Dans cette déclaration en date de ce dimanche 18 décembre, les organisations professionnelles des médias au Burkina Faso tirent la sonnette d’alarme sur la situation de la liberté de la presse dans le pays.
«Déclaration des organisations professionnelles des médias au Burkina Faso sur la situation des médias
Au Burkina Faso, la presse traverse des moments difficiles du fait de la volonté des autorités de contrôler l’information. On assiste à une remise en cause du libre exercice des professionnels des médias, avec au quotidien des menaces de sanctions de la part des autorités et une terreur exercée sur les journalistes par des groupuscules instrumentalisés au sein de la population. Il se développe un discours de haine anti journalistes au point qu’il n’est pas exagéré de dire qu’il ne fait pas bon d‘être un journaliste professionnel ou encore un défenseur de la liberté de la presse par ces temps qui courent dans notre pays.
Dire la vérité ou encore relater les faits, valeur sacrée de notre profession, est devenue un crime qui peut valoir à un média une suspension, sans autre forme de procès, ou la mise à prix de la tête d’un journaliste. Les derniers évènements, harcèlement du groupe Oméga médias, suspension de Radio France internationale (RFI) menace de mort contre notre confrère Newton Ahmed Barry et les journalistes de façon générale, montrent aux yeux de tous qu’au-delà de la remise en cause de la liberté de la presse, il y a une volonté de dicter des contenus aux médias et de conditionner les opinions des journalistes et celles des populations en général.
Face au contexte sécuritaire combien difficile, les autorités de la Transition ne doivent pas se tromper d’ennemi et réduire la presse en un bouc émissaire. Le Président Ibrahim Traoré a affirmé, à l’occasion d’une rencontre avec les acteurs des médias, qu’il ne demande pas aux journalistes de faire ses éloges, mais, la façon de concevoir le travail des médias tel que nous le percevons ces derniers jours, ressemble fort à une incitation aux louanges. On veut mettre la presse dans une camisole qui ne lui laisse aucune chance de faire un travail professionnel.
Dans ce contexte, les soutiens zélés du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR 2), aveuglés par une haine inexplicable et une hostilité à la critique, portent publiquement les récriminations de leurs mentors, rendant ainsi l’exercice du métier de journaliste périlleux, surtout lorsqu’il s’agit de porter un regard critique sur la gouvernance et la conduite des tenants du pouvoir. Les appels au meurtre contre Newton Ahmed Barry, Lamine Traoré de Radio Oméga, le groupe Oméga médias et toute autre personne qui critiquerait la gouvernance du Capitaine Traoré, en sont des illustrations éloquentes.
Les organisations professionnelles des médias (OPM) signataires de la présente déclaration manifestent leur soutien indéfectible aux confrères menacés. Nous prenons acte du communiqué du gouvernement suite à la diffusion des audios sur les réseaux sociaux proférant des menaces contre nos confrères. Nous prenons également acte de la détermination du Gouvernement à traquer les responsables de ces menaces, exprimée par le Ministre en charge de la Communication, Jean Emmanuel Ouédraogo, lors de sa rencontre avec les Organisations professionnelles des médias le mardi 06 décembre 2022.
Cependant, nous constatons que les auteurs de ces menaces continuent de s’en vanter sur les réseaux sociaux et ne semblent nullement inquiétés. Aussi, nous interpellons le Président de la Transition sur les dérives de ses soutiens qui lui octroient le droit de vie ou de mort sur ces concitoyens et l’invitons à se démarquer ouvertement de ces individus qui poussent le cynisme et la haine jusqu’à traiter leurs compatriotes d’animaux que l’on peut égorger sans état d’âme.
Nous tenons les gouvernants et leurs soutiens pour responsables des risques que font peser les messages audios et vidéos de la haine qui circulent sur les réseaux sociaux sur la sécurité physique et matérielle des journalistes et des médias. Dans ce contexte d’insécurité, il appartient aux autorités de créer les conditions favorables à l’exercice du métier de journaliste et la libre expression des opinions.
Les OPM sont beaucoup plus peinées du fait que ces messages attentatoires à la liberté d’expression et de la presse, de même que la récente « suspension jusqu’à nouvel ordre de la diffusion des programmes de RFI sur l’ensemble du territoire national » interviennent à quelques jours du triste 13 décembre 2022, 24e anniversaire de l’assassinat de notre confrère Norbert Zongo. Poussant le cynisme plus loin, un des auteurs, des messages de la haine contre les médias et les journalistes, va récidiver dans la soirée même du 13 décembre 2022 à travers une vidéo postée sur Facebook.
La suspension de RFI le 3 décembre 2022 est regrettable pour les OPM. Elle est contraire aux principes de notre métier, le journalisme, et s’apparente à une décision hautement politique. Le Gouvernement qui a hérité d’un Conseil supérieur de la communication (CSC) en crise s’est érigé, en ses lieux et place, en régulateur ; mais l’argument des manquements professionnels n’est pas très convaincant. C’est plutôt un mauvais signal envoyé aux soutiens du pouvoir. Il les conforte dans leur conviction qu’il suffit qu’ils se plaignent d’un média pour que celui-ci soit fermé. A la faveur de sa rencontre avec les organisations professionnelles des médias (OPM) le 06 décembre 2022, le Ministre en charge de la Communication a dit « assumer » cette décision de suspension de RFI. Nous espérons qu’il ne se laissera pas entraîner dans une spirale dans laquelle il va se voir contraint de fermer des médias sur des bases politiques.
Le Gouvernement doit changer de posture vis-à-vis des médias et des journalistes. Cela passe d’abord par l’accès aux sources d’information. Il faut rappeler que les décrets d’application de la loi relative à l’accès à l’information publique, votée depuis 2015, ne sont pas encore pris. Le pouvoir du MPSR, et celui du MPSR 2, semblent plutôt vouloir tenir les médias à l’écart notamment des activités touchant la sécurité nationale et, évoluer ainsi à huis clos. Ainsi, les médias, ne pouvant plus être témoins de certains évènements et se trouvent abreuvés de communiqués et de prêts à diffuser servis par le service de communication de la Présidence du Faso. Cette posture viole le droit constitutionnel des citoyens à l’information et fragilise la crédibilité des médias et des journalistes alors même qu’ils ont un grand rôle à jouer dans ce contexte d’insécurité.
Les organisations professionnelles des médias saluent et notent avec satisfaction la prise du décret présidentiel portant nomination du Président du CSC. Cet acte tant attendu vient, nous l’espérons bien, mettre un terme à la crise au sein du CSC qui a plongée l’institution dans une léthargie fort préjudiciable au secteur des médias depuis au moins six mois. Cela est à mettre à l’actif du MPSR 2 et il faut espérer vivement qu’il va cesser d’être un obstacle au travail des journalistes et des médias. Nous espérons également que c’est le début de la prise en compte sérieuse des médias dans les politiques et stratégies de lutte contre le terrorisme.
Les médias ne sont pas le problème dans cette guerre injuste imposée au Burkina Faso. Et le pouvoir du MPSR 2 et ses soutiens doivent donc cesser de le faire croire à une certaine opinion. Il ne sert à rien de proclamer que cette guerre ne peut être gagnée sans la communication et adopter une attitude contraire en empêchant la presse de faire son travail. La communication est essentielle pour gagner la guerre contre le terrorisme mais absolument pas n’importe quelle communication. Et la direction que prend le MPSR 2 en la matière n’est guère rassurante.
Dans son histoire, le peuple burkinabè a montré son attachement résolu à la liberté. Il s’est battu pour arracher d’énormes acquis en matière de liberté de façon générale, et de liberté d’expression et de la presse en particulier. En dépit des drames que ce peuple a vécus, il n’a jamais renoncé à ses aspirations à la liberté. Ce sera à l’honneur du MPSR 2 de concilier la lutte contre le terrorisme et la lutte pour la consolidation des libertés individuelles et collectives, pour le développement et l’épanouissement de notre nation. C’est la seule façon de focaliser et de mobiliser tout le peuple sur la lutte contre le terrorisme et d’éviter de multiplier inutilement les fronts.
Les journalistes et assimilés, les travailleurs des médias, les patrons de presse, pour ceux qui l’ignorent encore, sont une composante pleine et entière du peuple burkinabè et ont une haute conscience des intérêts de notre chère patrie, plus que certains de ceux qui les agressent et les dénigrent à longueur de journée. En leur nom, les Organisations professionnelles de médias signataires de la présente :
-apportent leur soutien ferme à tous les confrères et à tous les médias inquiétés ;
-apportent leur soutien aux forces de défense et de sécurité, aux volontaires pour la défense de la patrie et au peuple combattant ;
-compatissent au deuil des familles des victimes militaires et civiles du terrorisme et à la douleur des blessés et des déplacés ;
-condamnent la suspension de RFI ;
-condamnent les menaces contre les confrères Newton Ahmed Barry et Lamine Traoré ;
-interpellent les autorités quant à leur responsabilité à assurer la sécurité des médias et celle des journalistes ;
-encouragent la justice, notamment le Procureur du Faso, à engager et faire aboutir les poursuites contre les auteurs de menaces contre les médias et les journalistes ;
-dénoncent et mettent en garde tous ces individus téléguidés ou non, qui, par ces agissements, mettent en péril la liberté d’expression et de la presse ;
-déplorent et rejettent les mesures restrictives quant à la couverture des actualités de la Présidence du Faso et celles du Gouvernement.
Fait à Ouagadougou, le 18 décembre 2022
Pour le CNP-NZ
Le Président
Guézouma Sanogo
Pour l’AJB
Le Secrétaire Général
Boukari Ouoba
Pour la SEP
Le Président
Boureima Ouédraogo
Pour le SYNATIC
Le Secrétaire Général
Siriki Dramé
Pour l’UBESTV,
Le Président
Issoufou Saré
Pour l’AEPJLN,
Le Coordinateur
Evariste Zongo
Pour l’UNALFA,
Le Président
Lamoussa Jean-Baptiste Sawadogo
Pour l’APAC,
La Présidente de la transition
Bénédicte Sawadogo
Pour l’ARCI,
Le Président
Bélibié Soumaïla Bassolé
Pour l’AEPML,
Le Président
Dr Cyriaque Paré
Pour l’OBM,
Le Président
Hamado Ouangraoua»