Au Burkina Faso, après la téléphonie mobile, l’énergie solaire photovoltaïque, est le secteur, qui connaît une progression remarquable, porté par un vent favorable sans précédent. Etat et démembrements ; acteurs du privé et de la société civile ; communautés et citoyens sont embarqués dans ce train solaire à grande vitesse, au regard de son grand avantage : accessible et moins chère permettant de réduire le chronique déficit énergétique du pays. Mais, cette propension solaire tous azimuts posera à moyen, long et voire à très long termes un défi environnemental dont la gestion mérite d’être planifiée et intégrée dans la politique nationale des énergies renouvelables pour éviter des lendemains difficiles.
Ouagadougou, dimanche 20 novembre 2022. Le soleil vient de se coucher et la nuit a repris ses droits dans le quartier Zone Une, dans l’arrondissement 10 de la capitale. Sur l’artère principal séparant la partie viabilisée et celle dite non lotie où nous nous trouvions, la vie dans les environs était pourtant loin de s’arrêter. Mieux, c’est le début des affaires pour certains citoyens.
C’est le cas de Mariam Nombré qui est venue vendre ses arachides au bord de la voie. Non loin de là, c’est Abdouramane qui est toujours confortablement installé devant sa boutique de marchandises diverses et continue de vendre comme si c’était le jour. A une quinzaine de mètres de lui, Moussa Sawadogo est en pleine prière dans une mosquée.
Magie solaire dans sa plus belle expression
Toutes ces activités nocturnes ont été possibles grâce à l’énergie solaire. Mariam arrive à vendre ses arachides grâce aux lampadaires solaires installés par la mairie. Abdouramane, lui, jouit des bienfaits de sa propre installation solaire.
Quant à Moussa, il peut communiquer avec son Dieu sous la lumière grâce à une installation communautaire. Par ailleurs, à en juger par l’éclairage, il est difficile de distinguer la partie viabilisée de celle non viabilisée du quartier. C’est la magie solaire dans sa plus belle expression au Burkina Faso.
«Il y a deux ans, j’ai fait mon installation solaire qui m’a coûté environ 250 000 F CFA. Grâce à ça, j’arrive à regarder la télé, j’ai l’éclairage et un ventilateur qui fonctionne bien. Vraiment, je ne me plains pas. Si ce n’était pas le solaire, je ne pouvais pas espérer avoir de sitôt l’énergie chez moi», nous confiera le lendemain en plein jour Drissa dans un autre quartier périphérique de Ouagadougou, Tabtenga. Au-delà des individus et des communautés, c’est tout le pays qui est engagé dans le déploiement du solaire.
Burkina, un vaste chantier solaire à ciel ouvert
Membre de l’Alliance solaire internationale depuis 2016, le Burkina Faso est aujourd’hui un vaste chantier solaire à ciel ouvert. C’est plus d’une dizaine de projets de centrales qui sont en cours au Burkina Faso, avec l’ambition d’atteindre d’ici quelques années un taux solaire de 30-40% dans le mix énergétique. Deux centrales solaires d’une capacité globale de 63 MWc sont déjà fonctionnelles. Il s’agit de la Centrale de Zagtouli, inaugurée le 29 novembre 2017 et la Centrale de Nagréongo, inaugurée en juillet 2022. Ces deux centrales solaires inaugurées injectent leur production dans le système interconnecté de la Société nationale d’électricité du Burkina et contribuent un tant soit peu à la réduction des émissions de CO2.
Le Burkina Faso dont 60% de sa consommation en énergie électrique sont assurés par les importations du Ghana et de la Côte d’Ivoire, mise également sur l’énergie solaire pour résorber ce chronique déficit énergétique. Ainsi, le pays dans ses prévisions les plus optimistes, prévoyait porter à 50% la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique à l’horizon 2025 avec un objectif affiché de plus de 700 MWc. Et la plupart des projets dans le secteur participaient plus ou moins de l’atteinte de cet objectif.
Les risques environnementaux à l’horizon
Le développement tous azimuts des installations solaires photovoltaïques est une panacée pour atteindre l’autosuffisance énergétique, voire devenir un exportateur à long terme ; force est de reconnaître que cela comporte quand même des risques environnementaux.
«L’exploitation solaire est comme l’exploitation minière. Au début, on ne voit que le profit mais à la fin, on se retrouve avec des problèmes notamment environnementaux, sociaux à la fermeture», note à juste titre, l’inspecteur de l’environnement Juste Bationo. Le problème va surtout se poser dans les 10-15-20 ans quand l’on se retrouvera avec tous ces intrants solaires (batteries, onduleurs, panneaux solaires) hors d’usage.
Et si l’on considère la mauvaise qualité des matériels solaires sur le marché, les problèmes pourraient se poser plus tôt que prévu. Ces déchets solaires en perspective, viendront ainsi en rajouter au déjà crucial problème de la gestion des déchets en général et à celui de la gestion des déchets d’équipements électriques et électronique (D3E) en particulier.
Ampleur du défi existant
A ce jour, le défi de la gestion des déchets EEE est déjà énorme avec peu de moyens disponibles. En effet, selon les résultats de la recherche «Etude sur la gestion des déchets d’équipements électriques et électronique (D3E) à Ouagadougou, Burkina Faso» rendus publics en janvier 2018 par Ibrahima Rabo Mainassara Rachid pour l’obtention de son diplôme d’ingénieur à 2Ie ; le flux entrant des EEE était de 100 tonnes par an.
Plus loin, «L’Afrique est régulièrement perçue comme une sorte de décharge pour produits électroniques occidentaux arrivés en fin de vie. Ordinateurs, télévisions, téléphones portables, réfrigérateurs, machines à laver obsolètes, tout y passe et nombreux sont des déchets d’équipements électriques et électroniques (D3E) qui, chaque année et par containers, sont acheminés, souvent illégalement, vers des Pays africains, malgré la Convention de Bâle (1999) qui évite le transfert des déchets dangereux (DD) des Pays développés vers les Pays en voie de développement», indique Rabo Mainassara Rachid dans son mémoire.
Et d’y préciser ceci : «Certes, de nombreux D3E en provenance de l’Occident, notamment continuent d’affluer sur le continent mais, les africains eux-mêmes jouent un rôle de plus en plus déterminant dans la propagation de ce phénomène. En cause, la consommation intérieure doublée de la forte croissance démographique que connait le continent. En effet, la révolution de l’Internet à la fin des années 1990, ou les technologies de l’information et de la communication (TIC) perçues comme offrant d’incroyables possibilités de développement et d’amélioration des niveaux de vie pour les populations africaines, sont de nos jours sources de production de grandes quantités de D3E». Et les Burkinabè ne sont pas en reste. D’où la nécessité de ne pas perdre de vue le défi environnemental en perspective, en matière de gestion de déchets solaires et de se préparer à y faire face efficacement. Alors que de faire ?
Pistes de solutions envisageables
Sur la question, plusieurs pistes de solution sont envisageables. Et la meilleure option, c’est d’anticiper et travailler déjà à prendre cela en compte. A commencer par la stratégie nationale en matière de gestion de D3E. Car, pour paraphraser Rabo Mainassara Rachid, qu’elles soient neuves ou d’occasion, les composantes des équipements d’énergie solaire sont appelées à connaître une fin de vie et il faut bien gérer cette fin de vie de façon convenable pour ne pas causer de risques à l’environnement et à la santé humaine. C’est pourquoi l’inspecteur Bationo préconise que les gérants des centrales solaires soient assujettis à l’élaboration et à la mise en œuvre de plans annuels, c’est qu’ils intègrent dans leur planification annuelle ou pluriannuelle des objectifs environnementaux.
C’est ce que l’expert suggère aussi pour les projets miniers pour éviter que les problèmes environnementaux ne soient transférés à la fin des exploitations minières, sans oublier que certaines compagnies ont recours aussi à l’énergie solaire. «Le Burkina doit réfléchir à un Code économique vert général», soutient pour sa part Ferdinand Ouédraogo, expert engagé en matière d’ingénierie de système de transition vers l’économie verte.
Le citoyen utilisateur du solaire Drissa se veut lui rassurant sur la problématique, convaincu qu’avec les déchets solaires feront l’objet aussi l’objet de recyclage et réutilisation comme les autres déchets, «comme c’est souvent le cas en Afrique». Vivement que son optimisme soit suivi d’effets réels dans les prochaines années afin que le boom solaire actuel dans le pays ne se transforme plus tard en cauchemar environnemental !
Grégoire B. Bazié
Burkina Demain