Le Professeur Abdelghani Qadem décrypte ici les récurrentes questions de sécheresses en Afrique

La sécheresse, le Burkina Faso à l’instar des autres Etats sahéliens, en a connu et a dû même, à la fin des années 1990, mener sur plusieurs années avec l’appui technique du Maroc, ce qu’on a appelé «Opération Saaga» qui consistait à ensemencer les nuages pour provoquer les pluies, tant elles étaient rares. Et l’actualité de ces dernières semaines au Sahel marquée par des inondations et leurs lots de victimes ou sinistrés ne devrait pas nous faire perdre de vue les autres extrémités aussi dévastatrices des effets des changements climatiques que sont les sécheresses. Plusieurs régions du continent y sont durement confrontées ces dernières années, notamment l’Afrique de l’Est, l’Afrique australe et surtout l’Afrique du Nord. Comment ces populations africaines vivent-elles ces dures réalités ? Quelles solutions ou stratégies communautaires pour s’adapter et continuer à vivre malgré tout ?

Le Professeur Abdelghani Qadem décrypte ici les récurrentes questions de sécheresses en Afrique

Pour une meilleure lecture et compréhension de ces chroniques questions de sécheresses ou stresses hydriques qui font parties des effets redoutables des changements climatiques, ainsi que du rôle des chercheurs africains ; nous nous sommes entretenu avec un éminent expert de la question, Abdelghani Qadem, Professeur de l’Université Sultan Moulay Slimane, Béni Mellal. Le Pr Qadem parle de l’expérience de son pays, le Maroc avec aussi son ‘’Opération Saaga’’ connu sous le vocable de «Al-Ghait» (pluie).

Burkina Demain : Comment se manifeste les effets des changements climatiques dans votre pays ?

Pr Abdelghani QADEM : À l’instar des pays de la région méditerranéenne, le Maroc est particulièrement affecté par les conséquences des changements climatiques. Ces modifications constituent une menace sérieuse et leurs incidences ont un impact significatif sur divers aspects de la vie quotidienne des citoyens, notamment en ce qui concerne les ressources naturelles, les écosystèmes et la productivité agricole. En effet, ces manifestations sont multiples ; par exemple, on note une augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements météorologiques extrêmes. Cela inclut des sécheresses prolongées et sévères, ainsi que des inondations et la désertification. Cependant, la sécheresse observée ces dernières années demeure l’aspect le plus marquant de ces manifestations. Ce risque représente un phénomène structurel au Maroc, caractérisé par un climat semi-aride avec une forte variabilité pluviométrique. Les précipitations annuelles moyennes s’élèvent à 400 mm et se distinguent par une concentration spatiale et temporelle élevée. Cette irrégularité accentue le risque, en particulier dans les régions du centre et du sud du royaume. Cette situation a indubitablement un impact sur la disponibilité des ressources en eau.

Et la situation semble plus sévère dans la zone où vous résidez….

En effet, la région de Béni Mellal-Khénifra n’échappe pas à cette réalité préoccupante. La rareté des ressources hydriques y est devenue une constatation manifeste. Il convient de souligner que cette région a longtemps été reconnue pour sa richesse en eaux et son rôle crucial dans la production agricole. Elle fait partie du bassin d’Oum Errabiaa, qui subit fortement les effets d’une diminution des précipitations, atteignant un déficit de 53 % selon les données officielles. L’état alarmant des barrages régionaux ainsi que celui des oliviers et d’autres espèces végétales témoignent également de cette situation préoccupante.

Comment les populations vivent cette situation ?

Comme la sécheresse n’est pas une donnée nouvelle au Maroc, le pays depuis des siècles, a enregistré des épisodes de sécheresse. Le phénomène a toujours été présent dans l’histoire du Royaume. Depuis pratiquement 6 ans le pays vit l’épisode la plus longue et la plus inquiétante de son histoire contemporaine. Il s’agit d’un défi sérieux dans le domaine des ressources en eau, qui affecte la sécurité alimentaire et le développement durable. Dans ce contexte la population n’a pas d’autre choix que de s’adapter avec cette situation. Cela veut dire que les marocains ont l’habitude de vivre avec de telles conditions.

Comment font- elles au juste pour s’adapter à ces dures réalités ?

Pour faire face à ces réalités difficiles, notamment les conséquences des changements climatiques, il me semble essentiel de commencer par l’acceptation des risques inévitables. Par la suite, diverses stratégies peuvent être mises en œuvre tant au niveau individuel qu’à l’échelle communautaire. Dans le cas de la sécheresse ; parmi ces stratégies figure l’économie d’eau ; ainsi, la population est encouragée à adopter des pratiques de conservation de l’eau dans les ménages et d’autres secteurs. Il convient de souligner que l’agriculture au Maroc consomme plus de 80 % des ressources en eau. Ce constat nécessite l’adoption de systèmes d’irrigation visant à réduire le gaspillage de cette ressource précieuse. Pour compenser le manque d’eau superficielle, la population se tourne vers l’exploitation des ressources en eau souterraine afin de satisfaire ses besoins.

Professeur Qadem : « le Maroc est particulièrement affecté par les conséquences des changements climatiques »

Que fait l’Etat marocain pour pallier à cette sécheresse ?

Depuis plusieurs décennies, l’État marocain reconnaît que la sécheresse est une caractéristique intrinsèque du climat national, représentant un phénomène structurel. Par conséquent, la politique de construction de barrages a constitué un levier fondamental depuis l’indépendance. Actuellement, le royaume dispose de plus de 140 infrastructures hydrauliques, avec une capacité totale excédant 19 milliards de m³. Cette approche a indéniablement permis au pays d’affronter les variations climatiques observées dans les années 1980 et 1990. Néanmoins, malgré les défis liés aux choix des barrages, notamment l’augmentation de l’évaporation et la diminution des précipitations, l’État marocain persiste dans cette stratégie en annonçant récemment la construction de 20 nouveaux barrages d’ici à 2030. L’objectif est d’accroître la capacité de stockage à 24 milliards de m³ afin d’assurer un approvisionnement adéquat en eau potable et en électricité.

Il convient de noter que la problématique ou crise liée à la pénurie d’eau et au stress hydrique constitue avant tout une crise de gouvernance; cela signifie que les grands projets ou infrastructures hydrauliques ne suffisent pas sans une gestion durable des ressources. Il est également important de souligner que les enjeux relatifs aux ressources en eau ont été centraux dans plusieurs discours prononcés par Sa Majesté Mohammed VI. Ces allocutions royales ont donné lieu à des instructions élevées pour la mise en œuvre des divers projets relatifs à l’eau, visant à préserver tant la sécurité du pays que sa souveraineté alimentaire.

 A la fin des années 90 face à la sécheresse au Burkina Faso, le gouvernement de l’époque avait dû mener sur plus d’une décennie l’opération Saaga qui consistait à bombarder les nuages avec des produits chimiques afin de provoquer des précipitations…et le gouvernement en son temps, l’avait fait avec l’appui technique du Maroc. Est-ce que le Maroc aujourd’hui mène aussi des opérations similaires pour s’attirer les faveurs du ciel ?

Il est indéniable qu’il existe diverses techniques pour atténuer le manque d’eau, telles que l’ensemencement des nuages, souvent désigné sous le terme de bombardement des nuages. Actuellement, plusieurs pays mettent en œuvre ces méthodes d’ensemencement afin de favoriser les précipitations. Le Maroc a adopté cette technique depuis un certain temps, à travers un programme intitulé «Al-Ghait» (pluie), lancé par feu le Roi Hassan II. Les conditions contemporaines et les projections futures indiquent que le Maroc, aux côtés d’autres pays de la région comme l’Espagne et le Portugal… sera confronté aux conséquences préoccupantes des sécheresses croissantes. Ce constat pose plus que jamais l’urgence pour le pays de diversifier ses approches et ses techniques afin de faire face à la pénurie d’eau et de gérer la rareté liée à la crise hydrique.

Parallèlement, plusieurs projets ont récemment été initiés pour gérer le stress hydrique. Parmi ceux-ci figurent les autoroutes de l’eau destinées à approvisionner les grandes métropoles telles que Casablanca, la capitale économique, et Rabat, la capitale politique. Ces initiatives visent à transférer les ressources en eau entre les bassins riches en eau et ceux en situation de rareté, dans un esprit de solidarité interrégionale au sein du royaume. Le gouvernement marocain a annoncé qu’un certain nombre d’autres projets similaires seront développés dans les années à venir. L’objectif principal est d’assurer une utilisation adéquate des ressources pour des besoins domestiques, agricoles et industriels.

 En tant qu’universitaire, quel est votre rôle sur cette question des changements climatiques et de ses effets ?

Face à ces fluctuations climatiques. Les chercheurs des universités sont conscients de ces problèmes et ses impacts sur l’environnement et le cadre de de vie de la population. Les universitaires ont montré ces aléas depuis très longtemps. Nous savons bien que le chercheur ne peut pas dicter des politiques mais son rôle est de mener des études et proposer des solutions et alimenter des débats autour des problématiques environnementales et sociétales …à côté des études et de recherches sur les changements climatiques et ses effets, il y a aussi la formations des cadres et des décideurs de demain à travers des formations de master et de doctorat spécialisé dans ce domaine. Certes que le Maroc fait partie des pays du sud, la recherche scientifique n’a pas les vrais moyens de mener des grandes études qui demandes des budgets et des conditions confortables. Mais toujours il y a un espoir que la recherche scientifique dans les universités africaines aura l’intention nécessaire pour contribuer au développement des pays.

A ce titre, vous avez participez justement à une formation et ronde table en début du mois d’août à Mombassa au Kenya. De quoi a-t- il été question ?

Il s’agit d’une table ronde de formation et d’adaptation aux médias réunissant des experts et journalistes africains. Cet événement est organisé par Power Shift Africa (PSA), un groupe de réflexion (Think Tank) qui fournit des analyses approfondies, des propositions politiques orientées vers des solutions, ainsi qu’un engagement médiatique actualisé dans une perspective africaine, tant sur le continent qu’à l’échelle internationale. En conséquence, cette formation a permis de renforcer les compétences des journalistes africains et des Storytellers climatiques pour traiter ce sujet, dans le but d’accroître la compréhension et l’engagement du public. Cette rencontre a été couronnée de succès, offrant une plateforme d’échanges enrichissants entre experts et journalistes africains.

Burkina Demain : De façon générale, comment voyez-vous le rôle du monde universitaire sur cette question des changements climatiques ?

Pr Abdelghani QADEM : Comme je l’ai précédemment souligné, les universitaires jouent un rôle essentiel dans la recherche structurante visant à identifier des solutions pour atténuer les effets des changements climatiques. Ces solutions englobent la sensibilisation, la responsabilisation, l’innovation, ainsi que les domaines de la technologie et de l’énergie, tout en accompagnent les processus et transformations sociales. Il est indéniable que les compétences des chercheurs sont aujourd’hui plus sollicitées que par le passé pour relever ces défis qui mettent en péril nos sociétés. De surcroît, ces enjeux requièrent l’implication de l’ensemble du monde universitaire (ingénieurs, sociologues, etc.) afin d’intégrer leurs contributions aux débats publics et aux dialogues portant sur la formulation de modèles de développement tenant compte de la durabilité ainsi que de la justice climatique et territoriale.

Entretien réalisé par Grégoire B. BAZIE

Burkina Demain

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