Adama Hema, Inspecteur de l'Enseignement secondaire, se prononce sans détour sur les défis du système éducatif burkinabè

Alors que le débat en ce début d’année scolaire 2024-2025 fait encore rage, l’Inspecteur de l’Enseignement secondaire Adama Hema fait sans doute figue de partisan convaincu de la revalorisation du système éducatif au Burkina Faso. Pour lui, «il n’y a pas mille et une solutions pour tirer vers le haut notre système éducatif». Il faut, préconise-t-il «des moyens : moyens pour la construction suffisante des infrastructures d’accueil des apprenants, moyens pour la formation continue des acteurs du système, moyens pour le suivi des enseignants dans la mise en œuvre des différentes réformes». Et ce n’est pas tout.

Inspecteur Adama Hema, un partisan convaincu des réformes en cours dans le système éducatif

«Au-delà de tout cela, il convient d’entreprendre de vraies réformes visant à adapter le système éducatif à nos réalités, le rendre plus opérationnel, plus efficient, faire en sorte que son efficacité externe ne soit pas sujette à des polémiques…À cela, s’ajoute la prise en compte des paramètres tels l’abondance des documents actualisés et en lien avec le vécu des apprenants, les effectifs dans les classes, la régularité du suivi des enseignants chargés de la mise en œuvre du nouveau dispositif, la mise en place des cadres réguliers, trimestriels par exemple, de recyclage continu des enseignants». Ce sont là entre autres éléments qui, assure-t-il, «mis ensemble, devraient permettre de véritablement parler d’accroissement ou d’élévation du niveau et/ou de la qualité de l’enseignement au Burkina Faso». Et quid de la philosophie et de la politique ? Politique et philosophie font-elles oui ou non bon ménage ? «En théorie, on est tenté de répondre par l’affirmative que politique et philosophie sont compatibles. En ce sens que toutes deux poursuivent la réalisation du plein épanouissement de l’homme, la défense des valeurs qui caractérisent l’espèce humaine, l’égale dignité des hommes par-delà les différences naturelles et sociales. Cependant, dans les faits, les deux ont tendance à se donner dos-à-dos ; quand par exemple la politique bascule dans la démagogie, la violence, la malhonnêteté, les intrigues de tous ordres, la philosophie s’égare», soutient l’Inspecteur Hema. Entretien exclusif.

Burkina Demain : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Inspecteur Adama Hema :  Je m’appelle HEMA Adama. Je suis Inspecteur de l’Enseignement Secondaire, option PHILOSOPHIE. J’ai débuté ma carrière d’Encadreur en tant que Conseiller Pédagogique de l’Enseignement Secondaire dans la Région du Sud-Ouest où j’ai servi un an à Gaoua, la capitale de la région et chef-lieu de la province du Poni, et trois ans à Diébougou, chef-lieu de la province de la Bougouriba. Disons que j’étais en mission de civilisation, de raffinage de mes esclaves que je trouvais trop brutes. C’est au terme de ces quatre années passées dans cette partie du Burkina que j’ai été admis au concours d’Inspecteur de l’Enseignement Secondaire. Plus tôt, une affectation m’a permis de faire un passage furtif à la Direction Provinciale/ Comoé. Et à ce jour, je suis dans l’expectative de l’affectation.

 Selon la formation reçue, en quoi consistera votre travail d’inspecteur ?

De prime abord, disons que le travail de l’Inspecteur de l’Enseignement Secondaire est essentiel pour assurer la qualité de l’éducation au niveau de cet ordre d’enseignement. Ce travail est étendu et se résume entre autres à : la supervision et l’évaluation des enseignants afin de s’assurer que les normes pédagogiques et administratives sont respectées ; la visite-accompagnement ou visite-conseils rendue aux enseignants pour les aider à résoudre des problèmes pédagogiques et administratifs ; la visite-contrôle vise à vérifier la prise en compte effective de ce qui a été dit lors de la visite-accompagnement ; la visite-certification qui consiste à évaluer les capacités d’un enseignant et lui permettre d’accéder à un grade ; la formation continue des enseignants à travers les séances de formation pour les aider à résoudre des problèmes pédagogiques et administratifs ; l’élaboration et la mise à jour des programmes scolaires pour s’assurer qu’ils sont pertinents et adaptés aux besoins des apprenants ; l’audit ou l’inspection des établissements scolaires pour se rendre compte des conditions d’enseignement et de travail des enseignants, et pour s’assurer que les infrastructures sont adéquates ; la rédaction des rapports sur les faits observés et faire des recommandations pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement ; l’accomplissement des fonctions managériales, c’est-à-dire planifier, organiser, diriger et contrôler…

Bref, ces tâches permettraient de maintenir haut le niveau de l’éducation et de garantir un enseignement de qualité aux élèves pour peu que les conditions de réalisation soient réunies.

Notre société est en crise et le secteur de l’éducation n’est pas en reste. À votre sens, quelles sont les principales difficultés de votre secteur ?

Les principales difficultés du secteur de l’éducation dans ce contexte de défi sécuritaire se résument essentiellement à la fermeture des écoles, la désertion des enseignants de leur lieu de travail, l’affluence des élèves dans les localités plus paisibles occasionnant sinon accentuant le phénomène des grands groupes. Le corollaire de cet état de fait, c’est la déscolarisation des élèves, les mouvements d’humeur des enseignants intervenant dans ces classes à grand groupe, la formation continue des enseignants prend un coup, la difficulté de la mise en œuvre de certains méthodes, techniques et procédés pédagogiques, etc. Vivement que notre belle et chère patrie recouvre la quiétude et devienne le havre de paix qu’on lui reconnaît.

Et depuis quelques années maintenant, on parle beaucoup de réformes du système éducatif et pour cette rentrée 2024-2025 un nouveau pas est franchi avec notamment la révision des curricula. Pour vous, produit de l’ancien système et l’ayant expérimenté en tant qu’enseignant, est-ce que tout cela se justifie ?

En tant que produit de l’ancien système et l’ayant expérimenté en tant qu’enseignant, ces réformes du système éducatif sont amplement justifiées en ce sens qu’elles allègent la tâche et aux apprenants et aux enseignants. Les apprenants seront dorénavant à l’abri des fameux hors-sujets dont nous avions tous été victimes. Les enseignants fourniront moins d’effort durant les évaluations par rapport à l’ancien système en ce qui concerne la discipline Philosophie. Mais comme on le dit, l’enfer est pavé de bonnes intentions pour dire que ces réformes du système qui font rêver peuvent désenchanter si elles ne sont pas bien comprises et assimilées. On le sait, l’enfance de toutes choses est décisive sinon fondamentale ; pour dire qu’il faut éviter les précipitations et prendre le temps nécessaire pour former et bien former les différents acteurs afin qu’ils maîtrisent les tenants et aboutissants de ces réformes pour mieux les appliquer au grand bonheur de la communauté éducative Burkinabè. Cela nous éviterait, de mon humble point de vue, cette imagerie de ce conducteur qui arrive à destination sans les passagers à cause de la précipitation. Et pour montrer à quel point l’éducation est essentielle dans la vie d’une nation, lisons ce sage chinois qui faisait observer à son empereur ceci : « si vous voulez détruire un pays, inutile de lui faire une guerre sanglante qui pourrait durer des décennies et coûter cher en vies humaines. Il suffit de détruire son système d’éducation et d’y généraliser la corruption ». Ces propos mettent en lumière l’importance cruciale de l’éducation pour la stabilité et le développement d’une nation. C’est en clair dire qu’aucune réforme ne doit se faire à la hâte en tout cas pas de façon bâclée. C’est vrai que de grands efforts sont fournis par les plus hautes autorités ayant permis la révision des curricula et former les acteurs, enseignants et encadreurs mais beaucoup d’autres efforts restent encore à fournir.

Le nouveau dispositif suffira-t-il à rehausser le niveau, la qualité de l’enseignement au Burkina Faso ?

Je ne sais pas pourquoi vous faites allusion à l’enseignement uniquement alors même qu’il y a aussi le volet apprentissage qui est tout aussi important qu’il ne faut surtout pas occulter. Autrement, on ne saurait parler seulement d’enseignement sans son complice, l’apprentissage dans ce contexte d’APC/PI, puisque l’APC/PI vise à faire acquérir à l’apprenant des compétences dont il doit se servir pour résoudre au quotidien les problèmes auxquels il est confronté, pour ne pas me répéter.

Le nouveau dispositif, l’APC/PI puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est une approche pertinente, socialement équitable au vu de ses objectifs humbles et réalistes. Elle engage d’ailleurs l’école dans sa mission sociale d’éduquer et non seulement d’instruire. La mise en œuvre de l’APC, en prônant l’interdisciplinarité, le recours au travail collectif, la socialisation des élèves à travers des pratiques contextualisées permet de dépasser cette incertitude sur le bien-fondé de l’école. L’APC, en français facile, c’est l’application pratique des savoirs livresques, des savoirs enseignés par les apprenants ; dans le cas de la philosophie, le terme sagesse prend pleinement tout son sens en tant que savoir et art de vivre, toutes choses qui participent à la démystification de la philosophie considérée à tort comme ésotérique, qui font montre de son utilité dans la société : elle n’est pas une pure spéculation .Dans l’enseignement/ apprentissage APC, l’acteur principal est l’apprenant, ce qui lui permet de mieux s’approprier les connaissances véhiculées pour les intégrer dans des situations de vie réelle. En d’autres termes, L’APC, c’est l’usage des connaissances acquises pour résoudre au quotidien les problèmes concrets. L’APC permet de mieux mesurer l’atteinte des objectifs de l’enseignement/apprentissage. La réduction du d’échec scolaire, la contextualisation des savoirs aux réalités des apprenants. Ce sont là quelques avantages du nouveau dispositif à même de contribuer à rehausser le niveau et la qualité de l’enseignement au Burkina Faso. Cependant, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. À côté de ces avantages que présente l’APC, existent des limites objectives qui ne nous permettent malheureusement pas de stipuler avec certitude que le nouveau dispositif, comme vous l’appelez, à lui seul permet de rehausser le niveau et la qualité de l’enseignement/apprentissage. Ce sont entre autres l’insuffisance de la maîtrise des mécanismes de l’APC par les acteurs chargés à leur mise en œuvre, absence de formation conséquente pour une réforme qui engage l’avenir de toute une nation. L’apprenant est certes l’acteur principal dans le processus enseignement/apprentissage mais il y a une facilitation de sa tâche par l’enseignant qui doit concevoir ou élaborer des situations d’apprentissage ou d’intégration de façon régulière ; dans le contexte de la philosophie, cela peut réduire la capacité de l’apprenant à penser par lui-même et c’est le début de l’installation insidieuse d’une paresse intellectuelle chez l’apprenant. Ces limites objectives constituent la plaie du nouveau dispositif devant permettre de rehausser le niveau et la qualité de l’enseignement/apprentissage au Burkina Faso à mon humble avis.

Sinon, en tant qu’acteur du système, entrevoyez-vous d’autres pistes pour tirer vers le haut notre système éducatif ?

Pour tirer vers le haut le système éducatif, il n’y a pas mille et une solutions : il faut mettre les moyens, moyens pour la construction suffisante des infrastructures d’accueil des apprenants, moyens pour la formation continue des acteurs du système, moyens pour le suivi des enseignants dans la mise en œuvre des différentes réformes car comme le dit cet adage : la plus belle femme ne peut donner que ce qu’elle a. Au-delà de tout cela, il convient d’entreprendre de vraies réformes visant à adapter le système éducatif à nos réalités, le rendre plus opérationnel, plus efficient, faire en sorte que son efficacité externe ne soit pas sujette à des polémiques.

À cela, s’ajoute la prise en compte des paramètres tels l’abondance des documents actualisés et en lien avec le vécu des apprenants, les effectifs dans les classes, la régularité du suivi des enseignants chargés de la mise en œuvre du nouveau dispositif, la mise en place des cadres réguliers, trimestriels par exemple, de recyclage continu des enseignants. Ce sont là entre autres éléments qui, mis ensemble, devraient permettre de véritablement parler d’accroissement ou d’élévation du niveau et/ou de la qualité de l’enseignement au Burkina Faso. Le rehaussement du niveau et/ou de la qualité de l’enseignement reste aussi tributaire d’un phénomène national voire international persistant et généralisant : les grands groupes ; ils constituent une des difficultés pour un enseignement de qualité. Soucieux d’un enseignement de qualité, de bonnes conditions d’études des apprenants et de leurs enseignants, j’ai été amené à faire des grands groupes l’objet de mes recherches en fin de formation à l’exercice du métier d’Inspecteur sous le titre : « Enseignement/apprentissage de la philosophie et les Grands Groupes dans la ville de Banfora : état des lieux et perspectives ». J’y propose entre autres des voies et moyens à la communauté éducative dans son ensemble et plus spécifiquement aux enseignants et apprenants pour surmonter les difficultés qui y sont inhérentes pour un enseignement efficace et efficient. J’invite tous les acteurs du système éducatif à se l’approprier principalement et prioritairement les enseignants de philosophie. En rappel, un mémoire est un document scientifique, une fois validé par les esprits compétents de la sommité éducative, son contenu doit être au maximum vulgarisé et non jalousement conservé dans sa bibliothèque de maison tel un objet d’art destiné à la seule contemplation encore moins considéré comme un tabou après la soutenance. De là dépend en partie la hausse et du niveau et de la qualité de l’enseignement. NB : Les exemplaires de ce mémoire traitant des grands groupes sont disponibles dans les bibliothèques de l’École Normale Supérieure (ENS) à Koudougou et de l’Institut pour le Développement des Sciences (IDS) à Ouagadougou.

Inspecteur Adama Hema à propos des réformes : « Les cadres traditionnels de formation continue, de recyclage des savoirs pédagogiques sont restés intacts sinon sont en train de s’étioler. L’illustration la plus éloquente est l’introduction de l’éducation civique au post primaire et secondaire dont l’enseignement a été imposé aux enseignants d’histoire et géographie sans aucune formation. L’esprit est à saluer mais la manière laisse perplexe. Les cadres traditionnels de formation continue, de recyclage des savoirs pédagogiques sont restés intacts sinon sont en train de s’étioler. L’illustration la plus éloquente est l’introduction de l’éducation civique au post primaire et secondaire dont l’enseignement a été imposé aux enseignants d’histoire et géographie sans aucune formation. L’esprit est à saluer mais la manière laisse perplexe.  »

Est-ce que le capital humain, sa valorisation est prise en compte, est pris en compte dans la nouvelle politique de l’éducation nationale ?

La valorisation du capital humain que sont essentiellement les enseignants, les éducateurs et les encadreurs pour ne citer que ceux-ci, est, à mon entendement, prise en compte dans la nouvelle politique de l’éducation nationale même si l’État doit faire davantage plus d’efforts. Parmi les efforts faits par l’État dans le sens de la valorisation du personnel, on peut citer : les recrutements réguliers du personnel, l’extinction de certains corps, le reclassement du personnel suite à un examen ou concours. Il faut dire que ces traitements méritent d’être améliorés pour la satisfaction de ce personnel en évitant, par exemple, les retards dans les avancements, reclassements et en recadrant les affectations, etc.

Au-delà de ces éléments ci-dessus mentionnés, il faut dire que les acteurs de l’éducation sont tous dans le bricolage pédagogique pour faire réussir ou pour donner du succès aux différentes réformes présentes. Les cadres traditionnels de formation continue, de recyclage des savoirs pédagogiques sont restés intacts sinon sont en train de s’étioler. L’illustration la plus éloquente est l’introduction de l’éducation civique au post primaire et secondaire dont l’enseignement a été imposé aux enseignants d’histoire et géographie sans aucune formation. L’esprit est à saluer mais la manière laisse perplexe.

À la faveur du dernier remaniement gouvernemental, le Burkina dispose d’un Ministère en charge de l’enseignement secondaire, de la formation professionnelle et technique. Est-ce un bon pas vers la résolution du problème d’inadéquation entre l’enseignement et le milieu de l’emploi ?

Ah oui, il faut se réjouir de la création ou de l’érection d’un ministère entièrement chargé de l’Enseignement Secondaire, de la Formation Professionnelle et Technique (MESFPT) avec l’espoir que des problèmes spécifiques puissent trouver leur résolution. Mais de là à croire que l’avènement du ministère va suffire à résoudre le problème de l’inadéquation entre l’enseignement et le milieu de l’emploi serait saugrenu comme pensée puisque quoique le MESFPT prenne en compte le volet Formation Professionnelle et Technique qui ne représente pas grand-chose comparé à l’étendue de l’Enseignement général, il ne peut pas résorber la problématique de l’inadéquation entre l’enseignement et le milieu de l’emploi. Mais pour un début, comme vous le dites, c’est un bon pas vers… qu’il faut saluer et souhaiter une inversion des tendances, c’est-à-dire que la Formation Professionnelle et Technique prenne le pas sur l’Enseignement général. C’est en ce moment qu’on pourra véritablement parler de résolution du problème d’inadéquation entre l’enseignement et le milieu de l’emploi. Disons, sans être dans le secret des dieux, puisque je ne suis pas du gouvernement, cette scission de l’ex MENAPLN vise plus l’efficacité et l’efficience au niveau des différents ordres d’enseignement.

Mais, ce n’est pas la première fois qu’on en parle. Déjà au début des années 2000, c’est ce qui avait été évoqué pour justifier la refondation de l’université…Plus de vingt ans après, le nombre des étudiants chômeurs n’a jamais été aussi élevé que maintenant…

C’est clair et il n’y a pas de doute que notre système éducatif, hérité de la colonisation, souffre d’un problème d’adaptabilité aux réalités ou aux besoins de nos sociétés et ceci depuis les indépendances ; il est plus théorique du genre bureaucratique que pratique. Tout apprenant espère, au terme de son cursus scolaire ou académique, pouvoir être dans un bureau assis sous un climatiseur. Même se rendant compte des difficultés qui poignent à l’horizon, les apprenants ne sont pas prêts à se raviser et à envisager autrement leur avenir. À chaque fois que l’occasion m’est donnée d’être avec un groupe d’étudiants, je les ai toujours taquinés pour requérir leur avis sur leur devenir. Il en ressort qu’aucun n’est prêt à retourner au travail de la terre et dans une rase mesure, quelques-uns s’intéressent aux activités commerciales Et c’est dommage et grave. Il est impératif d’abandonner ce système qui secrète sans cesse des diplômés sans emploi et de se tourner vers un système plus pratique qui permettrait à l’apprenant de savoir faire quelque chose de ses doigts une fois que les études vont s’interrompre. Ceci n’est que ma pauvre et naïve lecture des choses du système éducatif Burkinabè.

Actuellement, dans certains milieux, il ne fait pas bon être intellectuels ou diplômés, traités de tous les noms d’oiseaux… Comprenez-vous cela ?

C’est simplement regrettable et malheureux cette aversion contre les intellectuels et/ou diplômés ; c’est même très dangereux en ce sens que c’est ‘’efforticide’’,’’laborieuticide’’, ‘’ambitieuticide’’ donc entretient une paresse intellectuelle. C’est précisément ce que dénonçait Gide, A. quand il écrivait : « les idées nettes sont les plus dangereuses parce qu’alors on ne peut plus en changer et c’est là une anticipation de la mort ». Il dénonce ainsi la fixité, la rigidité des idées ; une fois une idée est fixée de manière définitive, il devient difficile de la remettre en question ou de la changer. Cette rigidité mentale peut être vue comme une forme de stagnation ou de mort intellectuelle, puisqu’elle empêche l’évolution et l’adaptation de la pensée tuant par la même occasion l’ambition, l’effort, le labeur, etc.

Pour tout homme équilibré mentalement, qui jouit de sa faculté de juger, qui a le sens de l’objectivité, toute guerre contre les intellectuels et/les diplômés ne peut que paraître totalement absurde voire paradoxale, puisque l’intellectuel et/ou le diplômé sont incontournables dans nos sociétés ; il n’y a pas de domaine sans intellectuel et/ou diplômé. Ils constituent le phare de nos sociétés, de l’État. Ils se présentent comme un couteau à double tranchant, c’est-à-dire qu’ils sont capables du meilleur comme de son contraire, le pire. Il vaut toujours mieux de les avoir avec soi que de les avoir contre soi. Penser sincèrement qu’on peut se passer des intellectuels et autres diplômés, c’est le niveau le plus bas de la réflexion, c’est de la niaiserie dont on ne peut rien attendre de bon. Les armes que nous utilisons pour nous défendre, pour nous protéger, les industries de transformation de nos matières brutes, le pouvoir exécutif, judiciaire, législatif, l’éducation et la santé des populations, etc. sont le fait de diplômés. En tout état de cause, un système repose sur une idéologie qui, pour s’imposer, a besoin d’intellectuels et de diplômés pour la promouvoir. Qu’est-ce qu’on veut nous faire croire ? À mon humble avis, il faut dépassionner les débats. La défense d’un système ou d’une idéologie, c’est l’apanage des intellectuels et/ou diplômés ; jamais dans l’histoire de l’humanité on a vu des ‘’non-intellectuels’’ et des ‘’non-diplômés’’ prendre la parole pour défendre un système, une idéologie quelconque dont ils ne savent ni ne comprennent absolument rien ; c’est comme demander à un aveugle d’indiquer un chemin à un voyant ou demander à un sourd d’enseigner la notion de son à celui qui jouit de ses facultés auditives. C’est absurde. En clair, la guerre ou la haine contre les intellectuels et/ou diplômés relève de l’émotion, de la passion qui sont des états d’esprit qui privent leurs auteurs de la lucidité, du sens de l’objectivité, de la mesure.

Est-ce que ce discours ambiant anti-diplômés ne va pas à l’encontre de la promotion de l’école, une société progressiste est-elle possible sans l’école ?

De mon humble point de vue, il n’y a pas de contradiction entre le discours ambiant anti-diplômés et la promotion de l’école lorsqu’on se réfère aux nouveaux curricula où il n’est plus question de diplôme mais d’acquisition de compétences par les apprenants.

En réalité, les anti-diplômés ne sont pas contre l’école. Ils sont plutôt contre ce système qui forme des diplômés qui ne savent rien faire de leurs doigts, des diplômés sans aucune compétence. L’école quelle qu’elle soit, est le temple du savoir par conséquent toute société qui veut progresser, aller de l’avant ne saurait s’en passer. En d’autres termes, une société progressiste n’est point possible sans école. En tout cas, je n’ai pas connaissance d’un contre-exemple, c’est-à-dire une société qui a réussi à progresser sans école.

Pour justifier cette aversion contre les diplômés, certains évoquent leur manque de patriotisme. Est-ce que ce volet est vraiment pris en compte dans le cadre des réformes en cours ?

Je crois savoir que les réformes en cours dans le domaine de l’éducation ont pris en compte l’idée de susciter et de développer le patriotisme chez les jeunes, les fers de lance de la nation Burkinabè à travers l’instauration de l’enseignement de l’éducation civique au post primaire et secondaire.

Vous êtes un expert d’une discipline qui étudie beaucoup la politique. Peut-on faire de la politique sans être patriote ? D’abord, philosophiquement, c’est quoi la politique ?

Question pleine d’intérêt. Philosophiquement, politique vient de polis qui veut dire cité. La politique, c’est l’art de gérer la cité, la société afin d’offrir aux hommes un cadre de plein épanouissement. Et l’expression ‘’faire la politique’’ pourrait désigner le fait de s’engager dans un parti politique, d’être militant d’un parti politique qui vise à conquérir le pouvoir politique et à l’exercer au niveau local et/ou central. Ceci dit, toute personne faisant la politique devrait aimer par-dessus tout sa patrie donc on ne devrait pas faire la politique sans être patriote. Hélas, l’histoire nous enseigne tout le contraire principalement dans les États d’Afrique noire francophone et c’est déplorable. Des dirigeants s’y sont tristement illustrés ; quand ils ont le pouvoir ou ils sont au pouvoir, ils s’adonnent aux excès aux dépens de leur patrie et compatriotes à travers les pillages des ressources, des détournements, la corruption, des infrastructures réalisées au rabais plongeant l’état dans un cycle d’éternel recommencement. Il y en a même qui poussent leur apatridie loin, prêts à toute sorte de compromission pour faire brûler leur pays dès qu’ils perdent le pouvoir. Ce sont là des exemples de comportements qui démontrent ou prouvent à souhait qu’il existe hélas bel et bien des gens qui font la politique sans être patriotes. Seul importe, à leurs yeux, leur ventre ; l’avenir et le devenir de leur descendance, de leur patrie, ils n’en ont que faire. C’est tout simplement de l’égoïsme et de l’égocentrisme surdimensionnés, effrénés.

On entend dire aussi quand on étudie la philosophie, on est destiné à faire de la politique. Qu’en pensez-vous et quelle est votre expérience, si vous en avez ?

L’idée selon laquelle étudier la philosophie conduit à faire la politique ne me semble pas fondée ; il suffit de faire le tour de nos universités et lycées pour s’en convaincre. Le nombre de collègues politiquement engagés est très infime, j’allais même dire que l’exception, c’est de faire la politique. Et moi, je m’inscris dans cette exception. J’ai été un militant actif d’un parti politique où j’ai occupé le poste de secrétaire à la formation politique et morale du bureau provincial ; aux élections municipales de deux mille seize, j’ai été élu conseiller municipal de mon secteur. Le parti, malgré sa majorité simple, n’a malheureusement pas réussi à avoir le contrôle de l’exécutif, communal à cause des guéguerres de positionnement, les querelles intestines et byzantines. Ce séjour politique est une expérience pour moi qu’il fallait. Il m’a permis de découvrir une autre dimension de la connaissance de l’autre que mon simple statut d’être social et d’enseignant de philosophie ne pouvaient me le permettre.

En sus, je fus mis à la disposition de la Mairie de Banfora par le Maire suite un compromis où j’ai chapeauté la direction des matières transférées. Ce fut une autre grande expérience très enrichissante qui m’a permis de comprendre le processus de transfert des ressources et compétences aux collectivités territoriales, de connaître les domaines transférés, etc.

Politique et philosophie font-elles oui ou non bon ménage ?

Cette question m’a toujours été posée par mes élèves quand j’étais encore en classe et même par des collègues et amis qui s’intéressent à la philosophie. Comme vous le savez, chez nous en philosophie, face à de telles questions, il nous est difficile de répondre de prime abord par un ‘’oui’’ ou par un ‘’non’’. En théorie, on est tenté de répondre par l’affirmative que politique et philosophie sont compatibles. En ce sens que toutes deux poursuivent la réalisation du plein épanouissement de l’homme, la défense des valeurs qui caractérisent l’espèce humaine, l’égale dignité des hommes par-delà les différences naturelles et sociales. Cependant, dans les faits, les deux ont tendance à se donner dos-à-dos ; quand par exemple la politique bascule dans la démagogie, la violence, la malhonnêteté, les intrigues de tous ordres, la philosophie s’égare. La philosophie, faut-il le rappeler, c’est la probité, la recherche sempiternelle de la vérité, la transparence, la conviction par la raison, la force de l’argumentation et jamais l’argument de la force comme on le voit malheureusement dans nos États. Un ‘’philosophe’’ qui s’engage en politique, il lui faudrait s’inféoder aux principes et objectifs poursuivis politiquement donc s’aliéner aux valeurs politiques. C’est sans contredit qu’un tel ‘’philosophe’’ souffrira au milieu des politiciens véreux, rapaces, toujours prêts au mal dès qu’ils ont l’occasion. On peut en déduire que politique et philosophie ne font pas bon ménage.

Entretien réalisé par Philippe Martin

Burkina Demain

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