbe), Gong.
1975
-vacances à Los Angeles, rencontre de Stevie Wonder, Frank Zappa et Joni Mitchell
1977
-première séance d’enregistrement avec Éric Estève
-participation à l’enregistrement de l’album « Vous et Nous » de Brigitte Fontaine
1978
-collaboration avec Tim Blake dans Crystal Machine, participation à l’album « New Jerusalem »
1979
-participation à l’album « Open » de Steve Hillage (Virgin)
1980
-rencontre de Jean-Michel Reusser, journaliste, homme de radio, producteur et réalisateur.
1981
-participation à l’album « Friends Of Mr Cairo » de Jon & Vangelis (Polydor)
-rencontre véritable avec Didier Malherbe, participation à Gong puis au Duo Ad Lib
1982
-premier voyage en Afrique avec Agyemang
-festival de Glastonbury avec Tim Blake
-premier album solo (vinyle) « Jean-Philippe Rykiel » (Musiza/Ariola)
1983
-rencontre de Youssou N’Dour
-rencontre de Prosper Niang (Xalam)
1984
-accompagnement sur scène de Catherine Lara et participation à deux albums, le premier sans titre (Catherine Lara) puis « En Concert » (Tréma) ;
-voyage à Dakar avec Prosper Niang, retrouvailles avec Youssou N’Dour
1985
-participation à l’album « Apartheid » avec Xalam (Melodie)
-participation à l’album « Nelson Mandela » avec Youssou N’Dour (EMI)
1986
-rencontre de Seydou Zombra et participation à son disque
-enregistrement et orchestration de « Take This Waltz » avec Leonard Cohen, inclus dans l’album « I’m Your Man » un an plus tard.
-participation à l’album « Power Spot » de Jon Hassel (ECM), produit par Brian Eno et Daniel Lanois.
1987
-rencontre de Salif Keita et participation à l’album « Soro » (EMI)
-participation à l’album Faton-Bloom de Faton Cahen et Didier Malherbe (Cryonic)
-participation à l’album Xarit de Xalam (BMG)
1989
-participation à l’album « Surgeon Of The Nightsky » de Jon Hassel (Intuition)
-participation à l’album « Fetish » de Didier Malherbe (Mantra)
-première rencontre avec Lama Gyurmé.
1990
-participation à l’album « French Corazon » de Brigitte Fontaine (EMI)
1991
-album Jean-Philippe Rykiel solo « Nunc Musics » (Quiet Days In Tokyo) – Takdisc/WMD
-voyage à Dakar pour participer à l’enregistrement de l’album « Eyes Open » de Youssou N’Dour (Sony)
-tournée au Mali avec Youssou N’Dour, première rencontre avec ce pays
1992
-musique du film « Les Pierres bleues du désert » de Nabil Ayouch
1993
-participation à l’album « Sand et les Romantiques » de Catherine Lara (Tréma) – Composition à cette occasion de «Entre Elle et Moi » qu’elle interprète en duo avec Véronique Sanson ;
-participation à l’album « Zef » de Didier Malherbe (Tangram)
1994
-participation à l’album « Wommat » de Youssou N’Dour (Sony)
-réalisation de l’album « Songs of Awakening / Roads of Blessings (The Lama’s Chant) » avec Lama Gyurme (Last Call/Narada/Takticmusic)
1995
-participation à l’album « Émotion » de Papa Wemba (Real World)
-participation à l’album « Folon » de Salif Keita (Island), rencontre à cette occasion de Mokhtar Samba.
1996
-participation à l’album de Kaoutal (Sony)
-participation à l’album « Mansa » de Super Rail Band (Label Bleu)
-participation à l’album « Vago » de Marcel Loeffler (Tam tam)
-participation à l’abum « Wapi Yo » de Lokua Kanza (BMG)
-réalisation de l’album « Souhaits pour l’Éveil (The Lama’s Chant » avec Lama Gyurme (Last Call/Sony) certifié disque d’or en Espagne.
1997
-participation à l’album « Contes d’Afrique de l’Ouest » de Mamadou Diallo (CKT)
1998
-participation à l’album « Castlesmadeofsand » d’Alexkid (F-Communications)
-participation à l’album « Paradis Païen » de Jacques Higelin (Tôt ou tard/Warner)
-tournée « Jololi Review » avec Youssou N’Dour
1999
-participation à l’album « Papa » de Salif Keita (Island)
2000
-participation à l’album « Joko » de Youssou N’Dour (Sony)
-réalisation de l’album « Rain Of Blessings: Vajra Chants » avec Lama Gyurme (Real World)
-rencontre de Jacob Diboum
2001
-participation à l’album « Binevenida » d’Alexkid (F-Communications)
-participation à l’album « Kekeland » de Brigitte Fontaine (EMI)
-participation à l’album « WhatIdidOnMyHolidays » d’Alexkid (F-Communications)
2002
-participation à l’album « Nothing’s In Vain » de Youssou N’Dour (Sony)
-participation à l’album « Samba Alla » de Diogal (Celluloid/Mélodie)
-participation à l’album « Wati » de Amadou & Mariam (Universal Music Jazz)
2003
-album Jean-Philippe Rykiel solo « Under The Tree » (Last Call Records)
-participation à l’album « Mint » d’Alexkid (F-Communications)
2008
-rencontre de Dominique Rankin et des indiens algonquins
2010
-réalisation de l’album « Tinkiso » avec Mory Djely Kouyaté (celluloïd)
2012
-album Jean-Philippe Rykiel solo « Inner Spaces »
2015
-participation à l’album « Go Slow To Lagos » du Gangbé Brass Band (Buda Musique)
C’est en toute amitié que j’ai rédigé cet article.
Yé Lassina Coulibaly
Burkina Demain