Alors que l’édition 2023 s’ouvre officiellement ce samedi 29 avril 2023 à Bobo-Dioulasso en présence de représentants de Guinée, l’homme de culture Yé Lassina Coulibaly aborde là une problématique majeure pour l’avenir de l’Afrique : le rapport des jeunes à sa culture. «La jeunesse africaine ne doit pas chercher ses références culturelles à l’extérieur, elle doit croire à l’histoire et à la civilisation de l’Afrique, se ressaisir afin d’être en connexion avec elle. Les jeunes doivent se sentir impliqués, être curieux de leur identité, avoir la patience du retour aux sources», soutient Yé Lassina Coulibaly. Un grand cours de culture africaine. Lisez plutôt.
«L’âme du Faso au cœur de la philosophie du baobab, selon Yé Lassina Coulibaly
L’Afrique, continent de l’espoir! ( d’jigui bara, l’espoir au travail)
Ma quête de connaissance des racines culturelles et spirituelles des traditions africaines a débuté très tôt.
Dès l’enfance, j’ai été intrigué par le fait que ce que j’apprenais à l’école, notamment en histoire, n’avait aucun lien avec les récits entendus dans ma famille et les coutumes en usage dans le village.
Tout en ne rejetant pas l’enseignement scolaire, j’ai voulu comprendre et n’ai cessé, ensuite, d’interroger mes parents et grands-parents sur l’origine de notre famille. C’est ainsi que, plus tard, je me suis intéressé aux arts et à la culture traditionnelle, ainsi qu’à l’histoire et à la civilisation de mon beau pays.
Adolescent, à l’écoute des anciens, j’ai voulu partager le quotidien du monde rural le plus éloigné des villes, découvrir la diversité des « grandes familles » (peuples) puis, adulte, séjourné dans les villages reculés à chaque voyage que j’effectuais en Afrique. Ma sensibilité m’a poussé à parcourir l’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Mali, Burkina-Faso et Ghana) avec mon djembé afin de m’instruire, de m’imprégner de la richesse et de la diversité artistique des différentes ethnies que je rencontrais. A posteriori, je me rends compte à quel point ce qui est devenu une démarche de recherche tout au long de ma carrière d’auteur-compositeur interprète, a nourri mon inspiration et mes créations artistiques.
Possibilité d’acquérir la connaissance
Tout le monde n’a pas cette volonté ou cette possibilité d’acquérir la connaissance, c’est pourquoi je souhaite partager mon regard sur la civilisation africaine, avec le plus grand nombre. Je suis conscient que l’on ne peut pas tout réparer mais l’enjeu est important : si les enfants ne connaissent pas leur histoire ni d’où ils viennent, ils risquent de ne pas savoir où aller : bouche à oreilles, mémoire aux pieds!
Beaucoup de jeunes ne parlent pas la langue de leurs ancêtres qui serait, pourtant, le vecteur de la transmission de leur histoire… Alors, j’essaie, humblement, de leur en faciliter l’accès, de susciter leur intérêt pour nos racines ancestrales, d’ouvrir la voie du chemin de la connaissance et de l’enseignement…
Bien sûr, il existe des ouvrages d’historiens et d’ethnologues, des thèses universitaires sur le sujet, mais encore faut-il avoir la curiosité, ou simplement la possibilité de les consulter… C’est pourquoi, j’en parle chaque fois que l’opportunité m’en est donnée afin de réduire l’inégalité d’accès à la connaissance.
Diverses entités naturelles
Je combats l’idée selon laquelle l’Afrique, préalablement aux invasions et colonisations, n’aurait pas eu d’histoire. C’est une idée fausse qui ignore une civilisation empreinte de science et de spiritualité, capable d’organisation économique et sociale, possédant de nombreuses connaissances qui lui ont permis de survivre aux catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme.
Cette civilisation reposait sur des croyances, des pratiques spirituelles et socioculturelles, des rituels qui relevaient d’une vision du monde: celle du profond respect de la nature, de l’environnement écologique dans lequel nous vivons, celle de l’harmonie et de l’équilibre nécessaires entre les humains et le reste de l’univers, celle qu’il existe un lien entre le visible et l’invisible (les esprits, le cosmos).
Les entités naturelles, telles que les plantes, les animaux, les cours d’eau, etc. font partie du vivant comme les êtres humains, d’où l’interdiction de blesser la nature ou de transgresser les règles érigées pour les protéger. C’est ainsi que sont sauvegardés l’équilibre et la survie des personnes.
L’Afrique n’avait pas besoin de créer des prophètes : sa spiritualité était suffisamment élaborée et de nature à accompagner les peuples de la vie à la mort. Les religions du Livre se sont farouchement opposées à cette vision du monde des populations africaines et l’ont combattue, y compris par la violence des armes en vue de s’imposer. D’où l’utilisation des termes « animisme, paganisme, fétichisme » pour dénigrer les croyances et pratiques rituelles de ces peuples.
Certains ethnologues européens utilisent le mot « animisme » pour désigner, de manière péjorative, les pratiques spirituelles et les rituels des sociétés africaines traditionnelles, et en donner une définition simpliste. Pour ces ethnologues occidentaux, l’animisme se résume en la croyance selon laquelle les éléments de la nature (les animaux, les plantes et divers objets) possèdent une « âme » et peuvent se manifester dans la vie des êtres humains. Je bannis donc ce terme de mon vocabulaire…
Enfin, je veux rendre hommage à nos ancêtres qui, de Lucy et Toumaï, à nos proches aïeux qui ont su conjuguer les mondes visible et invisible, nous ont transmis la voix de la terre, de l’eau, de l’air, du feu, la connaissance de l’univers et du cosmos, la valeur sacrée de l’humain, du groupe et de la famille…
Cette transmission s’est faite et enrichie de génération en génération… Ce patrimoine culturel et scientifique, ce sont les racines du baobab qui apprennent à mieux vivre ensemble et maintiennent l’équilibre au sein de la société.
L’Afrique est riche de son histoire, dont nous sommes les héritiers, c’est un devoir d’être fiers de nos racines, nous sommes les enfants de la lumière.
Avant les pénétrations étrangères, les sociétés africaines étaient très organisées. Elles ont traversé les siècles et subi des catastrophes naturelles, mais malgré tout, ont survécu avec » les moyens du bord » adaptés aux contextes géographique, climatique et social.
L’implantation des villages ne se faisait pas au hasard: elle tenait compte de la nature environnante (fertilité des sols, présence d’eau), de la proximité des ressources alimentaires et médicinales pour se nourrir et se soigner (fruits, légumes, plantes et racines).
Dans un milieu hostile où la présence d’animaux sauvages constituait un danger potentiel, et où la saison des pluies provoquait des catastrophes, la maison était synonyme de protection pour la famille. D’où l’attention apportée au choix du lieu d’installation et à la qualité des constructions.
Nos ancêtres savaient planifier les travaux des champs, conserver les aliments pour nourrir tant les animaux que les humains, pratiquaient l’élevage. Garantir la préservation des récoltes, notamment celles des céréales, du néré et du karité était vital.
Ils cultivaient et récoltaient le tabac, le café, le cacao, le coton.
Ils connaissaient les propriétés des différents fruits et plantes, les moyens de les transformer pour un usage médical ou simplement de confort ou de prévention. Par exemple le beurre de karité protège la peau du vent et du froid, l’encens et le miel ont de multiples vertus… Il faut rappeler aussi qu’ils étaient pointus sur le soin et la santé, y compris mentale.
Ils ont su développer l’artisanat autour du travail de la forge, du tissage et de la teinture des tissus, de la transformation de l’or et du fer.
On peut évoquer aussi le raffinement et la poésie apportés à la beauté féminine au travers du tressage des cheveux, de la fabrication des bijoux et des vêtements. L’art se manifestait dans les dessins, l’assemblage des couleurs, les formes, la musique…
Les sports et les loisirs avaient aussi leur place : la course, le tir à l’arc pratiqué en dehors de l’activité de chasse, les jeux tels que le walé…
Organisation sociale
L’organisation sociale était présente dans la vie de tous les jours, et s’appuyait sur des valeurs communes favorisant l’harmonie au sein du groupe tout en préservant le développement de l’individu et la vie privée de chacun. Cela supposait l’adhésion à l’intervention des Anciens, en termes d’encadrement et de coordination, de partage des connaissances et d’expérience… Il s’agissait souvent de notables dignes, honnêtes, proches du peuple et fiers de le servir.
La connaissance de la terre, du cosmos, du cycle de l’eau faisait des anciens des » experts en sciences appliquées », car ils devaient toujours trouver une solution pour s’en sortir et sauver l’honneur de la famille. En partageant leur savoir avec la jeune génération ils contribuaient à rendre autonome leur communauté.
L’homme se guidait avec les astres, à la fois dans l’espace et dans le temps. De nos jours, on se réfère aux calendriers chrétiens ou musulmans, en ignorant qu’un calendrier bien plus ancien existait bel et bien. Chaque grande famille (ethnie) avait le sien propre, établi par les notables en fonction du cosmos et de différents évènements, c’est encore le cas chez les Lobi, les Mossis, les Bamanans, les Dogons, les Thelems, les Pygmées, les Baoulés, les Sénéfous, ainsi que dans de nombreux pays d’Afrique.
Ce calendrier prenait en compte les contraintes liées aux travaux des champs et de l’élevage. Ainsi, selon les villages, le jour du marché n’était pas fixe contrairement à maintenant, de même que les dates de célébrations…
Vie humaine, vie animale et nature constituaient une seule entité où énergies, intelligence, force, bienfaits, se complétaient et interagissaient au bénéfice de tous. Nos ancêtres considéraient comme sacré tout ce qui est vivant et disaient que l’homme n’est rien sans tout ce qui l’entoure…
La proximité avec la nature rendait naturelles la protection de la faune et de la flore, l’interdiction de gaspiller, la cohabitation avec les animaux de la brousse que l’on ne tuait que pour se nourrir.
Afin de prévenir les animaux de l’entrée des humains dans leur territoire, les anciens chantaient et produisaient de la musique à l’aide de flûtes, cornes, percussions, troncs d’arbres creusés… On réalisait des sacrifices pour se faire pardonner cette intrusion dans leurs territoires.
A différents niveaux, les échanges de biens ou marchandises se faisaient par le troc. Même après la mise en circulation de la monnaie, le troc est resté une valeur sûre, très éloignée de l’état d’esprit impersonnel induit par l’argent. Basé sur la confiance, ce mode de fonctionnement permettait de prendre en compte les aléas de la vie, incitait à comprendre les besoins de l’autre, à écouter et patienter. En outre, il évitait le gaspillage…
L’entraide constituait l’un des fondements de la société rurale. Des proverbes ne nous enseignent-ils pas que « un seul doigt ne peut pas porter la pierre » et que « l’homme riche n’est pas celui qui a de l’or plein ses caisses, le véritable trésor c’est de pouvoir compter sur les autres »?
Dans les villages reculés, souvent dans un milieu naturel hostile, l’égoïsme n’avait pas sa place car, sans la solidarité des autres pas d’espoir de survivre.
Chacun savait pouvoir avoir besoin de sa famille, de ses amis, de ses voisins. En cas de nécessité, le bouche à oreille allait très vite, tout le monde se mobilisait pour venir en aide, on laissait tout et on y allait : c’était enseigné comme un code humain.
Dès qu’une famille s’installait dans un village, l’entraide se mettait en place afin de participer à la construction de la maison, au défrichage de la terre, à l’installation du bétail. Cela par groupes d’adultes (hommes ou femmes), ou de jeunes, en fonction des tâches à effectuer et des compétences requises, et parfois tous ensemble.
Il en était de même lorsqu’il fallait entretenir ou réparer les maisons, les lieux de rassemblement publics, les chemins, les routes… Actuellement, il y a encore des villages qui coopèrent pour le travail des champs.
Ces chantiers collectifs étaient une véritable école où se transmettaient des connaissances, où l’on apprenait la complémentarité et le respect du travail de chacun, où la jeunesse se mettait au service de la collectivité. Ils donnaient la fierté aux familles et contribuaient à l’entente et à l’harmonie entre les générations.
De nombreuses autres activités requéraient la participation de tous. Par exemple en matière de santé, des recherches communes d’herbes, de racines, de fruits étaient organisées, notamment en période d’épidémie afin que le guérisseur puisse préparer les remèdes en quantité suffisante. Les personnes ne pouvant se déplacer en forêt, en raison de leur grand âge, prodiguaient leur expérience et leurs conseils…
Le tressage des cheveux des femmes, le tissage des vêtements et bien d’autres occupations, donnaient lieu à des rassemblements de plusieurs familles. Ainsi, des veillées quasi-quotidiennes permettaient de partager les joies ou les problèmes rencontrés dans la journée et se terminaient toujours par des contes qui, parfois avec humour, dédramatisaient la situation et apportaient un peu de légèreté… Chacun y trouvait sa part de bonheur ou de tristesse, des raisons d’espérer. Le rire des enfants, les danses spontanées des adolescents au son des djembé et des balafons étaient le meilleur remède à la mélancolie! Les enfants avaient leur place dans les rassemblements qui constituaient des lieux de socialisation incontournables…
Non seulement l’emploi du temps était guidé par les astres et les cycles de la nature, mais il pouvait être bouleversé par les évènements de la vie : naissances, décès, accidents primaient sur tout le reste car ceux-ci étaient l’affaire de tous…
En premier lieu venait le respect du droit de l’enfant qui était sacré, tout le monde participait à sa protection et à son éducation. Ne dit-on pas qu’en Afrique « pour élever un enfant il faut tout un village »?
On considérait que chaque enfant venait au monde avec son étoile, qu’il appartenait aux adultes de l’observer et de repérer son potentiel et son propre talent afin de le guider et le soutenir au mieux selon sa nature. Dans chaque famille l’instruction était proposée et non imposée, sans pression ni stress.
Autour de la naissance
Dans toutes les sociétés traditionnelles en Afrique, lors d’une première grossesse, la famille élargie se mobilisait, surtout lorsque la future mère n’était pas mariée. Il y avait concertation entre les femmes de la famille mère, grand-mères, tantes, afin de préparer au mieux la naissance.
Dès lors qu’il reconnaissait sa paternité, l’homme se devait de s’impliquer au quotidien afin d’assurer un bon déroulement de la grossesse. Son accompagnement portait aussi bien sur l’aide aux tâches ménagères que sur l’attention à une alimentation favorable au développement du foetus.
Au fil des mois, il était davantage présent auprès de sa femme, veillant à ce que les transformations psychologique et corporelle de celle-ci ne soient pas une gêne, la soulageant par des massages, faisant en sorte qu’elle soit heureuse de porter cet enfant et qu’elle perçoive le respect de son mari à son égard. Vers le sixième mois de grossesse, l’attention se portait sur la préparation de l’accueil de l’enfant, en tant que personne.
C’est cette implication du couple qui est prônée, depuis quelques décennies, en Occident sous l’influence des sciences humaines, aux différentes étapes de la grossesse, afin de favoriser le bien-être de l’enfant.
L’impact psychologique d’une telle coopération était de nature à apaiser, à améliorer la communication et à consolider les valeurs au sein du couple.
Cette coopération au sein du couple enseignée par nos ancêtres n’est évidemment guère compatible avec les pratiques, plus récentes au regard de l’histoire, du mariage forcé et de l’excision des filles… Ce sont des coutumes qui n’existaient pas dans les sociétés anciennes. Il faut les refuser, les bannir, donner une vraie place à la femme africaine.
La femme n’a jamais été un objet. Les femmes qui portaient les valeurs de la tradition ancestrale étaient le pilier de la famille et les conseillères de leur mari.
L’arrivée du bébé suscitait une joie partagée par la famille élargie et le voisinage, et donnait lieu à des rites et rassemblements festifs.
Le choix du prénom de l’enfant faisait l’objet d’une concertation familiale, en lien avec les valeurs de la famille et tenait compte du positionnement des astres au moment de la naissance.
On reliait rapidement l’enfant à la nature en désignant « son animal ou son arbre », élément naturel protecteur et qu’il devra protéger… Il sera toute sa vie en connexion avec lui, un peu son double en quelque sorte.
Cette coutume symbolisait le respect et l’attention de l’homme pour la nature, apprenait à l’enfant, avec l’accompagnement de ses parents, à prendre soin de l’autre, de tout être vivant.
Le nouveau-né était présenté aux membres de la communauté qui, selon sa position et son âge, réagissait souvent avec humour. Les tantes et oncles sont particulièrement présents car ils auront un rôle important dans l’éducation, en plus de celle donnée par les parents. Les cousins et cousines accompagnent à leur manière ce moment en organisant une fête, sous les conseils des parents.
La naissance était vécue comme un bonheur qu’on était heureux de partager autour d’un repas auquel étaient conviés tous ceux qui avaient accompagné la grossesse et l’accouchement, notamment la sage-femme et le guérisseur.
Autour de la mort
Le passage de la vie à la mort était, lui aussi, pris en compte collectivement notamment par les notables, qu’il s’agisse du soin apporté à la préparation du corps du défunt ou de l’accompagnement de son âme, et donnait lieu à des cérémonies spécifiques, tel le rite de l’interrogation des morts. Il ne faut pas oublier non plus la connaissance qu’avaient les pharaons noirs Egyptiens en matière de momification…
Les rites d’obsèques avaient pour objectif de rendre hommage au défunt, de pardonner à la nature de nous avoir privés de sa présence physique, de rappeler la trace laissée par la personne disparue mais vivante dans nos mémoires, de débuter ensemble le processus d’acceptation et de deuil.
Contrairement à ce qui se passe dans les sociétés occidentales, où la période de deuil reste le fait de la famille restreinte, en Afrique c’est l’affaire de tout l’entourage. L’intérêt porté aux proches du défunt vise à apaiser leur coeur, à les accompagner jusqu’à l’acceptation de la mort.
Evoquer l’empreinte laissée par le défunt, en termes de connaissances, de savoir-faire, de joies et d’émotions vécues ensemble est une manière de le faire vivre dans nos mémoires. C’est également une manière de se préparer à notre propre mort. Un jour de célébration des morts leur était consacré dans tous les villages à la fin de la période des récoltes, évènement auquel tenaient à participer ceux qui avaient quitté le village.
Rites et cérémonies
Hormis ces évènements majeurs, de nombreuses cérémonies et rites d’initiation ponctuaient la vie sociale dans les villages.
La célébration des récoltes marquait l’aboutissement des projets et des efforts de tout un village, valorisait les compétences professionnelles et la réussite économique. C’était encourageant pour la jeunesse…
Des rites rendaient hommage à la nature et la remerciaient de ses bienfaits. On fêtait les solstices d’hiver et d’été, la lecture des astres nous enseignait l’humilité au regard de l’immensité de l’univers. Tout le monde participait et quand on était enfant on ne comprenait pas grand-chose mais nous étions impressionnés par l’affluence et avides de curiosité et de savoir.
Les rites d’initiation des jeunes avaient aussi une grande importance. Pour les jeunes initiés s’ouvrait la voie du rêve de porter, un jour, le masque et d’entrer dans la Cour qui permet d’accéder à des textes sacrés.
Ceci m’amène à dire quelques mots, forcément réducteurs compte tenu de l’ampleur du sujet, à propos de la sortie des masques.
Particulièrement codifiées, les sorties des masques étaient entourées de mystère. Ces évènements pouvaient être fréquents ou exceptionnels comme la sortie des masques que chaque être humain ne peut voir qu’une fois dans sa vie: celle du cycle du Sigui chez les Dogons, tous les soixante ans…
Chaque village rêvait de confectionner le plus beau masque, conçu pour inspirer l’aspect surnaturel et philosophique de l’existence.
Très attendues par les habitants, les sorties des masques s’accompagnaient de textes, de musiques et de danses effrénées, durant des jours entiers.
Au-delà de l’esthétique, cet évènement, au travers de représentations symboliques, était une véritable école du « vivre ensemble » en ce sens que sont mises en avant des valeurs communes tels que le respect du vivant sous toutes ses formes, la responsabilisation individuelle, le dépassement de soi, la réflexion, l’autocritique… C’était en quelle que sorte une bibliothèque vivante.
Ainsi, était incarnés l’esprit de la nature qui symbolise et conjugue l’esprit de l’extérieur et de l’intérieur, le bien et le mal. Les séries de masques se distinguaient par leurs thématiques différentes mais étaient toutes chargées de messages ayant trait à la naissance, l’amour de la famille, la vie, la mort, au monde du travail rural, à la monnaie d’échange, à la dénonciation des mauvais comportements, à la nuit et plus largement à tout ce qui fait peur… D’ailleurs, les enfants n’étaient pas autorisés à assister à la présentation de certaines séries qui auraient pu les effrayer.
Pour moi, cet évènement visait à se surpasser, avait vocation à réguler les tensions en conjuguant toutes les sensibilités, à purifier les esprits, à rassembler, au moins pour un certain temps. J’en garde le souvenir de moments d’excitation et de joie extrêmes…
Savoir d’où l’on vient
Les usages liés à la salutation revêtaient une grande importance. Pour être crédible, il était essentiel de se situer dans la lignée d’une famille, de faire référence à l’enseignement des ancêtres au travers de leur statut, de leur métier ou de faits marquants les concernant, il fallait donc en connaître l’histoire. Se présenter et s’identifier ainsi nous rendaient dignes et fiers.
Toute salutation, incluait aussi l’évocation des quatre points cardinaux, signifiant ainsi notre humilité devant la grandeur du cosmos.
L’attention apportée à cet échange témoignait du désir de placer l’accueil sous le signe du respect, de la confiance et du partage.
L’image de la femme
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a toujours eu, selon les empires, des femmes habilitées pour enseigner et chargées de l’organisation du groupe au sein du village. Certaines pouvaient être cheffe coutumier et jouer un très grand rôle dans l’équilibre de notre société, voire dans la résistance au colonialisme… Elles tenaient une place importante dans l’éducation.
De nos jours, la célébration de la journée de la femme, le 8 mars, en Afrique, est l’objet d’un engouement qui donne lieu à des dépenses inutiles. Le business a pris le dessus… Plutôt que de fêter, de manière éphémère, les femmes, on devrait s’attacher à valoriser leur rôle et leurs actions au quotidien, à promouvoir leur formation professionnelle, et l’éducation de tous les enfants avec un effort particulier pour les filles, car je suis persuadé que l’éducation peut sauver le monde.
Constats et perspectives
Entre l’Afrique et le reste du monde il y a trop d’enjeux d’impérialisme. Les médias occidentaux ciblent le plus souvent leurs informations sur la pauvreté, les maladies, l’action des ONG, les crises politiques auxquelles sont confrontés les pays d’Afrique de l’Ouest…
On dit rarement que l’Afrique nourrit les autres continents et a grandement contribué à leur développement économique, car l’Afrique est riche.
Il faut rappeler qu’elle détient 90 % des matières premières mondiales : 40 % des réserves d’or, 33 % des réserves de diamants, 30 % des réserves de coltran et 60 % de celles de cobalt, sans compter ses ressources en pétrole, gaz naturel, manganèse, fer, bois et ses littoraux poissonneux…
Or, depuis des décennies, les occidentaux et leurs entreprises, ainsi que certaines marionnettes africaines, ont déstabilisé l’Afrique pour mieux exploiter ses ressources.
Faute de transformation des matières premières sur place, il n’existe pas de secteur industriel suffisamment développé en Afrique de l’Ouest, rendant ses Etats dépendants des importations dans de nombreux domaines, privant d’emploi les populations et favorisant l’exil des jeunes.
Il est évident que l’on ne peut pas tout produire mais il faut que l’on s’engage dans un processus de valorisation de nos richesses et de nos savoir-faire, et d’équilibre dans nos relations avec l’extérieur dont dépend, malgré tout, notre développement économique.
Il faut rechercher la voix d’un partenariat respectueux afin que, par étapes, la croissance profite aussi aux populations africaines et améliore leur niveau de vie.
On sait faire, il ne faut pas baisser les bras, ni la tête. Pour ne plus souffrir, il faut ressusciter la terre africaine, reboiser, protéger les nappes phréatiques, développer le milieu rural, investir dans l’industrie de transformation et de conservation de nos produits, redynamiser les territoires, être fiers de l’endroit où l’on vit.
Mais cela passe par la stabilisation de nos systèmes politiques, la consolidation de nos structures administratives, judiciaires et sociales garantes de la liberté d’expression, une Banque Africaine, car seules des structures fortes sont de nature à encourager l’investissement…
Sans une évolution en ce sens, qui permettrait la circulation de la richesse à l’intérieur des Etats, on ne s’en sortira pas… En dépendent la création d’emplois, l’autonomie financière des familles, l’éducation, l’instruction, l’enseignement universitaire, la recherche, l’arrêt de la fuite de nos cerveaux… Des pays comme l’Afrique du sud, l’Ouganda, le Nigéria, le Burundi, le Bostwana, le Ghana ont compris et sont maintenant des pays émergeants.
Cependant il ne faut pas tout attendre de l’Etat et des politiciens. Il y a un travail de fond à réaliser au sein de la société civile, il faut faire entendre la voix du contribuable, de la jeunesse, des artistes… Et souligner que tous les problèmes de l’Afrique ne viennent pas de l’extérieur, que certains modes de fonctionnement de l’Afrique contemporaine y sont aussi pour quelque chose.
Il ne faut pas se cacher qu’il y a de fortes ambivalences qui persistent dans nos sociétés africaines. Certaines catégories d’africains se satisfont des enseignements et civilisations importés.
C’est la triste réalité qui freine le redressement de l’Afrique sur le terrain. Pour beaucoup qui ont perdu les repères de l’enseignement des ancêtres, et dont le niveau d’instruction est faible, tout cela est confus et c’est ce qui permet aux religions importées et surtout aux sectes porteuses de promesses illusoires de prospérer en toute impunité.
Il faudrait aussi que nos intellectuels et les opérateurs économiques cessent de ne montrer que le mal qui est fait, il faut qu’ils misent sur les atouts de l’Afrique. Il ne sert à rien de se lamenter sur notre sort. On ne se réjouit pas assez de ce qui marche, on ne rit pas assez de nos propres travers.
Certes les colonisations et l’introduction des religions nous ont fait perdre une partie de notre identité culturelle, mais les africains sont les héritiers d’une civilisation ancestrale très riche dont ils peuvent et doivent s’inspirer pour retrouver leur dignité et l’espoir… La plus grande pauvreté serait de l’ignorer.
Pourquoi ne pas voir dans la jeunesse des populations africaines une puissance démographique porteuse d’avenir pour l’humanité plutôt qu’un handicap?
Pourquoi ne pas s’appuyer sur la diversité culturelle et artistique, en termes de danses, musiques, architecture, sculpture, peinture, cinéma, artisanat, etc.. pour développer un nouveau secteur économique vecteur de la transmission culturelle auprès des jeunes générations?
Ceux qui disposent de moyens financiers, investissent dans l’immobilier, l’élevage, le textile, l’alimentation, parfois dans l’artisanat lié au travail du coton ou à la fabrication de l’huile, mais n’envisagent pas le mécénat en faveur de l’art qui pourrait pourtant créer une impulsion de développement économique et susciter l’intérêt des politiques…
Projection, espoir
J’ai l’espoir que l’Afrique retrouve le chemin de l’enseignement des ancêtres afin de créer un environnement respectueux des valeurs de sa civilisation tout en se tournant vers un avenir de construction et d’indépendance économique…
Qu’elle tourne le dos à ce qui la fragilise: une société de consommation qui lui fait perdre ses valeurs identitaires, qu’elle lutte contre le gaspillage et la sur- consommation, comme c’était le cas dans les villages.
Loin de moi l’idée de cautionner certaines dérives du passé qui ont pu conduire à des pratiques inacceptables, mais lorsque la tradition est enseignée dans le respect de la liberté et des droits humains, elle fait la grandeur de l’Afrique, elle favorise l’esprit d’ouverture et ouvre la voie au dialogue culturel.
Avant toute chose, on doit privilégier l’éducation pour tous. L’enseignement de l’histoire de l’Afrique et des civilisations africaines, et aussi des arts, devrait avoir sa place au sein de l’école publique, selon une pédagogie adaptée.
Ceux qui détiennent la connaissance ancestrale, doivent mettre celle-ci au service de la jeunesse de chez nous : on n’entend pas assez ces voix- là dans l’enseignement et la culture.
Par exemple, une littérature vivante était transmise de génération en génération, soit verbalement, soit par l’intermédiaire des tambours, publiquement ou au cours d’initiations spécifiques.
Chaque forme d’enseignement (contes, légendes, mythes, épopées, énigmes, devinettes, charades, proverbes, chansons, chantefables, prières, incantations) était dévolue à une ou plusieurs fonctions précises et la manière de transmettre ce savoir obéissait à des règles traditionnelles strictes.
Qu’il s’agisse d’éduquer, de jouer, d’initier, de rendre la justice, d’invoquer les esprits, de rendre hommage, d’entraîner la mémoire, il est toujours un mot ou un texte adapté appartenant à ce gigantesque patrimoine.
Si l’Occident est venu chercher la pensée de nos ancêtres, c’est bien qu’elle avait de l’importance: les chercheurs occidentaux collectaient leurs sources auprès des anciens, ils étaient impressionnés par leur niveau de connaissances et d’organisation poussée de la société, tel l’ethnologue Marcel Griaule chez les Dogons.
Ces recherches ont fait l’objet de nombreuses thèses et d’ouvrages, qu’il s’agisse des grandes familles, des peuples mossi, zoulou, peule, bambara, sénéfou… Il n’est pas normal que leurs sources ne sont pas toujours citées car c’est grâce à l’intelligence collective de ces peuples que la mémoire ne meurt pas, et qu’est sauvegardée la vie dans les villages.
Les œuvres d’art, dits premiers, (masques, statuettes…) sont reconnues, considérées, appréciées à l’extérieur, au point d’être volées et pillées… Les musées et les galeries artistiques du monde entier témoignent de l’intelligence et de la créativité artistique de leurs auteurs. Picasso s’en est inspiré dans ses peintures…
De grands artistes africains sont renommés dans le monde entier, que ce soit dans les arts plastiques, la musiques ou la danse. Dans le domaine de l’exploration des connaissances il y a eu des enfants du soleil qui ont fait leurs preuves dans le monde des sciences, de la conquête de l’espace, de la technologie, des mathématiques, de la géométrie et de l’innovation…
On n’a pas assez pris en considération la richesse de notre patrimoine, on a trop laissé parler les autres à notre place au risque de perdre notre identité culturelle profonde.
Ainsi, certains africains ignorent la culture africaine ou ne veulent plus en entendre parler. Ils confondent folklore et identité: porter le boubou plutôt que la chemise ne suffit pas à prouver son appartenance à une culture.
Au contraire il faut aller en profondeur, pousser la recherche et la rendre accessible, afin que nos universités enrichissent leurs sources. C’est le rôle de l’élite intellectuelle, à l’instar d’Aimé Césaire, Cheikh Anta Diop, Issouf Tata Cissé, Mongo Beti , Mbombog Mbog Bassong, Nioussére Kalala Omotunde, Norbert Zongo…
J’ai confiance dans la jeunesse africaine dans sa capacité à aller à la rencontre de sa culture, puis d’en témoigner en écrivant des livres, rares sur le marché. Car le savoir se partage, se confronte à celui d’autres cultures, c’est ainsi que l’on s’arme de connaissances, que l’on perçoit le monde dans sa complexité et que l’on se fait sa propre opinion…
C’est par un comportement digne, tolérant et respectueux des autres que nous devons affirmer nos valeurs, et cela est valable en Afrique comme à l’extérieur, notamment à l’étranger où l’on doit s’adapter à l’environnement : c’est le comportement qui compte, pas l’habit ou les accessoires…
De même, ce qui t’agace chez l’autre, il ne faut pas le lui faire subir, être digne c’est aussi respecter l’organisation et les codes des autres sociétés, se mettre à disposition comme le faisaient les anciens.
La jeunesse africaine ne doit pas chercher ses références culturelles à l’extérieur, elle doit croire à l’histoire et à la civilisation de l’Afrique, se ressaisir afin d’être en connexion avec elle. Les jeunes doivent se sentir impliqués, être curieux de leur identité, avoir la patience du retour aux sources.
Regard personnel
La cosmogonie bamanan et peule est la grande école fondatrice qui m’a construit. Je me suis toujours senti être un être parmi les êtres et ne me suis jamais perçu comme étranger dans le monde. C’est en m’appuyant sur ses valeurs que j’ai pu devenir un artiste international.
Les connaissances liées aux astres et à l’univers, ainsi que la co- habitation avec des divinités dotées de pouvoirs spécifiques ont nourrit la spiritualité de mon enfance. Un code moral faisait partie de l’éducation et de l’enseignement de base pour tous et était facteur de régulation de la société.
Certains peuples ont perdu cette connaissance et de nombreuses générations se sont éloignées des traditions et de la spiritualité mais il n’est pas trop tard, il faut faire appel à tous ceux qui peuvent « réparer »…
C’est parce que j’ai éprouvé la force que donne cette culture ancestrale que je tiens tant à la faire connaître et à en transmettre les valeurs.
Les valeurs héritées de nos ancêtres, particulièrement le respect de l’être humain et de la nature, étaient sources de structuration de la société. Nous devons les transmettre aux enfants et aux jeunes en s’appuyant à la fois sur la science et sur la spiritualité: ils ont le droit de savoir !
Ils ont le droit de connaître l’épopée de Soundjata, le poème épique qui relate la fondation de l’empire du Mali par le roi Soundjata Keita au 13 ème siècle. De savoir qu’une charte du Manden ou charte des chasseurs réglant l’éthique et les grands principes des lois de l’empire du Mali.
Ainsi, tous les grands empires ont promu les droits de l’homme et la protection de la nature, qu’il s’agisse du règne animal, minéral ou végétal.
Il ne s’agit pas de rejeter le progrès, mais de concilier société moderne et héritage de nos ancêtres. Je pense souvent que nous devrions nous inspirer de la société japonaise qui sait si bien concilier et faire cohabiter tradition et modernisme…
Pour cela, une prise de conscience collective de la richesse de notre patrimoine et de nos valeurs est nécessaire : savoir qui nous sommes, d’où l’on vient, afin de tracer notre propre avenir car notre destin est entre nos mains.
Ce qui est étranger ne doit pas effacer nos racines, comme si l’Afrique n’avait pas d’histoire… Les autres parlent encore trop souvent à notre place, il faut faire entendre notre propre voix, ce sont les africains qui doivent défendre leur culture! On est trop gentils et on s’oublie…
Ce n’est pas aux autres de nous indiquer qui nous sommes, c’est à nous de rappeler les civilisations anciennes et brillantes de l’Egypte et de l’Ethiopie, l’intelligence, le raffinement, le génie créatif et inventif des pharaons noirs…
Il faut trouver les moyens de valoriser la culture de l’Afrique et les compétences de l’homme noir. L’éducation devrait être une priorité pour tous les Etats car lorsqu’un peuple ne contrôle pas sa culture, ne maîtrise plus l’éducation de ses enfants il devient a-culturé.
Le rôle que tenait la tradition ancestrale dans la transmission des valeurs humaines et du patrimoine doit être assuré par l’Etat et par la famille, premier lieu privilégié de socialisation de l’enfant.
Il y a ceux qui croient et ceux qui ne croient pas en la culture africaine : les occidentaux font partie de ces derniers. Or, si on veut connaitre un peuple, il faut écouter sa musique et son histoire. J’ai retrouvé dans un texte de Françoise Gründ cette assertion : « c’est par cette porte (de la musique) , souvent étroite, que l’on doit tenter de pénétrer dans une culture ».
La culture constitue réellement un levier insuffisamment exploité, car les arts permettent de décloisonner et de fédérer… Porteurs de messages, ils favorisent la libération de la parole, peuvent être moteur de création, de progrès, d’évolution et d’émancipation sociale…
En Afrique, la musique est intégrée à la vie de tous les jours et remplit une fonction sociale, et parfois thérapeutique. Elle accompagne l’activité humaine au quotidien. Qu’il s’agisse des travaux des champs, de piler le mil, de faire la lessive ou du massage des bébés, il existe un répertoire spécifique transmis de génération en génération… La musique fait aussi partie intégrante des grandes cérémonies et rites d’initiation.
Ainsi, ces répertoires (voix et instruments) sont une source d’enseignement pour l’éducation des enfants, allant des berceuses aux textes revisitant les grandes épopées et prônant les valeurs ancestrales.
Me concernant, nourri des rythmes, des musiques sacrées et profanes, et des messages de mon enfance, j’ai choisi la voie de la création au service de la réflexion et de la valorisation artistique de nos instruments traditionnels sur la scène internationale.
Nous sommes encore dans la lutte contre le colonialisme. Il ne s’agit pas de tout balayer, ni de céder à la tentation du changement à n’importe quel prix, au contraire il faut réfléchir, faire preuve de maturité et de discernement afin de freiner les nationalismes et les radicalisations,
Oui il faut tendre vers le changement mais personne n’a pas de baguette magique, il faudra encore du temps et beaucoup de sacrifices avant que n’intervienne un changement significatif. « on ne peut pas prendre la place du lion mais on peut apprendre à vivre avec, car lui ne partira jamais »…
Il nous faut à la fois protéger notre patrimoine et trouver la voie d’une indépendance économique où le pillage des ressources ne serait plus permis, où l’Afrique ne serait plus soumise aux exigences du marché mondial … Un équilibre est à rechercher mais l’Afrique ne doit pas se soumettre ni croire aux promesses des multinationales : les gigantesques richesses naturelles et minières doivent profiter à son développement et à l’avenir de la jeunesse africaine.
Il est temps que nos énergies et nos connaissances se transforment en puissance économique et que nos richesses soient exploitées au profit des africains.
Il est nécessaire de se forger une volonté commune: si on y croit, on sortira de l’ornière, on ira vers le progrès… On en reste trop souvent aux constats, personne n’a le courage de faire le premier pas de la résistance. A ce propos me revient une phrase de Norbert Zongo : « le pire n’est pas la pauvreté des gens mauvais mais le silence des gens bien ».
On doit changer les données de la collaboration car ce n’est plus de la coopération c’est du pillage, trouver un équilibre entre les continents, que l’Afrique ne soit pas seulement convoitée mais partenaire d’un développement qui profiterait à tous. C’est pourquoi il nous faut des infrastructures fortes plutôt que des hommes forts, afin d’acquérir de la crédibilité auprès des investisseurs.
Il faut apprendre à travailler de manière rigoureuse et professionnelle, composer, négocier avec d’autres cultures sur des bases plus équitables en étant conscients de nos atouts et de nos richesses, sans se laisser aliéner. Il ne faut pas désespérer, l’Afrique donne toujours naissance à des cerveaux qui, bien que formés à l’étranger dans des nations ex-colonisatrices, seront aptes à relever le défi…
Sans doute faudrait-il également que l’on modifie nos pratiques, que l’on en finisse d’avoir, par facilité, recours au fétichisme, et qu’au contraire on s’interroge, réfléchisse, développe son esprit critique, accepte de s’auto- critiquer et que l’on se responsabilise. Et que le peuple prenne conscience de l’importance de protéger les cerveaux, de respecter les opinions différentes, et du fait que le changement s’inscrive dans la durée…
Néanmoins, le temps presse car derrière il y a il y a des générations sacrifiées, des africains qui ont les mêmes besoins, les mêmes aspirations, la même soif de dignité, d’autonomie et de souveraineté qu’ailleurs. Il ne faut pas que cela continue car la déception est grande, notamment en Afrique francophone.
Davantage de solidarité entre les pays africains pour lutter contre la vie chère et garantir des conditions de vie décentes limiterait aussi la souffrance des plus pauvres.
Un des bonheurs de l’Afrique serait sans doute d’oublier toutes ces frontières issues de la décolonisation, non choisies par les africains, qui entraînent tensions et tracasseries administratives aux frontières… L’union africaine c’est ce qui pourrait faire trembler le reste du monde, c’est l’une des voies qui peut donner l’espoir au continent africain.
La souveraineté africaine ne viendra que de nous-mêmes. Tout reste à inventer sur un modèle démocratique autre qu’occidental, en tenant compte de tous les cerveaux et des différences. Il est grand temps de libérer la pensée africaine. A ce jour, nous ne sommes pas considérés comme des penseurs, on ne nous prend pas au sérieux malgré nos capacités intellectuelles.
Je veux laisser une trace, libérer la parole, donner le goût d’aller vers les gens, apporter ma pierre pour réveiller la conscience de la jeunesse.
La pauvreté n’est pas une maladie ou une faiblesse, ceux qui n’ont pas d’argent n’ont pas à être stigmatisés. Pour moi, la vraie pauvreté c’est la méchanceté gratuite, c’est écraser ceux qui n’ont pas les mêmes codes…
Outre ses richesses naturelles et son patrimoine culturel, l’Afrique possède des valeurs inestimables héritées de nos ancêtres : la fierté, la dignité, la solidarité, le partage, le respect et la tolérance… Croire en l’être humain, en ses capacités relationnelles mais aussi dans le formidable potentiel que représente le collectif doit guider notre cheminement vers une réelle autonomie.
La jeunesse africaine ne doit pas avoir peur, ni porter le traumatisme du passé colonial… En revanche il faut pouvoir satisfaire ses légitimes attentes en termes d’indépendance économique, de formation, de reconnaissance de ses capacités à construire un avenir plus juste pour l’Afrique.
En un mot, il faut lui donner l’espoir d’une Afrique moderne et digne, riche de ses atouts et de sa diversité, ouverte au dialogue avec le monde mais qui, loin de renier sa civilisation ancestrale, s’en nourrit et s’inspire de ses valeurs.
REFERENCES OUVRAGES CIVILISATION AFRICAINE
PHILOSOPHIES AFRICAINES – SEVERINE KADJO-GRANDVAUX
LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE
CHANTS FUNERAIRES DES MOSSIS/BURKINA FASO
L’EMANCIPATION DES FEMMES ET LA LUTTE DE LIBERATION DE L’AFRIQUE – THOMAS SANKARA
CIVILISATION DU FER ET SOCIETES EN AFRIQUE CENTRALE – JOSEPH MARIE ESSOMBA
L’AFRIQUE ANCIENNE DE L’ACACUS AU ZIMBABWE/20000 ANS AVANT NOTRE ERE-XVIIéme SIECLE – FRANCOIS-XAVIER FAUVELLE
ANTERIORITE DES CIVILISATIONS NEGRES / MYTHE OU VERITE HISTORIQUE? – CHEIKH ANTA DIOP
LA CHARTE DU MANDE ET AUTRES TRADITIONS AU MALI – CALLIGRAPHIES DE ABOUBAKAR FOFANA
CONTES INITIATIQUES PEULS – AMADOU HAMPÂTE BÂ
YACOUBA, CHASSEUR AFRICAIN – AHMADOU KOUROUMA
NATIONS NEGRES ET CULTURE – CHEIKH ANTA DIOP
LE MONDE NOIR/ SOUS LA DIRECTION DE THEODORE MONOD ESSAI SUR LA RELIGION BAMBARA – GERMAINE DIETERLEN
LA GRANDE GESTE DU MALI / DES ORIGINES A LA FONDATION DE L’EMPIRE – YOUSSOUF TATA CISSE/WA KAMISSOKO
LA CONFRERIE DES CHASSEURS MALINKES ET BAMBARA / MYTHES, RITES ET RECITS INITIATIQUES – YOUSSOUF TATA CISSE
PAROLES TRES ANCIENNES – SORY CAMARA
DIEU D’EAU/ ENTRETIENS AVEC OGOTEMMÊLI – MARCEL GRIAULE
L’AFRIQUE FANTÔME – MICHEL LEIRIS
Yé Lassina Coulibaly art et culture,
Site officiel : www.yecoulibaly.com
Artiste auteur-compositeur interprète Musicothérapie sociétaire de la SACEM, ADAMI, SPEDIDAM, Union des Artistes Burkinabés Chevalier de l’ordre du mérite, des lettres et de la communication (agrafe musique et danse) du Burkina-Faso. Concert, spectacle, pédagogie 00 336 76 03 71 66»