La question a retenu une attention particulière à la COP28 qui s’achève ce mardi 12 décembre à Dubai et est appelée à occuper une place prééminente dans les discussions des prochaines COP, à commencer par celle de Bakou en 2024 en Azerbadjan. Il s’agit de la question de l’éducation environnementale très cruciale dans les efforts de la communauté internationale en matière d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques. Un expert, Firmin Tapé, environnementaliste, activiste écologiste, écrivain, expert-consultant en environnement et ancien pensionnaire de l’Université Senghor d’Alexandrie en Egypte, nous en parle. Entretien exclusif.
Burkina Demain : Comment êtes-vous venu à l’éducation environnementale ?
Firmin Tapé : Mon enfance a été marquée par une situation de catastrophe naturelle. Pendant que je faisais la classe de quatrième, mes parents avaient un vaste domaine agricole (environ 100 hectares) semé de céréales et du coton. Malheureusement, au moment la formation des épis, il n’a pas plu. Cette année-là, nous n’avions pas fait de bon rendement et nous avions connu ensuite une inoubliable famine avant l’autre saison. Cela m’a beaucoup touché. Et j’ai alors demandé à mon enseignant des Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) une explication liée à cette situation. Il m’avait dit que cela était lié aux variations du climat, qu’on ne pouvait rien y faire, que c’était aussi l’une des conséquences des pollutions causées par les industries…
C’est de là qu’est donc parti votre intérêt pour l’éducation environnementale…
Exactement. De cette réponse de mon professeur, j’ai compris qu’il faut m’apprêter pour lutter et protéger absolument l’environnement qui constitue d’ailleurs une source d’inspiration pour mes œuvres littéraires. Et pour me préparer à ce défi, je suis allé plus tard faire quatre ans de formation en foresterie au Lycée Agricole Médji de Sékou (LAMS), ensuite une licence en aménagement des espaces verts à l’Université Nationale d’Agriculture et un master en gestion des aires protégées et biodiversité à l’Université Senghor à Alexandrie en Egypte.
Et vous vous êtes véritablement armé en connaissances environnementales…
Tout à fait ! Pendant ce processus, j’étudiais bien les meilleures façons d’apporter des solutions aux problèmes environnementaux. J’ai très vite perçu que la qualité de l’éducation que les Hommes reçoivent par rapport à l’environnement, déterminent leur rapport à la nature. J’ai compris que la meilleure solution est de faire de chaque citoyen, un éco responsable, un éco citoyen. C’est de là donc que j’ai commencé à militer, à initier et accompagner des organisations de la société civile et les États dynamiques sur ce plan. Mon engagement a été renouvelé grâce à ma collaboration avec l’UICN PAPACO qui a développé la plateforme Youth-conservation pour l’éducation environnementale des Jeunes et puis il y a eu mon adhésion à l’association Sentinelle de la Nature qui a également contribué à raffermir et ancrer mon engagement pour l’éducation environnementale.
C’est quoi au juste l’éducation environnementale, ses objectifs ?
L’éducation à l’environnement vise à former des citoyens conscients, responsables et respectueux des autres et de leur environnement, capables de participer à l’action et la prise de décision collective. Autrement dit, l’éducation environnementale vise à former une population mondiale consciente des problèmes environnementaux, qui se préoccupe d’y trouver des solutions ; une population qui a les connaissances, les compétences, l’état d’esprit, la motivation, l’ambition et le sens de l’engagement permettant de travailler individuellement et collectivement à résoudre les problèmes environnementaux actuels, et éviter qu’il ne s’en pose de nouveaux. Bref, c’est le processus d’amener les humains à devenir éco- citoyens.
Ce processus a -t-il une histoire ?
Bien sûr. Et quand nous évoquons le sujet de l’éducation environnementale, nous pensons généralement à 1975, année à laquelle l’UNESCO a organisé la Conférence de Belgrade qui a marqué le point de départ formel de ce qu’on appelle l’éducation à l’environnement. Puis il y a eu en 1977 la conférence de Tbilissi qui adopté le principe d’une éducation environnementale.
L’éducation environnementale est-elle synonyme de l’éducation au développement durable ?
Non. Ce sont deux choses différentes mais qui sont obligées de cohabiter. Toutefois, ces termes possèdent beaucoup plus de points de convergence que de divergence.
Alors, c’est quoi l’éducation au développement durable et son rapport à l’éducation environnementale ?
Le Développement durable, ‘’Sustainable Development’’ comme disent les Anglophones, est un terme né en 1980 pour désigner une forme de développement économique respectueux de l’environnement, du renouvellement des ressources et de leur exploitation rationnelle, de manière à préserver les matières premières. Ce mode de développement répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre à leurs propres besoins. Depuis la conférence de Rio (1992), le développement durable est reconnu comme un objectif par la communauté internationale. L’éducation environnementale a donc évolué vers une éducation à l’environnement et au développement durable lors de ce Sommet de la planète Terre, à Rio en 1992. Ils se fondent sur un compromis entre les domaines économique, social, environnemental et culturel ; un développement équilibré.
En résumé, l’éducation environnementale amène l’Homme à être respectueux de l’environnement alors que l’éducation au développement durable nous demande de se développer sans empêcher la capacité des générations futures à se développer aussi.
Mais, comment éduquer à l’environnement ?
Pour éduquer à l’environnement, il faut prendre en compte les approches méthodologiques et pédagogiques en vigueur dans son pays en la matière. Il est vrai que chaque pays essaie de définir les approches favorables aux conditions des peuples et leurs milieux, toutefois, l’éducation à l’environnement ne marche pas avec la pédagogie magistrale où on livre uniquement la connaissance aux intéressés. Comme le but est d’amener à un changement de comportement , il est bien de considérer ces trois principes : savoir, c’est-à-dire avoir une connaissance objective des systèmes et processus concernés ; savoir-faire, posséder les techniques, la méthodologie pour approcher le problème ; savoir être, se comporter respectueusement de soi, de son environnement et de
la société. En parlant des approches, je peux citer : approche sensorielle, ludique, créative, interdisciplinaire, scientifique, cognitive, pragmatique, par projet, affective et par résolution de problèmes….On peut entreprendre diverses activités dans ce sens : Former les enseignants, parents; religieux , chefs de communautés et autres ; Camp des jeunes ou séminaires ; panneaux de sensibilisation ; Émission télé ou radio; ciné-environnement ; café environnement ; Contenu et diffusion sur les réseaux sociaux (Facebook et autres) ;Sorties touristiques ; récréatives; pédagogiques ; les arts ; Planting ; formation production de compost, gestion des déchets ; Jeux et concours ; webinaires ; … pratique gestes Éco Citoyens … Comme conseils : doser les initiatives selon les âges, les cultures, les psychologies, les coutumes ; motiver toujours les jeunes, créer du challenge ; adapter les activités selon les saisons et les canaux nécessaires ; exploiter les ressources du milieu…
Quelle est la situation de l’éducation environnementale dans un pays comme le Burkina Faso ?
Au Burkina Faso, la situation de l’éducation environnementale est claire. On connait l’engagement des différents acteurs et on sait leurs efforts.
Les ONG et associations sont très actives et engagées. Elles initient plusieurs activités dans ce sens sur le terrain. Leur nombre s’augmente au jour le jour ; c’est la preuve d’une prise de conscience chez les jeunes et le peuple ; Les scientifiques se préoccupent davantage en créant des filières qui répondent au besoin des connaissances utiles aux autres acteurs et en développant des sujets de recherches dont les résultats sont profitables aux acteurs militants ; Au niveau étatique, il y a eu beaucoup d’avancées.
En 2001, le gouvernement avait déjà mis en place la stratégie nationale de l’éducation environnementale (SNEE). Dès lors, le Ministère de l’environnement et du développement durable (MEDD) a instruit la Direction générale de l’amélioration du cadre de vie (DGACV) de promouvoir l’éducation environnementale en contribuant à son insertion dans les programmes scolaires. C’est ainsi qu’avec l’appui du projet Pana-Danida, une équipe constituée d’experts du MEDD et des ministères des Enseignements secondaire et supérieur, de l’Education nationale et de l’Alphabétisation, de l’Action sociale et de la Solidarité nationale et de l’Institut d’application et de vulgarisation des sciences (IAVS), a élaboré un programme minimal d’éducation environnementale pour les cycles préscolaire, primaire et secondaire du pays. Ce document a été validé lors d’un atelier national le 21 juillet 2011 à Ouagadougou. Ensuite, le Ministère de l’Environnement et du Développement durable(MEDD) a mis à la disposition des ministères en charge de l’éducation et de l’enseignement secondaire des documents didactiques relatifs à l’éducation environnementale, au Burkina Faso. Ces documents remis officiellement le 17 décembre 2013 à Ouagadougou ont déjà été expérimentés dans les différentes classes du post primaire et du secondaire du Burkina. Les documents d’éducation environnementale élaborés sont au nombre de trois. Le programme minimal d’éducation environnementale pour le développement durable, le guide d’éducation environnementale pour le développement durable au post primaire et le guide d’éducation environnementale au secondaire. En 2017, l’arrêté interministériel 2017-0323 MEEVCC/MENA portant création de clubs écologiques au sein des Lycées et collèges du Burkina Faso a été signé. Actuellement, les guides pédagogiques de l’enseignant pour l’éducation environnementale sont en expérimentation dans plusieurs écoles.
Il faut rappeler que le Burkina Faso a toujours été aux grands rendez-vous régionaux et internationaux sur les questions environnementales et ratifie les acquis utiles (conventions, déclaration, protocoles…) Beaucoup d’autres projets sont en cours. On peut se réjouir de ces efforts tout en sachant que le défi est grand et demande assez de moyens. Le gouvernement est actif sur les démarches visant à mobiliser les moyens à cet effet.
Que faudra-t-il faire comme actions prioritaires pour renforcer ou généraliser l’éducation environnementale dans nos pays ?
En matière d’éducation environnementale, je pense qu’on ne doit pas généraliser les approches et les méthodes. Il faut plutôt demander à chaque pays d’élaborer son programme d’éducation environnementale en fonction des coutumes et traditions des peuples, leurs cultures et habitudes, les écosystèmes disponibles et les réalités spécifiques environnementales ; car il s’agit d’amener les citoyens à être respectueux de l’environnement. Chaque pays, en ce qui le concerne pourrait entreprendre des actions comme : prise des arrêtés, vote de loi sur l’éducation à l’environnement, recherche de financement, accompagner et/ou collaborer avec les OSC et les médias ; diffuser ses stratégies…intégrer l’éducation environnementale comme une matière dans les lycées et collèges dans le système éducatif…
Quelle est la place des changements climatiques dans l’éducation environnementale de façon générale aujourd’hui dans le monde ?
Tous les efforts dans le monde en matière d’éducation environnementale concourent au bien du climat. Tout tourne autour du climat. Qui dit climat évoque l’humidité, la pression atmosphérique, le soleil, la température, les précipitations, le vent. Ces conditions météorologiques dont dépendent tous les vivants varient quand on parle du changement climatique ; surtout la conséquence du réchauffement de la planète causée par l’augmentation de la température moyenne de la terre. Indirectement ou directement, l’éducation environnementale sur le changement climatique devrait occuper la première place dans le monde. Mais étant donné qu’il n’est pas le seul à cerner, il devient un élément dans un ensemble.
Quand on parle de changements climatiques, on pense à la Conférence des Parties sur le climat (COP) dont la 28ème s’achève ce 12 décembre à Dubai aux Emirat arabes unis. Est-ce que la question de l’éducation environnementale est prise en compte dans ces COP ?
Cette COP28 se veut être la plus inclusive possible, tant au niveau des acteurs participants qu’au niveau des sujets abordés. L’UNESCO, que l’on reconnaît comme étant le leader et pionnier sur la question de l’éducation environnementale y a activement participé avec une série d’activités. Elle y a présenté ses efforts sur la scène mondiale et beaucoup de rencontres et négociations ont eu lieu sur le sujet. Mais, comme c’est la COP sur le changement climatique, il s’est beaucoup plus agi de l’éducation au changement climatique. En effet, l’éducation au changement climatique est vraiment au centre de l’éducation environnementale et tous les efforts visent à améliorer le climat planétaire pour un développement durable. Espérons que les acquis de cette COP seront en faveur de l’EE. Mais si nous revenons au Burkina Faso, à la COP 28, le Burkina Faso a déjà signé la déclaration régionale sur le renforcement de l’éducation aux changements climatiques comme certains pays membres du Comité permanent Inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS). De grandes organisations sont présentes à cette COP pour négocier des ressources pour l’éducation environnementale.
Avant cette COP28, vous avez été membre du jury du Concours Pecha Kucha qui a concerné des étudiants des universités publiques et privées du Burkina. Comment appréciez-vous cette initiative de JVE ?
Je réitère mes sincères remerciements aux partenaires de cet évènement ; également au Directeur Exécutif de JVE Burkina, Monsieur Olivier Tuina qui m’a invité dans ce jury. Merci aussi aux autres membres du Jury pour le travail collaboratif. Je renouvelle mes félicitations aux lauréats et étudiants participants pour leur audace.
Je rappelle que ce concours portait sur la justice climatique et c’était le principe de pollueur-payeur qui était mis en avant. Chaque candidat devait présenter un déroulé des images commentées abordant le phénomène des changements climatiques dans son ensemble et insister sur pourquoi il est mieux de faire payer le pollueur. C’était la finale de ce concours dont les cinq premiers ont été récompensés. J’ai beaucoup apprécié le contenu des présentations, tellement bien fourni en informations et en exemples appuyés des images. Tous les participants auraient appris ce jour-là. C’est cela qui est le plus important. C’est ça aussi l’éducation au changement climatique. Pour finir, ces initiatives sont à pérenniser pour favoriser l’accès à la vraie information aux jeunes qui sont aujourd’hui des ambassadeurs climat.
Quelle peut être la contrition des acteurs des médias dans l’éducation environnementale ?
Un rôle crucial est réservé aux médias, à l’information pour la sensibilisation.
En matière d’éducation environnementale, les médias doivent informer les peuples sur les enjeux et les risques liés. Beaucoup de personnes ne comprennent pas, voire ne sont pas informés des situations environnementales dans leur vraie profondeur. D’aucuns vivent les conséquences sans savoir les vraies causes et solutions. Aujourd’hui, nous avons beaucoup de solutions pour l’atténuation comme pour l’adaptation mais il faut informer les peuples et les victimes ou personnes vulnérables. Les médias sont obligatoirement des acteurs de diffusion de ces informations.
Je proposerais aux médias de participer à tous les évènements environnementaux pour relayer les informations sur les acquis. Les médias peuvent également contribuer à diffuser les résultats de recherches dans ce domaine. Beaucoup d’activités d’éducation environnementale ont lieu sans que le grand public ne soit informé. Nous sommes dans un monde où quand on ne fait pas de bruit, les acteurs ne comprennent pas l’urgence des choses. Je demande aux médias de faire du bruit autour des solutions qui sont disponibles et de faire une veille informationnelle au profit des peuples.
En parcourant votre profil, j’ai vu que vous avez dirigé par le passé un organe de presse universitaire dans une université agricole pour un mandat, « Plume Verte » ? Parlez-nous un peu de votre expérience ?
Effectivement. La Plume Verte est un organe de presse universitaire, au niveau l’Université Nationale d’Agriculture au Bénin. Elle fait la diffusion des résultats de recherche, anime les actualités agricoles et environnementales à travers des éditions de journaux écrits, des animations radiophoniques et les campagnes digitales (pages de réseaux sociaux et chaîne YouTube). Je remercie au passage son fondateur Dr DOSSOU A. J. Claver et tous les membres qui travaillent jour et nuit pour sa couverture nationale. Mon mandat avec mon équipe m’a enseigné que la diffusion de l’information nécessite de grands moyens, surtout si on veut atteindre une couverture totale d’un territoire. Puisqu’il faudrait former continuellement les journalistes et leur donner les moyens pour collecter les informations de qualité, faire un bon traitement de ces informations afin de les publier. Le vrai souci, c’est comment faire pour informer le dernier citoyen qui vit dans le dernier village du pays de l’existence de nouvelles solutions qui lui sont dédiées ; les populations à la bases, communautaires n’ont pas toujours les vraies informations ; trop de défis restent à relever et cela demande vraiment des moyens.
C’est la fin de notre entretien…voudriez-vous ajouter quelque chose…
J’aime dire à mes amis que si nous souhaitons améliorer le climat sur la terre pour un développement durable, il faut qu’on puisse améliorer nos relations envers notre cadre de vie ; il faut qu’on améliore nos habitudes et qu’on adopte des compléments éco-citoyens. Mes encouragements aux acteurs d’EEDD. En tout cas, pour ce qui me concerne, si c’est la nature, je pose toujours ma signature.
Entretien réalisé par Philippe Martin & Bernard Bazié
Burkina Demain